Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 28 octobre 2013 à 15h00
Avenir et justice du système de retraites — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les inégalités professionnelles et salariales dont les femmes sont victimes s’amplifient à la retraite, tous les intervenants l’ont souligné.

La précarité, qui ne cesse de s’étendre, demeure sexuée et ce sont les femmes qui payent le prix fort de plusieurs décennies de politique d’austérité dans le secteur tant public que privé. Deux retraités pauvres sur trois sont des femmes.

La recherche effrénée par le patronat d’une réduction constante du coût du travail se traduit concrètement par l’explosion des contrats précaires et atypiques, qui font la part belle aux temps partiels. Ainsi, 82 % de ces contrats sont signés par des femmes et la grande majorité d’entre elles déclarent, lorsqu’elles sont interrogées, qu’elles préféreraient être recrutées sur la base d’un temps plein.

Les femmes sont plus nombreuses à être recrutées en CDD. Une étude menée par la DREES, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, en 2010 rappelait que seulement 41 % des CDI étaient signés par des femmes. D’ailleurs, le premier motif invoqué par les femmes ayant cessé de travailler est la fin d’un contrat précaire, alors que voilà vingt ans les raisons personnelles primaient. Cette situation renvoie naturellement à une certaine conception de la place des femmes dans le monde du travail, encore trop empreinte de la domination masculine, selon laquelle leur rémunération ne constituerait qu’un complément de salaires au foyer du ménage.

Mais elle est aussi la traduction concrète et poussée à l’extrême d’une autre forme de domination : celle de l’argent sur l’humain. Car les femmes payent plus que les hommes le prix d’un modèle économique dans lequel les richesses produites sont détournées et orientées vers la finance, la rémunération du capital prime sur celle du travail et l’organisation même de celui-ci est tournée vers l’accroissement des richesses accordées à une minorité. C’est une situation que nous ne pouvons accepter. Elle nous révolte d’autant plus que les pouvoirs publics l’encouragent en subventionnant les emplois précaires, à grand renfort d’exonérations de cotisations sociales.

À cette pression permanente sur les salaires qui s’accompagne d’une dégradation continue des conditions de travail des femmes, s’ajoute une politique d’austérité imposée par les gouvernements successifs, au prétexte qu’il faudrait réduire les déficits. Ainsi, bien que les femmes perçoivent des salaires inférieurs de 27 % à ceux des hommes et des pensions inférieures de 42 %, les réformes successives, en allongeant la durée de cotisation, en augmentant la décote et en relevant l’âge légal de départ à la retraite, ont encore dégradé un peu plus la situation des femmes. Le présent projet de loi, dont l’objectif affiché est de réduire les inégalités dont les femmes sont victimes une fois à la retraite, ne résoudra rien.

Je fais mienne cette analyse du Collectif national pour les droits des femmes, le CNDF : « les femmes continueront à toucher moins de retraite que les hommes, auront des carrières moins longues, partiront plus tard, écoperont des décotes et ne bénéficieront que rarement des surcotes ».

Certes, le projet de loi prévoit quelques mesures positives, que nous ne boudons pas : modification des règles de validation des trimestres pour les temps partiels, ou encore prise en compte de la maternité dans le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue. Toutefois, celles-ci sont de portée limitée et ne corrigent les inégalités qu’à la marge.

L’allongement de la durée de cotisation frappera de plein fouet les femmes et les décotes réduiront encore leurs pensions injustement basses. C’est l’élément majeur de cette réforme. Mais, comme l’a souligné notre collègue Dominique Watrin, nous avons des propositions alternatives.

La lutte en faveur de l’égalité de pension entre les femmes et les hommes passe par une lutte contre les inégalités professionnelles, singulièrement salariales. À cette fin, nous proposons d’instaurer une cotisation patronale sur les emplois à temps partiel, de telle sorte que les employeurs qui abusent de ce type de contrats cotisent pour la branche vieillesse dans les mêmes proportions qu’ils le feraient s’ils recrutaient des salariés à temps plein.

Nous proposons également de repenser les conditions de calcul des retraites des salariés précaires, notamment de celles et ceux qui ont été longtemps en CDD ou au chômage, pour retenir uniquement les meilleures annuités de cotisations et garantir dans tous les cas une retraite au moins égale au SMIC. Il faut cesser d’encourager les emplois précaires en supprimant les exonérations de cotisations sociales accordées aux employeurs en la matière et imposer, à l’inverse de cette logique libérale, une modulation de cotisations en fonction de la politique salariale des entreprises, de telle sorte que le recours aux emplois précaires soit rendu fiscalement et socialement moins intéressant.

En bref, pour garantir aux femmes une retraite digne et égale à celle des hommes, l’égalité doit passer des frontons de nos écoles à la réalité de la société. Nous en sommes loin !

Nous ne souscrivons absolument pas au postulat, partagé par un grand nombre, selon lequel l’allongement de l’espérance de vie induit naturellement un allongement de la durée du travail. Nous pensons au contraire que, pour vivre plus longtemps, il faut d’abord être en bonne santé, quelle que soit la pénibilité des emplois qu’on a pu occuper.

Pour toutes ces raisons et celles qu’a développées tout à l’heure Dominique Watrin, nous voterons contre cette réforme. §

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