Les enjeux de ce projet devraient pourtant porter au réalisme et à la sincérité.
Est-ce une réforme systémique ? La question n’est pas éludée. Elle est posée notamment par la commission Moreau, qui a estimé, à mon sens à juste titre, que le choix de la technique de gestion des droits – par annuités, par points ou par comptes notionnels – est en réalité secondaire dans la mesure où les instruments et les indicateurs retenus pour piloter les régimes dans chacun des modèles permettent de prévoir une part de droits contributifs et une part de droits relevant d’une logique de solidarité, de même que chacun a la capacité de répondre aux besoins d’ajustements, en fonction du contexte démographique et de la croissance.
La question est moins celle des modalités de gestion, qui dépendent essentiellement des objectifs qu’on leur fixe, que celle de l’architecture de notre système, dispersée entre les vingt et un régimes de base différents recensés par le Conseil d’orientation des retraites, auxquels s’ajoutent les régimes complémentaires obligatoires.
Améliorer la performance du système suppose d’abord une convergence de principes et d’outils. En ce sens, la commission Moreau recommandait de privilégier au préalable une coordination et une mutualisation entre régimes : celles-ci limiteront les coûts, simplifieront les relations des assurés avec les caisses et permettront, à terme, de constituer la base partagée favorable à une unification.
Tel est le choix du présent projet de loi, qui prévoit, pour la première fois, à l’article 3, un pilotage crédible du système par le biais d’un comité de surveillance des retraites, renommé « comité de suivi des retraites » par l’Assemblée nationale, permanent et restreint pour être opérationnel. Faut-il rappeler que le COPILOR, le comité de pilotage des régimes de retraite, créé par la réforme de 2010, à la composition pléthorique, s’est réuni une seule fois en séance plénière et n’a rendu aucun avis ?
Ceux que devra rendre le comité en question, à date fixe, seront publics, transmis au Parlement et au Gouvernement, lequel, après concertation avec les partenaires sociaux, se prononcera devant la représentation nationale. Les décisions ne pourront plus être différées.
Le comité aura compétence non seulement sur les équilibres financiers, mais également, là encore à la différence de son prédécesseur, sur la pénibilité, sur la situation comparée des droits à pension dans les différents régimes, sur celle des hommes et des femmes et sur le pouvoir d’achat des retraités. Le pilotage prévu n’est donc pas seulement financier, il est également social. Enfin, le Fonds de réserve pour les retraites, détourné et vidé de ses actifs à la fin de 2010 de manière peu responsable, retrouvera sa fonction d’origine.
Les dispositions de l’article 3 constituent en réalité une innovation structurelle majeure pour notre système de retraite.
La deuxième rupture fondamentale à laquelle procède cette réforme est de s’inscrire dans le temps long. Les besoins de financement du régime ont été quantifiés dans cette perspective par le COR, selon différentes hypothèses. Selon le scénario intermédiaire retenu, ces besoins s’établissent pour l’ensemble des régimes, de base et complémentaires, à hauteur de 20, 7 milliards d’euros en 2020 et de 26, 6 milliards d’euros en 2040, compte tenu de l’accord national interprofessionnel AGIRC-ARRCO du 13 mars dernier.
Trois mesures d’équilibre immédiat et une mesure de long terme doivent assurer la trajectoire d’équilibre du régime, essentiellement celui du régime général.
La hausse du taux des cotisations vieillesse déplafonnées s’appliquera de manière proportionnée et progressive sur quatre ans. En 2014, elle représentera une augmentation de 2, 15 euros par mois pour une personne rémunérée au SMIC.
Le décalage de la revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre permet de ne pas recourir à une baisse durable du montant des pensions ou à une modification des mécanismes d’indexation. Par ailleurs, il ne touchera pas les bénéficiaires du minimum vieillesse, d’une pension d’invalidité et d’une rente accident du travail-maladie professionnelle.
Je veux dire un mot, à cet instant, madame la ministre, de l’allocation équivalent retraite, l’AER, suspendue en 2009 par le précédent gouvernement, remplacée – en partie seulement – par l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS, sur laquelle je veux appeler votre attention.
Le décret du 4 mars dernier témoigne d’une volonté réelle de répondre à une urgence, mais ne permet pas la prise en compte des trimestres validés au titre de l’allocation de solidarité spécifique pour les générations 1952 et 1953 et exclut la génération 1954. Compte tenu de l’article 40 de la Constitution, l’Assemblée nationale a prévu qu’un rapport serait remis trois mois après la promulgation de la future loi. Notre collègue Martial Bourquin propose de limiter ce délai à un mois. Madame la ministre, ce serait bien le moins ! Pouvons-nous compter sur votre avis favorable dans la suite du débat ? Je vous en remercie par avance.
Troisième mesure d’effet immédiat, la suppression de l’exclusion des majorations de pension de 10 % de l’assiette d’imposition des retraités ayant élevé au moins trois enfants est inscrite dans le projet de loi de finances. La Cour des comptes et la commission pour l’avenir des retraites ont en effet montré que cette majoration est inéquitable à plusieurs titres : elle bénéficie aux pensions les plus élevées, davantage aux hommes qu’aux femmes, et varie selon les régimes. Son intérêt redistributif est, selon le comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, égal à zéro. Sa suppression permettra une plus juste redistribution des avantages familiaux de retraite.
Mesure de long terme enfin, qui n’entrera en vigueur qu’à compter de 2020, de manière progressive et limitée dans le temps, l’augmentation de la durée d’assurance doit permettre d’absorber, jusqu’en 2035, la « bosse démographique » due au baby-boom d’après-guerre.
Je veux souligner ici la vision globale des équilibres recherchés par le Gouvernement et la responsabilité dont on doit le créditer à cet égard. Les pensions de retraite versées en 2011 représentaient 271, 5 milliards d’euros, soit 13, 6 % du PIB. Elles constituent la première dépense de notre système de protection sociale. La réforme des retraites prend donc toute sa part dans la trajectoire de solde structurel définie par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 du 31 décembre 2012. Selon le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2014, « au total, les volets dépenses et recettes de la réforme des retraites des régimes de base présentée par le Gouvernement [représentent] une amélioration du solde structurel immédiate et pérenne de 0, 5 point de PIB. »
J’ai parlé aussi de progrès social, et progrès social il y a ! La reconnaissance et la prise en compte de la pénibilité sont emblématiques à cet égard et constituent l’axe majeur de ce projet de loi, tout autant que la méconnaissance volontaire de la réalité des conditions de travail a été la caractéristique majeure de la réforme Fillon, alors qu’il est bien établi que l’espérance de vie en bonne santé, donc la durée de la retraite, est largement dépendante de ces conditions.
En 2010, outre que pénibilité et invalidité avaient été sciemment confondues, avait également été prévue la possibilité de négocier, par accord collectif de branche, un dispositif de compensation de la charge de travail des salariés exerçant des travaux pénibles. Était aussi prévue la création, avant le 31 mars 2011, d’un comité scientifique chargé d’évaluer les conséquences de l’exposition aux facteurs de pénibilité sur l’espérance de vie sans incapacité. Aucune branche n’a négocié d’accord et le comité envisagé n’a jamais été installé. C’est dire la volonté réelle qui était celle du précédent gouvernement !
Mais avançons. Mesure en faveur de l’emploi des seniors avec l’amélioration du dispositif de retraite progressive, bonification des droits à la retraite des femmes avec la validation de trimestres au titre du congé de maternité, amélioration des droits des travailleurs précaires avec, notamment, l’abaissement du seuil d’acquisition d’un trimestre de 200 à 150 heures SMIC, amélioration des droits des jeunes pour la validation des périodes d’apprentissage en alternance, de stage et le rachat de périodes d’études, amélioration des petites pensions des non-salariés agricoles avec, en particulier, la création d’un minimum de 75 % du SMIC garanti aux chefs d’exploitation ayant une carrière complète, accès à la retraite anticipée facilitée pour les personnes handicapées et, last but not least, amélioration des droits des aidants familiaux avec, entre autres, la création d’une majoration de durée d’assurance : telles sont quelques-unes des mesures prévues par ce projet de loi.
Avec cette réforme, madame la ministre, vous substituez à la brutalité une action préventive, dans le cadre – et telle était la recommandation du rapport Moreau – « d’un processus permanent d’examen exigeant de notre système. » Vous prouvez ainsi, parce qu’elle prend en compte et améliore réellement la situation du plus grand nombre des assurés les plus fragilisés, que c’est une réforme d’espoir et de confiance.