Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 28 octobre 2013 à 15h00
Avenir et justice du système de retraites — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Vous reprochez aux réformes de 2003 et 2010 de n’avoir pris en compte que les facteurs d’incapacité et d’inaptitude et non pas la question plus large de la pénibilité. Mais il est très difficile de définir et d’évaluer précisément cette notion. Chacun la conçoit, l’interprète et la vit de façon différente.

En outre, tout travail peut contenir des tâches pénibles. Les effets de la pénibilité varient selon les entreprises, les postes, les individus. Ils dépendent aussi de facteurs extraprofessionnels tels que les habitudes et les conditions de vie, les conceptions en matière de santé, d’hygiène et de sécurité.

Le projet d’un compte personnel de prévention de la pénibilité fait fi de toutes ces subtilités, car il est prévu arbitrairement que toute entreprise devra appliquer les mêmes règles. Je le qualifierai de « hors-sol » et dogmatique, voire de quasiment inapplicable sur le terrain.

En matière de financement, une nouvelle fois, vous laissez une facture impayée pour les années à venir, une « ardoise », si j’ose dire, pour les prochaines générations.

En effet, le coût de la mise en place de ce compte est estimé à 2, 5 milliards d’euros en 2040, tandis que les deux cotisations qui lui sont affectées rapporteront seulement 800 millions. Il est donc irresponsable de proposer un système dont on sait d’ores et déjà qu’il sera déficitaire de plus de 1, 5 milliard d’euros à terme. Qui va payer la différence ?

De surcroît, les cotisations additionnelles créées pour financer ce compte s’ajoutent à la hausse de 0, 3 % des cotisations employeurs prévue par le projet de loi.

L’ensemble de ces mesures représente, pour les entreprises, une charge supplémentaire de 12 milliards d’euros sur quatre ans, qui s’ajoute – faut-il le rappeler ? – au coût du retour à 60 ans de l’âge de départ légal à la retraite pour les personnes ayant eu des carrières longues décidé au mois de juin 2012 et qui s’élève à 10 milliards d’euros.

La disposition en cause aura une nouvelle fois de lourdes conséquences sur le chômage, dont vous n’arrivez toujours pas à endiguer la croissance depuis bientôt dix-sept mois.

Les cotisations salariales et patronales dépassent désormais 65 % du montant du salaire brut du salarié et pèsent excessivement sur l’emploi. Et force est de constater que les décisions de votre gouvernement ne vont pas forcément aider le marché de l’emploi à retrouver le dynamisme qui lui fait si cruellement défaut !

Par ailleurs, le texte que nous examinons va défavoriser les entreprises françaises face à la concurrence européenne. La France sera en effet le seul pays européen à s’être dotée d’un tel dispositif, au moment où l’Union européenne va autoriser l’embauche de travailleurs d’Europe de l’Est rémunérés, certes, au SMIC français, mais sans charges équivalentes et sans compte personnel de prévention de la pénibilité !

Alors que vous prétendez faire du choc de simplification administrative une priorité, vous introduisez, permettez-moi de vous le dire, un fardeau de complexité pour de nombreuses entreprises. C’est le cas, par exemple, de la fiche de prévention des expositions, qui doit être remplie pour chaque salarié en fonction de l’activité pénible qu’il exerce au cours de la journée. Les entreprises familiales employant quelques salariés, qui exercent souvent des activités très différentes au cours d’une même journée, ne pourront pas respecter un tel dispositif.

Oui, nous faisons encore fausse route avec ce débat qui prend en compte une approche que je qualifierais de négative du travail ! Réduire une activité professionnelle à la pénibilité revient en effet à envoyer un mauvais signal à ceux qui entrent dans le monde du travail. Certains métiers sont pénibles par nature, et ils le resteront, malgré la politique de prévention. C’est le cas, par exemple, d’activités du bâtiment, secteur qui connaît déjà des difficultés d’embauche et dont les acteurs craignent que ce caractère « pénible » ne repousse encore des candidats.

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