Intervention de René Teulade

Réunion du 28 octobre 2013 à 15h00
Avenir et justice du système de retraites — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de René TeuladeRené Teulade :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet après-midi, un seul mot revient sans cesse : « retraite ». Ce terme polysémique recèle l’idée de départ, de congé, mais recouvre une kyrielle de réalités différentes, qui ont été longuement et parfaitement exposées.

Quel est donc le panorama aujourd’hui ? La retraite est envisagée sous un regard paradoxal. Toujours perçue comme une période de vie paisible, elle n’en demeure pas moins une source d’inquiétude. J’en veux pour preuve un sondage Ipsos réalisé au mois d’avril dernier pour l’Union mutualiste retraite et liaisons sociales, selon lequel 80 % des Français s’inquiètent de leurs conditions de vie à la retraite.

Pour autant, il est un rêve doré qui reste d’actualité : dans l’imaginaire collectif, la retraite prend la forme d’un droit à l’épanouissement personnel. La liberté et les nouvelles opportunités qu’offre ce temps de vie sont appréciées, par opposition aux contraintes d’un emploi trop souvent subi plutôt que choisi. À l’inverse de l’époque de la jeunesse où l’émancipation par rapport à l’habitus familial ne peut être que relative, où l’aliénation par le travail est à bien des égards tangible, la retraite est probablement le moment où l’homme prend le plus conscience de sa liberté.

Cette période est mise à profit de différentes manières, et il ne faut pas nécessairement prendre le terme « retraite » au pied de la lettre et l’assimiler à un repli en dehors de la cité.

Comme nous l’avions souligné dans un rapport du Conseil économique et social de 2000, intitulé L’avenir des systèmes de retraite, la fin de l’activité professionnelle n’est pas la fin de l’activité économique et sociale. Il suffit de considérer les milliers de retraités qui s’occupent bénévolement du tissu associatif maillant nos territoires pour comprendre l’importance de leur place au sein de notre société et de notre vie publique. En somme, comme l’écrivait si intelligemment Montaigne, « la vieillesse est l’âge où nous vivons l’intégralité de notre condition d’homme, et non seulement une partie tronquée de cette condition. »

Cependant, comme toute liberté, celle qui est inhérente à la retraite n’est que partielle. Elle ne peut être entière, sous peine de provoquer d’importants déséquilibres, notamment financiers, dans notre système. Or ce risque est si réel que pas moins de trois réformes ont marqué la dernière décennie, en 2003, 2008 et 2010. À l’issue de celle qui a été engagée par le Gouvernement, une quatrième aura pérennisé à moyen terme le système solidaire hérité du programme du Conseil national de la Résistance et qui vise, conformément à l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, à garantir la sécurité matérielle.

Dans l’immédiat, au regard de la situation démographique du pays et du départ à la retraite des générations du baby-boom, le besoin en termes de financement du système s’établira à environ 20 milliards d’euros en 2020, soit 1 % du produit intérieur brut. Ces chiffres sont maintenant bien connus. Une nouvelle réforme des retraites n’est donc pas un luxe ; c’est une exigence.

Sans entrer dans le détail des ajustements financiers, présentés excellemment par Mme le rapporteur tout à l’heure, il est probant de constater que les mesures contenues dans le présent projet de loi répondent à deux principes liés et incontournables : l’équité et la justice. En effet, chacun doit contribuer au rééquilibrage du système de retraites en fonction de son parcours professionnel et de ses revenus. Ce principe a été rappelé et est accepté. En particulier, le Gouvernement a veillé à ne pas paupériser celles et ceux, malheureusement de plus en plus nombreux, qui sont déjà à la lisière de la pauvreté. Les classes moyennes inférieures ne peuvent supporter le coût de cette réforme.

Par ailleurs, comme le rappelle Yannick Moreau, auteur du rapport éponyme, la réforme des retraites est l’occasion de rétablir la justice au cœur de notre système. Sur ce sujet, j’aimerais effectuer une incise et faire part de mon regret à la suite du débat polémique et caricatural autour du mode de calcul des pensions entre secteur public et secteur privé, qui a initialement saturé l’espace médiatique.

À niveau de salaire identique, le taux de remplacement est quasiment similaire entre fonctionnaires et salariés – 75, 6 % pour la fonction publique, 74, 5 % pour la sphère privée. Autrement dit, pour une carrière comparable, le montant des pensions est équivalent entre ces deux mondes, qui sont régulièrement instrumentalisés et dressés l’un contre l’autre.

Plutôt que de s’escrimer à nourrir les amalgames, les préjugés, les fantasmes, à donner corps à des billevesées absurdes, hier sur les retraites, aujourd’hui sur l’immigration, demain sur l’assistanat sans doute, certains élus s’honoreraient à entrer de plain-pied dans le débat argumenté et à sortir, au plus vite, du dogme démagogique et populiste.

La situation économique, sociale, morale et humaine me semble suffisamment grave pour ne pas être vulgairement traitée par le truchement de slogans et de fariboles qui, à mille lieues d’être des réponses apportées aux problèmes actuels, sont des gesticulations, des actes désespérés et désespérants pour exister.

Maintenant, reprenant le cheminement de mon développement, je souhaiterais démontrer comment la valeur justice est gravée au centre de ce projet de loi, à l’inverse de celui qui avait été voté en 2010. Pour ce faire, je me focaliserai sur la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes – cela a été excellemment souligné tout à l’heure – et l’amélioration de la retraite des travailleurs handicapés. Ces deux éléments sont très importants.

Il est trop promptement oublié que les retraités ne constituent aucunement un ensemble homogène et que des disparités injustifiables existent. Mécaniquement, les injustices dont sont victimes les femmes pendant leur vie active se conjuguent au moment de la retraite. Ainsi, selon le douzième rapport du Conseil d’orientation des retraites « fin 2008, parmi les retraités résidant en France, la pension de droit propre […] des femmes ne représentait que 53 % de celle des hommes ». Si ce ratio progresse, sous l’effet de l’accroissement de l’activité féminine et de la hausse du niveau d’études, il est impérieux de mieux prendre en compte les carrières féminines notoirement heurtées.

Ainsi, dès le 1er janvier 2014, tous les trimestres de maternité seront considérés valides, alors qu’aujourd’hui un seul trimestre est comptabilisé, indépendamment de la durée du congé de maternité. En outre, en vertu de l’article 14 du présent projet de loi, l’acquisition de trimestres sera facilitée pour les assurés percevant une faible rémunération et exerçant une activité à temps partiel réduit, principalement les femmes.

Cependant, il faut garder à l’esprit que les disparités entre les femmes et les hommes liées au montant des pensions trouvent leur racine dans les inégalités qui jalonnent la vie active. Fidèle à mes récentes prises de position au cours de la discussion relative au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, j’insiste sur la nécessité absolue de renforcer l’égalité professionnelle, en particulier salariale.

Par ailleurs, par ce texte, les possibilités d’accès à la retraite anticipée seront étendues pour les travailleurs handicapés ; c’est une avancée importante. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, jugée parfois ubuesque, sera progressivement remplacée par le seul critère d’incapacité permanente à 50 %. De surcroît, conformément à l’article 24, les assurés répondant à ce critère et ne justifiant pas d’une durée de cotisation suffisante pourront néanmoins bénéficier d’une pension à taux plein à 62 ans au lieu de 65 ans.

Je pourrais poursuivre l’énumération des mesures de justice contenues au sein de ce projet de loi et aborder le compte pénibilité, la question de la majoration des retraites des exploitants agricoles, ou encore la situation des polypensionnés, mais je préfère me concentrer sur un dernier aspect de cette réforme.

Celle-ci, par des dispositifs innovants, prend en considération les évolutions modernes, se révèle prospective et anticipe les enjeux qui se font jour. En l’espèce, le Président de la République, à raison, a fait de la jeunesse sa priorité.

Selon le baromètre de la DREES, 57 % des jeunes font montre d’un attachement certain au système de retraite par répartition, mais ils sont circonspects quant à la possibilité de bénéficier d’une pension décente. Les difficultés auxquelles ils doivent faire face pour intégrer le marché du travail, ainsi que les problématiques afférentes telles que le logement ou l’accès aux soins, expliquent ce sentiment de peur, parfois de désespoir et de désarroi, à l’encontre de l’avenir.

Victor Hugo écrivait à propos de la jeunesse : « Il lui est naturel d’être heureuse. Il semble que sa respiration soit faite d’espérance. ». Il serait aujourd’hui surpris de contempler l’évanescence de toute lueur à l’horizon.

Par conséquent, il paraît essentiel de prendre acte de l’entrée tardive des jeunes sur le marché du travail, résultant aussi bien de l’allongement des études que de la dégradation de l’emploi. Étant donné que les stages sont un passage obligatoire pour tout jeune, que les entreprises et les administrations tirent avantage des compétences acquises par ces étudiants, les députés socialistes ont introduit une disposition juste et pertinente, qui prévoit le versement de cotisations d’assurance vieillesse au titre des stages en entreprise, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une gratification.

Enfin, remédier aux affections du marché du travail – chômage, rigidités, etc. – est également l’un des axes cardinaux permettant de garantir la pérennité de notre système par répartition. Les pensions incomplètes, l’écart du montant des retraites entre les hommes et les femmes, précédemment évoqué, la situation tragique de celles qui ne vivent que des pensions de réversion sont autant de phénomènes reflétant les symptômes pernicieux qui frappent actuellement le marché de l’emploi.

Parallèlement, garantir plus de souplesse implique de ne plus penser linéairement le triptyque formation-emploi-retraite. Aujourd’hui, la vie professionnelle est rythmée par des périodes de formation, et les jeunes générations aspirent à quelques phases de « retraite », singulièrement lors de la naissance ou de l’adoption d’un enfant. In fine, cela revient à offrir une plus grande latitude à chaque individu, à décloisonner les différentes étapes du cycle de vie et à les concevoir plutôt sous la forme d’un enchevêtrement.

En conclusion, cette réforme n’est pas placée sous le seul signe de l’équilibre financier. D’ailleurs, dans un climat politique délicat, voire délétère, le Gouvernement ne pouvait faire l’économie d’une réflexion plus aboutie. Il faut bien saisir que seules la pédagogie et l’affirmation d’un destin commun, fondé non seulement sur l’efficacité des dispositifs mis en œuvre, mais aussi sur la réaffirmation des valeurs et des repères intégralement oubliés ou, à tort, honteusement affichés, …

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