Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, intervenant parmi les derniers, je ne reprendrai pas toutes les analyses faites sur ce texte. Il est vrai que plusieurs de ses dispositions constituent des avancées qu’il est possible de souligner, même si elles peuvent paraître frileuses.
Pour autant, il n’est pas difficile aujourd’hui d’ajouter au débat des considérations que le législateur semble avoir oubliées. J’entends rappeler ici l’existence de ceux dont la voix ne porte pas suffisamment, s’agissant d’un projet de loi fondamental au point que son intitulé comme son premier article contiennent, comme objectif assumé, la défense de valeurs qui sont au fondement de notre République.
Permettez-moi, dès lors, mes chers collègues, de revenir à ces aspects primordiaux et d’appuyer mon propos sur l’article 1er, qui fixe l’objectif de ce projet de loi. Cela permet de mettre en lumière l’insuffisante prise en compte des trois millions de citoyens qui résident dans les outre-mer et ainsi, je l’espère, de faire bouger les lignes.
Ce projet de loi a le mérite de réaffirmer que le système de retraites par répartition est au cœur du pacte social entre les générations. Il dispose ainsi que « La Nation assigne [...] au système de retraite [...] un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération ». Cela vaut pour tous les retraités, en effet, puisqu’il est alors précisé : « quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, leur espérance de vie ».
Construisant cette énumération, qui vise a priori à garantir l’équité, le législateur semble cependant avoir oublié sa géographie, car, s’agissant des outre-mer, les mesures du texte se révèlent tout à fait insuffisantes pour assurer une égalité réelle.
Ainsi, pour garantir notre système de retraite, ce qui fonde une des mesures les plus douloureusement vécues par nos concitoyens n’est pas uniforme sur le territoire, et rien, dans ce projet de loi, ne permet de les différencier.
Je veux parler de l’espérance de vie, qui justifie le report toujours plus lointain de l’âge légal de départ à la retraite à taux plein, que ce texte dissimule sous l’euphémisme « augmentation de la durée d’assurance ».
En Guyane, madame la ministre, l’espérance de vie est inférieure de quatre ans à ce qu’elle est en métropole ! Cette particularité, que l’on retrouve également à La Réunion et, dans une moindre mesure, en Martinique et en Guadeloupe, ne peut être traitée par la seule prise en considération de la pénibilité des conditions de travail ! Certes celle-ci est ressentie plus douloureusement lorsque l’âge avance, et ce texte porte l’espérance d’une prise en compte juste de ces conditions difficiles.
Si l’allongement de la durée de cotisation peut se justifier par l’allongement de l’espérance de vie, quand celui-ci résulte des progrès de l’hygiène, de l’alimentation et de la médecine, alors cette mesure devrait être suspendue, outre-mer, à la réalisation effective d’un meilleur accès aux soins, à l’éradication des infections et épidémies inconnues en métropole, à la prise en compte de l’isolement et l’enclavement des territoires, de l’état souvent précaire et insalubre de l’habitat, des retards dans les infrastructures d’assainissement. Son application devrait donc dépendre de l’objectif de voir l’espérance de vie globale en outre-mer atteindre le niveau de la métropole.
De plus, en outre-mer, deux fois plus de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et les femmes sont souvent multipares et fortement frappées par l’inactivité officielle, ou le chômage. Le chômage structurel est trois fois plus élevé qu’en métropole et impacte alors plus lourdement encore ces fameuses périodes de privation involontaire d’emploi qui ont un effet pénalisant sur le montant et sur la durée de cotisation dans le calcul de la retraite.
Sans une refonte du système économique dans ces territoires, et malgré une prise en compte bienvenue dans ce texte de ces situations difficiles, nous nous préparons, dans les prochaines années, à l’émergence d’une génération de retraités plus pauvres en outre-mer.
Outre la géographie, madame la ministre, n’oubliez pas l’histoire sociale, avec le SMIC DOM, inférieur au SMIC national jusqu’en 1996, l’indemnité temporaire de retraite qui a existé jusqu’en 2008, le revenu supplémentaire temporaire d’activité, supprimé sans compensation en mai dernier, et toutes ces situations particulières, survivances d’un autre âge, qui sont sources d’inégalités avec la métropole.
Si l’on considère, en plus d’une situation de revenus plus faibles que dans l’Hexagone, le contexte de cherté de la vie, la situation devient explosive, y compris chez les fonctionnaires locaux. Ceux-ci sont très majoritairement de catégorie C, ont été tardivement titularisés, et subissent une double décote au moment de leur départ à la retraite. Il n’y a pas de prix « spécial retraités locaux » dans les supermarchés de Cayenne, de Pointe-à-Pitre, de Fort-de-France ou de Saint-Denis de La Réunion !
Madame la ministre, j’espère que ce texte évoluera après cette discussion. Parce qu’il tend à oublier ces situations particulières, il ne contient pas de réponse suffisamment claire aux disparités structurelles que connaissent les outre-mer.
Je formule donc le vœu que les notions d’équité, de cohérence et de cohésion sociale dans les stratégies de développement permettent d’engager un véritable débat sur la retraite dans les outre-mer durant cette semaine, en convoquant les questions de l’emploi, des revenus, de l’insertion et du développement économique. Cette approche, qui est fondamentale, donnera du sens à ce que l’on appelle l’identité législative ! §