Par cet amendement, nous souhaitons compléter l’alinéa 4 de l’article 1er, en rappelant que notre système de protection sociale et le régime de retraite qui lui est associé reposent sur une double solidarité.
Il s’agit tout d’abord d’une solidarité intergénérationnelle. L’une des spécificités de notre modèle social est que son financement repose sur des cotisations sociales, prélevées sur la valeur ajoutée, mises en commun au sein d’un organisme n’appartenant pas à l’État, mais aux travailleurs eux-mêmes. Personne n’est donc propriétaire de ces cotisations et les quatre branches qui constituent la sécurité sociale obéissent à des règles assurantielles très différentes de celles qui sont applicables au secteur marchand.
Elles se distinguent notamment des régimes de retraite complémentaire, nous en avons déjà beaucoup discuté, en ce sens que, dans ces derniers, les cotisations alimentent un compte individuel ouvrant des droits exclusivement en fonction des apports personnels en capital.
À l’inverse, notre système de protection sociale repose sur le principe d’une mise en commun, dont le fruit sert à financer les retraites des aînés. De cette sorte, ces derniers peuvent prétendre, lors du passage de l’activité à la retraite, à un bon niveau de vie leur permettant de vivre dignement, et aussi de consommer. Or c’est cette consommation qui permet à l’économie française de fonctionner, en engendrant des commandes et, donc, des emplois.
Ce mécanisme de solidarité intergénérationnelle met ainsi en place une boucle vertueuse que ne permettent pas les retraites par capitalisation, lesquelles, à l’inverse, individualisent à l’extrême, empêchant ainsi toute solidarité.
Ce mécanisme de solidarité entre les générations est d’autant plus important qu’il repose sur un pacte social, nous l’avons rappelé, permettant à toutes et tous de prendre leur place dans la société tout au long de leur vie et de s’y épanouir.
Anne-Marie Guillemard, sociologue, professeur à l’université Paris V René Descartes, membre de l’Institut universitaire de France, décrit ainsi ce pacte : « un temps d’inactivité pensionné a été accordé à la vieillesse sous forme de retraite, en échange de quoi les jeunes adultes et les adultes se réservaient l’emploi de manière stable et durable, après une courte période de formation. »
C’est précisément pourquoi, nous aurons l’occasion d’y revenir et d’en débattre au moment de l’examen de l’article 2, l’allongement de la durée de cotisations constitue à nos yeux une mesure inefficace et injuste, car elle contraint les salariés les plus âgés à travailler plus longtemps et, en même temps, empêche les plus jeunes d’accéder à l’emploi, rompant ainsi ce lien de solidarité intergénérationnelle.
L’argument mathématique que l’on a entendu ce soir, selon lequel l’allongement de l’espérance de vie rendrait légitime le relèvement de la durée de cotisations, élude en réalité le débat majeur qu’il nous faut avoir, d’un point de vue économique comme sociétal : celui de l’évolution de la répartition des temps de travail et d’inactivité dans le parcours des âges.
Qui plus est, notre système repose également sur une solidarité entre les actifs eux-mêmes, la mutualisation des cotisations sociales permettant de garantir aux salariés les plus précaires et les moins bien rémunérés que, le temps de la retraite venu, ils pourront, grâce à cette mise en commun, bénéficier d’un mécanisme redistributif leur garantissant une pension minimale.
C’est bien ce double système de solidarité que nous voulons préserver et réaffirmer par cet amendement.