Intervention de Isabelle Pasquet

Réunion du 29 octobre 2013 à 21h30
Avenir et justice du système de retraites — Articles additionnels après l'article 1er

Photo de Isabelle PasquetIsabelle Pasquet :

Vous vous en doutez, mes chers collègues, le groupe CRC votera contre cet amendement destiné à opposer nos concitoyens entre eux sur un sujet qui, disons-le clairement, n’a pas lieu d’être, comme l’a souligné Mme la rapporteur.

Le rapport de Yannick Moreau est, sur la question des régimes dits « spéciaux », particulièrement éclairant. On y apprend que, même en vertu des règles dérogatoires ou, plus précisément, des avantages spécifiques qui y sont applicables, le montant de leurs pensions n’est ni supérieur ni inférieur à celles qui sont perçues par les salariés relevant du régime général.

Qui plus est, rappelons que ces régimes, loin de l’image que certains voudraient en donner, ne sont pas dépendants du régime général. Plutôt que de longs discours, je prendrai un exemple tout aussi souvent raillé que caricaturé, celui des cheminots.

Pour partir en retraite avec un taux plein – au maximum – il faut cotiser 37, 5 ans. Les conducteurs qui travaillent en horaires complètement décalés ont des bonifications qui leur permettent de gagner cinq ans, ce qui ramène la durée de cotisation à 32, 5 ans. Les agents sédentaires de la SNCF peuvent toutefois partir en retraite à l’âge de 55 ans – ce seuil va être porté à 57 ans – s’ils ont au moins vingt-cinq ans de cotisation. Les conducteurs, quant à eux, peuvent partir en retraite à 50 ans – bientôt 52 ans – s’ils ont vingt-cinq ans de cotisations.

En partant à cet âge, ils ne touchent toutefois pas le maximum de retraite qu’ils peuvent espérer. Pour comparer avec le régime général, le taux de remplacement moyen, c'est-à-dire le montant de la retraite par rapport au dernier salaire, est de 64 % à la SNCF. C’est dû au fait que, à 55 ans, la durée moyenne d’activité validée par les cheminots est de 32 ans.

C’est ainsi que, en 2001, les pensions moyennes attribuées aux retraités de droit direct étaient de 1 407 euros à la SNCF et de 1 590 euros pour le régime de référence, soit un écart de 13 %.

Qui plus est, rappelons que ce régime spécial est pour l’essentiel la contrepartie de contraintes, comme le travail de nuit, les jours fériés, les week-ends et les horaires décalés.

Ce régime dérogatoire, et c’est sans doute l’élément le plus important, les cheminots ne le volent à personne ; il n’est pas assuré par le régime général, mais repose sur la richesse qu’ils créent. Le taux de cotisation, en effet, est à la SNCF de plus de 28 %, contre 15 % en moyenne dans le régime général, et il est assis sur une assiette bien plus large.

Je voudrais rappeler que, si ces régimes spéciaux perçoivent des financements de la part de l’État, c’est non pas pour financer les avantages spécifiques accordés aux salariés, mais pour compenser les effets de leurs déséquilibres démographiques : on ne compte plus que 40 000 marins actifs pour 120 000 retraités, et 10 000 mineurs actifs pour 360 000 pensionnés. À la SNCF aussi, le rapport démographique entre cotisants et retraités s’est sensiblement dégradé, du fait de la forte baisse des effectifs.

Une baisse d’effectifs réclamée par l’État, quels que soient les gouvernements en place, pour permettre des gains de productivité et dégager des profits. D’ailleurs, des dividendes ont été versés pour une part à l’État, qui ne les a pas forcément consacrés à la réalisation d’investissements.

Je veux à ce moment de mon intervention rappeler les effets sur le réseau et le matériel de ces baisses d’effectifs. Je rappelle que 10 % du réseau ferré subit des ralentissements. Il n’y a plus de réserves de cheminots parmi les contrôleurs ou des roulants. En conséquence, quand un roulant est malade, il ne peut être remplacé, et le train est donc supprimé.

Parce que cette décision est la conséquence de choix politiques, les pouvoirs publics ont décidé d’accorder des subventions d’équilibre.

Enfin, comme le soulignait l’économiste Yves Housson, dans un article de 2007, alors que la droite et le MEDEF voulaient déjà en finir avec les régimes spéciaux, une telle mesure aurait un effet immédiat, sans doute non mesuré : l’augmentation du déficit du régime général, par le transfert du déficit des régimes spéciaux, aujourd’hui supporté par les entreprises plus que par l’État.

Pour toutes ces raisons, le groupe CRC votera contre cet amendement, qui n’a d’autre objet que de détourner le débat majeur du financement en stigmatisant certains assurés, plutôt que de rechercher l’efficacité et la justice en taxant les revenus financiers.

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