Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 29 octobre 2013 à 21h30
Avenir et justice du système de retraites — Article 2

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec cet article 2, nous sommes au cœur de la réforme.

Si, depuis hier, nous avons beaucoup parlé des retraites, nous avons finalement assez peu évoqué toutes celles et tous ceux qui, nés après 1972, devront travailler un an de plus, et celles et ceux pour qui l’âge de départ à la retraite ne signifie plus rien, le nombre d’annuités augmentant réforme après réforme.

Que cela soit proportionnel ou pas, le résultat est le même. La réalité, c’est que, pour partir à 62 ans, il faudra avoir commencé à travailler à 19 ans et ne pas avoir connu de rupture dans sa vie professionnelle.

Le rôle des élus est de défendre l’intérêt général. Or force est de constater que, parmi les nombreux élus évoquant la nécessité de cotiser un an de plus, certains osant même dire ici que cette réforme ne changera rien, peu sont nés après 1972 ! Si l’on tirait un film de nos séances, on pourrait l’intituler Jeunes, travaillez plus, c’est pour votre bien !

Mes chers collègues, permettez-moi d’être en colère, non pas pour moi, mais pour toutes celles et tous ceux qui vont être touchés par cette réforme et qui s’y résignent. Madame la ministre, vous avez raison, il n'y a pas eu foule, comme en 2010, pour se mobiliser contre cette réforme. Toutefois, en politique, l’adage « qui ne dit mot consent » ne trouve pas à s’appliquer, et c’est plutôt une résignation qu’une acceptation de cette réforme qui s’exprime aujourd'hui.

La génération touchée est celle que l’on a appelée, pendant des années, la « génération Mitterrand ». Pour cette génération, dont les parents se sont, le plus souvent, réjouis de l’élection de mai 1981, cette élection marquait une rupture, un changement possible. Le départ à la retraire à 60 ans, les 37, 5 ans de cotisation, les 39 heures hebdomadaires, la cinquième semaine de congés payés : telles furent les premières mesures qui suivirent l’élection.

Cette génération – la mienne ! – a fait des études. Que d’émotions à l’obtention d’un CAP, d’un BEP, d’un bac, autant de diplômes qui avaient semblé inaccessibles à leurs parents. Le message, alors, était clair : travaillez, faites des études et vous réussirez, en prenant le temps de vivre.

Aux filles, on a dit de poursuivre des études, condition indispensable de l’indépendance, ou bien de s’arrêter de travailler, pour le bien-être de leurs enfants. Qu’elles aient fait le premier ou le second de ces choix, elles le paieront très cher au moment de leur retraite avec votre réforme.

En 1995, nous étions quatre millions d’étudiants – un atout pour la société, disait-on alors. Pourtant, entre les années d’enfance et les « années fac », la situation avait bien changé : désenchantement et désillusion nous avaient minés.

Le retour de la gauche en 1997 a rouvert quelques espoirs. En effet, un gouvernement français osa dire, mais pour la dernière fois, que l’on peut continuer de travailler moins sans gagner moins pour autant.

Depuis lors, les jeunes de cette génération se sont mariés ; ils ont parfois divorcé. Ils sont devenus fonctionnaires, salariés du privé ou chômeurs, et tous se sont alors souciés de leur retraite, qui, telle l’oasis dans le désert, s’éloigne à mesure que l’on s’approche d’elle.

Tout le monde parle du devenir des retraites, en toute occasion de la vie quotidienne : en allant chercher les enfants à l’école ou à leur cours de sport, en les amenant à un goûter d’anniversaire. Et, si personne ne s’attendait à un grand changement, nul ne s’attendait à ce que ce soit pire.

Madame la ministre, vous devez relayer ce ressenti de la population auprès de l’ensemble du Gouvernement. Au demeurant, celui-ci devra assumer la responsabilité d’avoir entériné la casse du droit à la retraite.

Vous nous parlez de l’allongement de l’espérance de vie. Et alors ? Il y a une quinzaine de jours, avec de nombreux collègues enseignants, je me rappelais qu’à notre entrée dans la fonction publique, en 2001, on nous avait promis la retraite à 60 ans, après 37, 5 ans de cotisation et avec un an d’abattement par enfant. En 2003, grâce à M. Raffarin, cet abattement était ramené à six mois par enfant. Puis, peu à peu, grâce aux gouvernements de droite, nous sommes arrivés à la retraite à 62 ans, après 42 ans de cotisation. Aujourd'hui, il est question de 43 ans de cotisation.

Une chose est sûre : notre espérance de vie n’a pas augmenté de six ans et demi pendant cette période ! Et je ne parle pas de l’évolution en cours concernant les pensions pour les mères de trois enfants.

Votre argument ne tient donc pas. Il tient encore moins quand on sait que le nombre des plus de 55 ans qui se retrouvent au chômage augmente d’année en année.

Je ne suis pas une utopiste, car l’utopie, c’est ce qui permet au peuple de ne pas réagir et de ne pas se mobiliser. Toutefois, nous le répétons et le répéterons encore : d’autres solutions existent.

Madame la ministre, jusqu’où irons-nous dans la remise en cause de ces acquis sociaux ? L’argument consistant à nous dire que la pénibilité sera mieux prise en compte ne tient pas. Le misérabilisme, ce n’est pas la gauche ! N’opposez pas les salariés entre eux et prenez vos responsabilités, en taxant la spéculation financière et en réduisant les écarts salariaux entre femmes et hommes, de manière à dégager les revenus nécessaires pour maintenir le système par répartition juste et équitable.

Cela, ce n’est pas seulement le groupe CRC qui le dit. C’est un collectif d’associations, de syndicats, d’organisations politiques diverses, car, oui, madame la ministre, c’est cela que nous voulons offrir à nos enfants, nous qui avons contribué à la défaite de la droite en 2012, comme nos parents avaient contribué à celle de la droite en 1981.

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