Je voudrais à mon tour expliquer pourquoi notre groupe votera ces amendements de suppression, les arguments que j’avancerai étant convergents avec ceux de Marie-Noëlle Lienemann et Corinne Bouchoux.
J’écarte d’emblée l’argumentaire de la droite, qui nous délivre depuis le début du débat un grand numéro d’hypocrisie ; depuis 1993, avec le gouvernement d’Édouard Balladur, elle n’a eu de cesse de faire systématiquement reculer le droit à la retraite, son seul objectif en la matière. D’ailleurs, si elle en avait le pouvoir, elle proposerait encore bien pire que l’article 2, dont elle demande la suppression.
Chers collègues de l’opposition, vous êtes capables à la fois de reculer l’âge légal de la retraite et d’allonger la durée de cotisation. Avec vous aux manettes, nous n’aurions même pas le choix entre l’une ou l’autre de ces solutions : vous mettriez les deux en œuvre ! Vous l’avez déjà fait. D’ailleurs, c’est bien ce que l’ensemble des forces de droite cherchent à faire à l’échelle européenne : porter l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans, en France et dans les autres pays européens. Il est donc bien évidemment impensable que nous rejoignions un seul de vos arguments.
Prenons, par exemple, votre idée selon laquelle le dynamisme des entreprises justifierait l’allongement de la durée de cotisation. Vous ne nous avez toujours pas expliqué pourquoi, après des décennies d’augmentation de la durée de cotisation, le chômage ne cesse de progresser. Voilà qui mériterait tout de même des réponses...
Monsieur Caffet, vous affirmez que tout ira beaucoup mieux qu’en 2003. Mais vous pouvez tourner le problème dans tous les sens, vous en reviendrez à cette question très simple : avec cette réforme, les salariés partiront-ils à la retraite plus tôt, au même âge ou plus tard que ce que prévoyait la réforme adoptée, en 2010, sous Nicolas Sarkozy ? Les salariés font leur compte et ils ont très bien compris qu’ils partiront en grande majorité plus tard, avec des pensions dégradées. C’est pour cela que la popularité du Gouvernement, et je ne m’en réjouis pas, est actuellement si basse parmi ceux qui l’ont élu…
L’argument relatif à l’allongement de la durée de vie ne tient pas plus la route ; nous l’avions déjà démontré quand nous discutions face à la droite en 2010. En effet, la dégradation constante des conditions de départ à la retraite aura à un moment donné des conséquences sur l’espérance de vie. On le voit déjà dans certains pays d’Europe, où cela contribue, avec le développement de la crise sociale, le chômage et la précarité, à fragiliser cette espérance de vie. L’allongement de la durée de vie n’est en aucun cas un phénomène constant : il dépend aussi des conditions sociales créées pour les salariés. Et une trop forte dégradation de la situation aura des effets à cet égard.
Madame la ministre, vous avez évoqué une réforme de « justice ». Mais vous omettez un élément, que Jean-Marc Ayrault a d’ailleurs annoncé – il l’avait oublié ! – quelques jours après la réforme : toutes les hausses de cotisation affectant les entreprises seront compensées. Par conséquent, cette réforme ne leur coûte rien, l’intégralité de l’addition étant payée par les salariés, dans le cadre de la réforme des retraites, et, plus tard, par le biais de nouveaux allégements qui leur seront proposés, notamment en matière d’allocations familiales. C’est donc une réforme injuste et financée de manière inéquitable !
Enfin, cet article 2 n’est pas un article clé, comme je l’entends dire. C’est au contraire un article verrou : alors que vous aviez la possibilité de rouvrir le débat que la droite avait fermé en 2010, vous avez utilisé l’allongement de la durée de cotisation pour verrouiller la discussion et empêcher tout débat sur les autres solutions. En effet, si l’on n’avait pas considéré une telle option comme devant obligatoirement être retenue, nous aurions été contraints de travailler sur d’autres possibilités et, en particulier, d’échanger autour de nos propositions de taxation des revenus financiers des entreprises et de modulation des cotisations.
Une fois encore, nous manquons une occasion d’engager un réel débat sur d’autres pistes de financement que celles qu’on nous ressert à chaque réforme des retraites depuis maintenant quinze ans, avec les mêmes résultats : un recul du droit à la retraite sans solution durable en matière de financement des régimes. C’est ainsi que, tous les cinq ou dix ans, nous repartons pour un tour, en aggravant sans cesse la situation.
Nous pouvions ouvrir le débat sur les autres solutions ; cet article, dont la suppression est soumise au vote, a servi à fermer la discussion. C’est bien dommage ! §