Je ne voudrais certes pas m’opposer au progrès que représente la prise en compte de la pénibilité dans le calcul des droits à la retraite. Nous avons nous-mêmes recherché les voies d’une meilleure intégration de cette dimension dans notre système de retraite : nous l’avons fait en 2003, avec la création du régime de départ anticipé, une avancée fortement réclamée par les syndicats qui ont approuvé cette réforme et contribué à sa légitimité ; nous l’avons encore fait avec la réforme de 2010, qui a fait avancer le concept de pénibilité dans notre droit.
Cependant, à côté du régime des retraites qui mobilise toute notre attention, il y a aussi la dimension sociale très importante que constitue la prévention des risques et des maladies professionnelles. Or j’observe que les modalités d’application du dispositif tel qu’il a été conçu par le Gouvernement viennent percuter notre système de prévention des risques professionnels de manière extrêmement dangereuse. C’est si vrai que les membres du Conseil d’orientation sur les conditions de travail, tant du côté patronal que du côté syndical, se sont unanimement inquiétés, le 13 septembre dernier, de ces innovations.
Je m’en explique. Notre système de prévention des risques et des maladies professionnelles repose désormais sur la traduction en droit interne d’un certain nombre de directives européennes relatives aux conditions de travail : trois séries de directives sur les conditions de travail ont ainsi été transposées dans nos lois et nos règlements ; elles ont également donné lieu à de très nombreux accords collectifs de travail.
L’ambition de ce système de prévention des risques et maladies professionnelles est très simple : c’est la suppression des risques professionnels, le risque zéro dont chacun sait bien qu’il n’existe pas mais vers lequel il nous faut tendre. Ce système s’applique à tous les travailleurs. Et voici que fait irruption, au motif de mieux prendre en compte la pénibilité dans le calcul des droits à la retraite, un dispositif qui prétend s’appliquer aux 18 % des travailleurs qui seraient les plus exposés aux risques et qui va, en quelque sorte, absorber le système si patiemment construit avec l’accord des partenaires sociaux !
C’est là un grand danger, qui a été relevé. Bien que ce sujet ne soit pas au cœur de l’actualité, si nous laissons passer ce dispositif tel qu’il a été conçu, nous serons confrontés à de graves difficultés et, en réalité, à un affaiblissement redoutable de la protection des travailleurs face aux risques professionnels, puisque l’on ne s’intéresserait plus qu’à ceux d’entre eux qui seraient les plus exposés aux risques professionnels.
L’incorporation au régime actuel d’un système de seuils d’exposition qui seraient tolérés est tout simplement antagonique. C’est la raison pour laquelle je m’étonne que le ministre du travail n’ait pas pris une position plus ferme dans ce débat, pour défendre les intérêts des travailleurs exposés aux risques professionnels face à un dispositif qui est conçu non pas pour la prévention des risques mais pour le calcul des retraites. On comprend d’ailleurs que, si l’on ne s’intéresse qu’à la dimension de la retraite, on laisse de côté les questions de prévention des risques auxquelles il faut pourtant s’intéresser également.
Je formulerai un autre reproche, également très important même s’il l’est un peu moins que le précédent, que les partenaires sociaux ont également exprimé : les causes de maladies professionnelles que sont les risques psychosociaux et le stress ne sont nullement prises en compte dans le régime du compte personnel de prévention de la pénibilité tel qu’il a été élaboré par le Gouvernement.
Pour toutes ces raisons, il me semble qu’il faudrait remettre l’ouvrage sur le métier et essayer de trouver un dispositif qui permette à la fois de mieux compter la pénibilité dans les droits à la retraite, ce que les majorités successives ont toutes essayé de faire, sans pour autant fragiliser la protection des travailleurs du point de vue de leur sécurité et des conditions de travail.