En 2010, Nicolas Sarkozy, qui savait que sa réforme des retraites était contestée dans la rue, a voulu donner l’illusion de prendre en compte les besoins spécifiques des salariés exposés à des facteurs de risques. Ainsi, il a permis à certains d’entre eux, sous certaines conditions, d’obtenir une retraite « anticipée » à sa manière. En effet, cette disposition permettait à de très rares bénéficiaires de partir à la retraite à soixante ans, c’est-à-dire l’âge légal, avant qu’il ne le repousse. En définitive, par l’accumulation des règles et des restrictions, cette demi-mesure n’a totalisé que 5 000 bénéficiaires, quand elle aurait pu, théoriquement, en compter 30 000.
En la matière, le présent texte constitue indéniablement une amélioration. Il va également plus loin que les recommandations formulées au titre du rapport Moreau, qui ne prévoyait que la possibilité d’accorder aux salariés le droit de racheter des trimestres manquants, autrement dit d’éviter des périodes sans cotisations et non de garantir un droit à la retraite anticipée. Désormais, cette possibilité sera ouverte : les assurés pourront utiliser les points qu’ils auront cumulés du fait de leur exposition à des facteurs de risques, à la fois pour avancer leur âge de départ à la retraite à due concurrence du nombre de trimestres attribués grâce au compte et pour bénéficier d’une majoration de trimestres attribués par la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV.
Nous sommes, de prime abord, sensibles à cette approche, qui constitue le second volet du présent projet de loi en matière de pénibilité. Les précédents articles organisaient la prévention. Celui-ci, pour sa part, organise la réparation. Or c’était là la pierre d’achoppement avec le patronat, lequel refusait d’admettre que le travail pouvait être à l’origine d’une dégradation précipitée de l’espérance de vie et de l’espérance de vie en bonne santé. Visiblement, le MEDEF n’a pas pris connaissance des études statistiques démontrant que les conditions de travail des salariés sont en grande partie responsables des écarts observés en la matière : sept ans d’espérance de vie séparent, en moyenne, un cadre et un ouvrier, au détriment du second, bien entendu.
Néanmoins, cette faculté est strictement encadrée. Au mieux – c’est-à-dire en cas d’application complète du dispositif –, un salarié exposé pendant toute sa carrière à deux facteurs de risques ou plus ne pourra prétendre qu’à un départ à la retraite anticipé de deux ans. Ainsi, il pourra prendre sa retraite à soixante ans.
Paradoxe, alors que le Gouvernement souhaitait se démarquer de la réforme de 2010, in fine seuls les salariés qui sont exposés à des travaux pénibles et qui bénéficient du dispositif de carrière longue pourront prétendre à un départ à soixante ans.
Je reconnais que le dispositif proposé s’adresse potentiellement à un plus grand nombre de salariés que le système mis en place par M. Woerth. Certains éléments ne nous laissent pas moins dubitatifs.
Ainsi, pourquoi avoir renoncé à attribuer des points à titre rétroactif ? Il est certes nécessaire d’attendre l’élaboration d’une liste pour certains facteurs nouveaux, mais une fois ce document établi, pourquoi ne pas accorder des points au titre des expositions passées, sur la base même du contrat de travail ?
J’ai bien entendu l’argument selon lequel les fiches prévues à l’article 6 n’existant pas – même si cet article va certainement ressusciter à l’Assemblée nationale – et les fiches prévues par la loi de 2010 n’ayant pas été remplies, il serait difficile d’évaluer le degré ou la réalité de l’exposition du salarié à un ou plusieurs facteurs de risques.
Il est certaines professions où le travail est par essence pénible. Les ouvriers du BTP, qui réalisent des travaux en extérieur, été comme hiver, qui portent de lourdes charges et qui sont appelés à travailler en hauteur sont, personne ne le niera, exposés à des facteurs de risques.
De la même manière, est-il vraiment nécessaire d’attendre les nouvelles fiches pour mesurer l’exposition à des facteurs de risques de salariés au contact de substances chimiques dangereuses qui font l’objet de déclaration depuis des années, alors que, depuis le 7 mars 2008, l’article R. 4412-40 du code du travail dispose que « l’employeur tient une liste actualisée des travailleurs exposés aux agents chimiques dangereux très toxiques, toxiques, nocifs, corrosifs, irritants, sensibilisants, cancérogènes, mutagènes et toxiques de catégorie 3 pour la reproduction ainsi qu’aux agents cancérogènes mutagènes et toxiques pour la reproduction définis à l’article R. 4412-60. Cette liste précise la nature de l’exposition, sa durée ainsi que son degré, tel qu’il est connu par les résultats des contrôles réalisés ».
Pourquoi donc ne pas permettre aux salariés exposés à trois ou quatre facteurs de risques de cumuler plus de points que celles et ceux de leurs collègues qui ne sont exposés qu’à deux de ces facteurs ? Il est pourtant évident que plus les facteurs sont nombreux, plus les sources d’exposition sont diversifiées, plus les salariés sont fragilisés et encourent le risque de contracter de multiples maladies professionnelles, notamment à effets différés. Pourquoi, dès lors, ne pas avoir accordé plus de points aux salariés dont l’exposition a été plus longue ?
À notre grand regret, le départ à la retraite à soixante ans en cas de travaux pénibles, que nous défendions ensemble, n’est toujours pas possible. Tout nous porte à croire que les conditions limitatives que vous avez introduites ont été conçues de telle sorte que le symbole d’un départ à la retraite à taux plein avant soixante ans ne puisse être concrétisé. En raison de quoi, le groupe CRC s’abstiendra sur cet article.