Non, la baisse du transport du fret par le rail ne doit pas être une fatalité dont la France et elle seule cultiverait l’idée ! Les prétendus mauvais chiffres du trafic ferroviaire entre la France et l’Italie, qui s’expliqueraient par des travaux et des marchés captés par nos voisins, doivent nous imposer plus de lucidité.
Se trouverait-il quelqu’un, mes chers collègues, pour condamner la pertinence du transport maritime au motif que certains ports français ont perdu pied face au succès de bien d’autres ports européens ? Non ! Là encore, nous savons la part de reconquête qui s’offre à notre pays, à condition de le vouloir. Certains résultats ne constituent-ils pas déjà un encouragement ?
Oui, le rail transfrontalier a de fortes marges de progression, dès que les infrastructures adaptées sont mises en place et que la qualité du service est assurée.
Mes chers collègues, nous en avons un début de démonstration, grâce à des chiffres vérifiables ne pouvant être discutés par une opposition qui avance pour sa part des données ne reposant sur rien.
Ainsi, l’autoroute ferroviaire alpine Aiton-Orbassano, installée à titre expérimental en 2003 à l’entrée de la vallée de la Maurienne, vient de connaître ses progressions les plus spectaculaires, avec l’amélioration, qui vient d’être rappelée, du gabarit du tunnel historique du Mont-Cenis depuis la mi-2012 : de plus de 17 % au deuxième semestre 2012, et de plus de 25 % sur les dix premiers mois de 2013, ce qui aboutira prochainement à la saturation des capacités existantes et nécessitera l’ouverture de la plateforme opérationnelle de Grenay, au sud de Lyon, pour accroître les capacités et, surtout, créer une section de transfert modal suffisante en distance.
Oui, mes chers collègues, tels sont les chiffres !
Mais le Lyon-Turin est aussi un enjeu géostratégique. En effet, les échanges, pour intéressants et importants qu’ils soient entre la France et l’Italie, respectivement deuxième et troisième exportateur l’un envers l’autre avec plus de 77 milliards d’euros par an, ne doivent pas masquer la vocation géostratégique de cette infrastructure au cœur de l’économie européenne.
Certes, l’Italie, parmi nos voisins européens, est le seul pays avec lequel nous ne disposons pas d’une infrastructure ferrée moderne, adaptée aux transports et aux échanges du XXIe siècle : le passage actuel entre Modane et Bardonecchia, à une altitude rédhibitoire pour des transports efficaces, reste un ouvrage de cent cinquante ans, inadapté aux transports du futur.
Ainsi, par la route comme par le rail, la France a aujourd'hui le coût d’accès à l’Italie le plus élevé d’Europe.
Mais il nous faut avoir un regard encore plus large. Oui, les grands courants mondiaux d’échanges ont placé le transport maritime au cœur du commerce mondial.
Face à la position jusqu’alors prédominante des ports du Nord, avec Anvers, Rotterdam, Amsterdam et Hambourg, l’Union européenne a souhaité renforcer le rôle méditerranéen du fuseau Algésiras-Barcelone-Marseille-Trieste-Koper.
Le Lyon-Turin s’inscrit dans cette stratégie du sud de l’Europe. Mais, pour l’Europe, il s’agit également d’un repositionnement à quinze ans du rail dans les rapports avec l’Asie, l’ancienne « route de la soie » permettant de replacer le trafic intérieur de marchandises en concurrence avec le fret maritime.
Puis-je citer, à titre d’exemple, la Deutsche Bahn Schenker, qui opère un service quotidien à destination de la Chine via la Russie, ou Hupac, qui réalise chaque semaine, depuis Barcelone, des convois sur Shanghai, en utilisant déjà l’axe du Mont-Cenis, que nous évoquons ce soir ?
Oui, mes chers collègues, en retenant, en 1994, au sommet d’Essen, le Lyon-Turin parmi les projets prioritaires, l’Europe avait une vraie vision des enjeux stratégiques de l’économie de notre continent. En décidant de contribuer de façon exceptionnelle à hauteur de 40 % du financement de ce maillon central, l’Europe confirme son ambition et l’importance de la réalisation de cette section ferroviaire.
Cette ambition, nos amis italiens la confortent également en décidant un effort financier plus important, pour tenir compte de la difficulté des accès français, plus compliqués.
Ainsi, en prenant en compte l’aide européenne, à hauteur de 40 %, et la contribution italienne, à hauteur de 35 %, la quote-part de la France sera limitée à 25 % d’un ouvrage estimé à 8, 5 milliards d’euros, et ce alors que la majeure partie du tunnel transfrontalier se trouve en territoire national, soit 45 kilomètres sur un total de 57 kilomètres à réaliser. Et je ne parle pas des emplois que cette réalisation suscitera sur notre territoire, qu’il s’agisse du chantier lui-même ou de la maintenance.