Nous avons entendu le 5 novembre dernier la ministre en charge de l'égalité des territoires, Cécile Duflot, sur les crédits de la mission « Politique des territoires » pour 2014. L'impression que je retire des échanges que nous avons eus à cette occasion est que le Gouvernement, tout en affichant l'ambition de révolutionner les fondements de la politique d'aménagement du territoire, se contente en fait de marcher sur les brisées de ses prédécesseurs. Le budget qui nous est présenté montre la continuité des outils de la politique des territoires, ce dont je me réjouis, mais aussi l'érosion des moyens qui leur sont affectés, ce dont je m'inquiète.
La mesure qui nous est présentée comme la grande nouveauté est la création prochaine, au cours du premier trimestre 2014, d'un Commissariat général à l'aménagement du territoire, par fusion de la DATAR, de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, et du Secrétariat général du Comité interministériel des villes. Nous avons entendu le 16 octobre dernier le préfet Eric Delzant, qui est le préfigurateur de cette nouvelle structure, et également Délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale.
Cette réforme a sans doute ses propres motifs, et nous devons souhaiter qu'il en résulte une dynamique nouvelle. Mais comment ne pas y voir aussi une nouvelle étape dans l'éternelle « errance administrative » de la DATAR, qui change d'insertion dans l'organigramme gouvernemental tous les deux ou trois ans en moyenne ?
Comme l'an dernier, les crédits de la mission « Politique des territoires » apparaissent orientés à la baisse dans le projet de loi de finances initiale. En effet, ils devraient diminuer de 6,7 % en autorisations d'engagement, pour s'établir à 283 millions d'euros, et de 8 % en crédits de paiement, pour s'établir à 295 millions d'euros.
Ces mouvements de crédits s'expliquent principalement par l'évolution de la dotation du programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire », qui représente près de 87 % des autorisations d'engagement de la mission, et diminue de 6,2 %. La dotation du programme 162 « Interventions territoriales de l'État » diminue, elle, plus fortement, de 9,8 % en autorisations d'engagement, mais ne représente qu'environ 13 % du total de la mission.
Les évolutions sont également orientées à la baisse en crédits de paiement, puisque la dotation du programme 112 diminue de 8,1 % pour 2014, tandis que celle du programme 162 diminue de 6,7 %.
Les dépenses fiscales rattachées à la mission « Politique des territoires » représentent, comme les années précédentes, un montant supérieur aux crédits budgétaires, avec un total estimé à 480 millions d'euros pour 2014. Elles progressent de 5,5 % par rapport à l'exercice 2013. Sur ce montant, 330 millions d'euros, soit 68 % du total, correspondent aux dépenses fiscales se rapportant à la Corse. Le solde étant constitué principalement par les exonérations des zones de revitalisation rurale.
Le document de politique transversale sur l'effort budgétaire en faveur de l'aménagement du territoire montre que les crédits mobilisés vont bien au-delà de ceux de la seule mission « Politique des territoires ». En tout, c'est un montant de 5,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement qui est inscrit pour 2014 et réparti dans 33 programmes relevant de 15 missions budgétaires différentes.
En ce qui concerne les dispositifs financés par les crédits de la mission « Politique des territoires », ils apparaissent tous maintenus, mais avec des moyens réduits.
Le dispositif de la prime d'aménagement du territoire (PAT) est reconduit. Pour 2014, la dotation consacrée à la PAT s'élève à 39,6 millions d'euros en autorisations d'engagement, et à 33,6 millions d'euros en crédits de paiement.
La Cour des comptes, dans son rapport public de l'an dernier, avait émis des critiques sévères à l'encontre de la PAT, qu'elle considérait comme « une prime devenue marginale, peu efficace et mal gérée ». Néanmoins, le Gouvernement a décidé de maintenir cet instrument, qui peut vraiment faire la différence dans la décision finale d'implantation d'une entreprise. Chacun d'entre nous peut le constater dans son territoire respectif.
Une autre politique qui n'est finalement pas non plus remise en cause est celle des pôles de compétitivité. Depuis leur lancement en 2005, 71 pôles ont été labellisés. Au début de cette année, une troisième phase a été lancée pour la période 2013-2018. Désormais, chaque pôle devra établir un contrat de performance, qui engagera l'Etat, les régions et les autres collectivités participant à son financement.
La gouvernance du dispositif est par ailleurs modifiée, avec la création d'un comité de pilotage, associant les représentants de l'Etat et des régions, et d'un comité d'orientation, composé de personnalités qualifiées.
Au total, l'Etat devrait apporter aux pôles de compétitivité un soutien financier estimé à 450 millions d'euros sur trois ans.
L'an dernier, j'appelais de mes voeux cette nouvelle phase de la politique des pôles de compétitivité, impliquant davantage les collectivités concernées, et notamment les régions. Je me félicite donc de la pérennisation de ce dispositif.
Une enveloppe de 240 millions d'euros a été reconduite pour le financement des pôles d'excellence rurale (PER) de deuxième génération, sur la période 2010-2015, dont 159 millions d'euros intégrés dans un fonds ministériel mutualisé (FMM).
L'aide moyenne de l'Etat et de l'Union européenne a été revue à la hausse, avec un montant de 920 000 euros par PER de deuxième génération, au lieu de 680 000 pour ceux de première génération.
Les dotations inscrites au titre des PER dans le programme 112 sont de 8 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 22 millions d'euros en crédits de paiement.
Je me réjouis que l'efficacité des PER pour la dynamisation des espaces ruraux soit ainsi reconnue. Même si la compétitivité des territoires est décriée par certains, celle-ci les tire vers le haut avec des projets associant les collectivités territoriales et des partenaires privés.
S'il fallait encore une preuve que le Gouvernement ne trouve finalement pas si mauvais le système des pôles, il a décidé d'en créer cette année une troisième variante : les pôles territoriaux de coopération économique.
Le PTCE est présenté comme un groupement d'acteurs sur un territoire, qui mettent en oeuvre une stratégie commune de coopération et de mutualisation au service de projets innovants de développement local, avec une priorité à l'économie sociale et solidaire.
L'appel à projets pour les PTCE a été lancé le 15 juillet dernier. Il est bien sûr trop tôt pour avoir une évaluation précise des crédits afférents. Mais l'engagement de l'Etat ne devrait pas dépasser, sur trois ans, 300 000 euros par PTCE sélectionné. Dans l'attente, un montant de 2 millions d'euros seulement en autorisations d'engagement est inscrit pour 2014, ce qui représenterait 7 PTCE.
Le début des pôles territoriaux de coopération économique apparaît donc modeste. Mais il faut leur souhaiter un succès comparable à celui des autres catégories de pôles d'aménagement du territoire.
Le dispositif des contrats de projets Etat-régions (CPER), entrera en 2014 dans une période charnière. La programmation 2007-2013 portait sur un montant total de crédits contractualisés de 29,5 milliards d'euros, la part de l'Etat s'élèvant à 12,7 milliards d'euros.
A la fin 2013, le taux d'avancement des CPER devrait atteindre 81,7 % pour les crédits de l'Etat, loin de l'objectif théorique de 100 % sur les sept années d'exécution. La clôture des CPER sera donc retardée d'une année, afin de viser un taux d'exécution de 88 % à la fin de 2014.
La jonction pourra ainsi se faire avec la nouvelle génération des contrats de plan Etat-régions, pour la période 2014-2020. Ces CPER seront articulés avec la programmation des fonds européens, et organisés autour de thématiques resserrées. Pour les régions de métropole, ces thématiques seront au nombre de cinq : l'enseignement supérieur, recherche et innovation ; les filières d'avenir et usines du futur ; la mobilité multimodale ; la couverture numérique du territoire et nouveaux usages du numérique ; la transition écologique et énergétique.
Les crédits de la mission continuent de financer certaines politiques indispensables à l'attractivité des territoires ruraux, notamment l'accord national « Plus de services au public » et le programme de financement de maisons de santé pluri-professionnelles (MSP).
Ce programme, qui portait initialement sur 250 MSP pour la période 2010-2013, voit ses crédits renforcés de 5 millions d'euros, afin de contribuer au financement de 50 MSP supplémentaires.
Je me félicite du soutien apporté par l'Etat aux maisons de santé pluri-professionnelles, qui sont aussi largement financées par les collectivités territoriales. Mais je souligne que les MSP ne constituent qu'une solution partielle au problème du déclin de la démographie médicale en zone rurale. Je vous renvoie aux mesures préconisées par le groupe de travail de notre commission sur la présence médicale sur l'ensemble du territoire, avec Jean-Luc Fichet comme président et Hervé Maurey comme rapporteur, dont j'ai été membre. Certaines d'entre elles sont assez directives, et vont plus loin que le « Pacte territoires santé » présenté l'an dernier par le Gouvernement.
La deuxième composante de la mission « Politique des territoires » est le programme 162 « Interventions territoriales de l'État ». Le PITE est un outil pour mettre en oeuvre des actions caractérisées par un enjeu territorial majeur, par l'intervention d'une pluralité de programmes et par la nécessité d'une rapidité d'action de l'État. Sa gestion est confiée au ministère de l'intérieur, et la supervision de chaque action inscrite dans le programme relevant d'un ministère référent. La fongibilité des crédits au sein de cette enveloppe unique permet aux préfets de régions de disposer d'une réelle souplesse, et de s'adapter rapidement aux priorités et à l'évolution de chaque projet.
La première action du PITE est consacrée à la reconquête de la qualité de l'eau en Bretagne, à laquelle sont affectés 7,4 millions d'euros en autorisations d'engagement et 7,2 millions d'euros en crédits de paiement pour 2014. Ces crédits sont en baisse, le nombre de stations hors normes au regard de la concentration en nitrates étant désormais inférieur à 3 %. Cette action est réorientée vers le plan de lutte contre les algues vertes.
Le Programme Exceptionnel d'Investissement (PEI) en Corse est l'action qui bénéficie de la majeure partie des financements du PITE, avec 22,2 millions d'euros en autorisations d'engagement pour 2014. Pour la période 2014-2016, ces crédits sont affectés prioritairement aux infrastructures et équipements collectifs : stations d'épuration, abattoirs, réseaux haut débit.
La troisième action du PITE est consacrée au plan de sauvegarde du Marais Poitevin, auquel sont affectés 4,8 millions d'euros. Les objectifs de cette action sont atteints et, à la suite de la création en 2011 de l'établissement public du Marais Poitevin, elle devrait sortir du cadre du PITE à l'horizon 2016.
La quatrième et dernière action du PITE est constituée par le plan chlordécone en Martinique et en Guadeloupe, auquel sont consacrés 2,7 millions d'euros. On découvre chaque année, malheureusement, des ramifications nouvelles dans la pollution des sols et des eaux par ce pesticide extrêmement persistant, dont les effets sur la santé sont très graves. Cette action du PITE n'est donc, hélas, pas prête de s'éteindre.
Comme l'an dernier, le Gouvernement réfléchit toujours à inscrire une nouvelle action dans le PITE, qui concernerait le plan de dynamisation de la filière bois en Auvergne, Limousin et Bourgogne. Cette action présente une dimension interrégionale forte, mais doit encore trouver une articulation avec le plan lancé au niveau national pour l'ensemble de la filière bois. Bien d'autres régions que celles que je viens de citer sont concernées.
En matière d'aménagement du territoire, ce n'est pas tant le montant global des crédits qui importe, que la qualité des actions menées et l'effet levier qu'elles procurent pour un aménagement du territoire fondé sur une logique de projet plutôt que sur une logique de « guichet ». Je me félicite donc que le Gouvernement n'ait finalement pas renoncé à des outils qui ont fait la preuve de leur efficacité, tels la prime d'aménagement du territoire, les pôles de compétitivité, ou les pôles d'excellence rurale. Nous constatons que le « détricotage » annoncé de l'aménagement du territoire n'a pas eu lieu, et que toutes les politiques menées auparavant ont conservé leur place. Néanmoins, je crains que l'érosion continue des dotations de la mission « Politique des territoires » finisse par affecter même les dispositifs les mieux éprouvés. C'est pourquoi je ne voterai pas contre les crédits de cette mission, ce qui reviendrait à désavouer les politiques mises en place en 2005-2007, mais je m'abstiendrai.