Intervention de Jean-Patrick Courtois

Réunion du 22 novembre 2013 à 10h30
Gestion et conservation des scellés judiciaires — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Patrick CourtoisJean-Patrick Courtois, auteur de la question :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans son rapport annuel pour l’année 2006, la Cour de cassation constatait que « la non-conservation, de plus en plus fréquente et de plus en plus rapide, des pièces à conviction, après décision définitive, en application des dispositions de l’article 41-4 du code de procédure pénale, interdisant toute expertise complémentaire qui aurait pourtant pu être utile en raison des progrès scientifiques, est de nature à entraver la recherche de la vérité ». La Cour de cassation a réitéré ce constat à plusieurs reprises.

Les scellés jouent en effet un rôle essentiel dans la détermination de la vérité, aussi bien dans le cadre de la révision d’un procès que pour permettre d’identifier l’auteur d’un crime ou d’un délit.

Pourtant, la remarque précitée de la Cour de cassation n’a jamais été suivie d’effets. Des circulaires ont bien recommandé, en 1999 puis en 2011, d’allonger les délais de conservation des scellés, en tant que de besoin, mais les faits montrent que ces dispositions sont restées largement insuffisantes.

Le sujet n’est pas nouveau. Le Parlement n’est pas resté inactif ; j’ai relevé que plusieurs questions écrites ont été posées au Gouvernement pour connaître les solutions apportées à cette question de la conservation des scellés. La dernière initiative en date est celle de mon collègue Jean-Pierre Michel, dont la proposition de loi vise à conserver pendant trente années les objets placés sous main de justice en cas de condamnation, afin de permettre, le cas échéant, de mener de nouvelles investigations en cas de recours en révision.

Je remarque aussi que notre collègue Catherine Tasca a consacré plusieurs développements à la question des scellés dans son rapport pour avis sur le budget de la justice judiciaire pour l’année 2014.

Cette question est en effet fondamentale. Il m’a semblé opportun d’ouvrir ce débat parce que la bonne gestion des scellés conditionne en grande partie la qualité de la justice elle-même ; les avancées technologiques ont en effet permis de faire des scellés de véritables éléments de preuve.

Je souhaiterais tout d’abord rappeler brièvement les règles relatives à la conservation des scellés.

Le code de procédure pénale ne définit pas juridiquement le scellé et utilise indifféremment des expressions équivalentes telles que « objets placés sous main de justice » ou « objets placés sous scellés ». Le terme de « scellé » est donc un raccourci : le scellé n’est pas l’objet en lui-même, mais le procédé utilisé pour garantir que l’objet, pièce à conviction, est bien celui qui a été saisi.

Le placement sous scellés a une double fonction : assurer l’authenticité de l’objet saisi, mais aussi garantir son intégrité. Cet objet peut présenter, le cas échéant, le caractère d’une preuve plus ou moins essentielle à un double titre, en tant que tel, mais désormais surtout en raison des traces diverses qu’il peut recéler : ADN, sang, etc.

Le principe est par conséquent que les objets placés sous scellés doivent être conservés tant qu’ils sont utiles à la manifestation de la vérité.

Dans le cadre d’une enquête en cours, le code de procédure pénale prévoit que des objets qui ne sont pas utiles à la manifestation de la vérité peuvent être restitués, mais il faut l’accord de l’autorité judiciaire compétente. La question de la conservation des scellés ne se pose pas réellement à ce stade.

La question se pose, en revanche, quand la procédure s’achève par un classement, par exemple, ou après une décision définitive : dans ce cas, ces objets ne bénéficient plus de cette protection. Les règles de conservation des scellés sont alors fixées par l’article 41-4 du code de procédure pénale. Cet article prévoit que, six mois à compter de la décision de classement ou six mois après le prononcé de la décision par la dernière juridiction saisie, les objets deviennent propriété de l’État.

Après cette présentation rapide des règles applicables aux scellés, plusieurs constats peuvent être faits.

La durée incompressible de conservation des scellés imposée à l’État après la fin d’une procédure est particulièrement faible, puisqu’elle n’est que de six mois. Après cette période, l’État étant devenu propriétaire des objets, rien ne l’empêche d’en disposer librement : il peut les conserver, les vendre, mais aussi les détruire, ce qu’il fait le plus souvent. Le choix de conserver ou de faire détruire les objets dépend des magistrats du parquet. Pour des raisons d’organisation, la conservation des scellés pouvant être particulièrement lourde et très coûteuse, des destructions de scellés sont régulièrement opérées.

Ce délai de six mois résulte d’une modification introduite par la loi du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de la procédure pénale. Auparavant, la durée de conservation était de trois ans avant que les scellés ne deviennent propriété de l’État. L’État était donc tenu de les conserver au moins pendant cette durée avant de pouvoir procéder à leur destruction.

En 1999, la principale raison avancée pour réduire de trois ans à six mois le délai au-delà duquel l’État devient propriétaire des objets, et peut donc en disposer librement, était une raison de gestion : la conservation des scellés était à l’époque jugée très coûteuse. Dans son rapport sur le projet de loi, notre ancien collègue Pierre Fauchon observait ainsi : « Le projet de loi propose de ramener la durée légale de garde des objets à six mois, ce qui paraît être une mesure d’économie heureuse qui ne devrait pas nuire aux intérêts des propriétaires, la période de six mois étant suffisante lorsqu’un propriétaire souhaite la restitution de son bien. »

J’observe que la question d’un risque de destruction trop rapide des scellés n’avait pas été envisagée à l’époque. Cette mesure n’a cependant pas réduit les coûts ; elle n’a pas non plus résolu le problème de la mauvaise gestion des scellés, qui est resté récurrent.

Des scellés sont souvent perdus, éparpillés entre plusieurs tribunaux, nécessitant parfois des recherches longues et coûteuses pour les retrouver. Au-delà du gâchis d’énergie et de temps, c’est une source de très grande incompréhension, de colère aussi, pour les familles des victimes, pour lesquelles il est très difficile d’admettre que les recherches ne peuvent pas être relancées ou qu’une procédure ne peut pas aboutir parce que les scellés ont disparu ou ont été perdus.

La mauvaise gestion des scellés dépend donc, à mon sens, non pas de la durée pendant laquelle l’État est tenu de conserver les objets, mais bien plutôt de l’absence de véritables choix dans la gestion des scellés. Une politique mieux raisonnée qui viserait à déterminer les scellés devant être conservés permettrait probablement d’améliorer les conditions de leur conservation.

En effet, si conserver un scellé est important, le conserver dans de bonnes conditions est indispensable, car des évolutions techniques permettront à l’avenir de l’exploiter le cas échéant. Les progrès en la matière ont été importants, le plus connu étant la possibilité d’effectuer des analyses d’ADN.

Mais la manipulation sans précaution des scellés ainsi que leur conservation sans soin particulier obèrent les possibilités de mettre en œuvre de nouvelles techniques, ou fragilisent les résultats qui seront obtenus.

Dans le même ordre d’idées, en détruisant des scellés dont il est devenu propriétaire, l’État se prive plus radicalement de la possibilité d’utiliser les techniques nouvelles qui permettront demain d’exploiter des scellés aujourd’hui inutilisables. Plusieurs exemples récents ont montré que cette possibilité n’était pas théorique.

Dans mon propre département, l’association Christelle, dont je tiens ici à saluer le travail et la constance, m’a sensibilisé sur ce problème particulier des scellés, faisant état de plusieurs situations que je trouve particulièrement révoltantes.

Ainsi, les scellés relatifs à une affaire d’homicide survenue en 1986 ont été détruits en 2001, alors que la prescription n’était pas encore acquise, que l’affaire n’était pas résolue et qu’aucune analyse génétique n’avait été réalisée. Dans d’autres affaires, les scellés ont été pollués, ou perdus, ou n’ont jamais fait l’objet d’examen. Dans une affaire survenue en 1990, certains scellés ont même été renvoyés par erreur à la famille !

Je souligne que ce n’est pas un problème ancien qui affecterait des scellés recueillis à propos de vieilles affaires. J’ai des exemples datant de 1997, de 1999, et plus récents, même, de scellés tout aussi mal conservés, perdus, ou n’ayant pas fait l’objet d’analyse, ce qui a retardé les recherches, y faisant parfois même obstacle.

Des scellés mal conservés, perdus par les laboratoires, mais aussi inexploités, alors qu’ils pourraient fournir de précieux indices sont des obstacles parfois insurmontables et, en tout état de cause, ralentissent très fortement les enquêtes.

A contrario, des scellés conservés depuis de nombreuses années ont finalement pu être exploités, soit qu’ils aient été retrouvés, soit que les techniques nouvelles aient rendu possible leur analyse. Leur exploitation a alors permis des avancées très substantielles dans des dossiers parfois très anciens.

Cet été, les meurtres de deux fillettes à Voreppe, dans l’Isère, qui remontaient respectivement à 1991 et à 1996, ont connu une avancée significative grâce à l’exploitation de scellés prélevés à l’époque sur les lieux.

J’ai cité cet exemple, car il est parlant, mais de nombreuses autres affaires ont connu des avancées essentielles. Ces résultats n’ont été toutefois possibles que parce que la conservation des scellés avait été effectuée dans de bonnes conditions.

Je me demande si le fait que la plupart des scellés sont désormais susceptibles de prélèvements biologiques a bien été intégré par les services chargés de leur conservation…

Plus largement, je me suis interrogé aussi sur les modalités de conservation des scellés de prélèvements biologiques, qui nécessite la mise en place de protocoles coûteux et compliqués. Ce sont cependant des éléments essentiels pour élucider des affaires. Le recueil de ce type de scellés est-il développé ? Certains prélèvements biologiques nécessitent-ils des règles de conservation différentes ?

J’ajoute qu’une meilleure conservation des scellés résoudrait un paradoxe que je trouve assez frappant : les techniques de recueil des preuves sur les lieux d’une infraction se sont très fortement développées ; elles sont devenues très coûteuses, aussi. Mais le luxe de précautions déployé est inutile si, en aval, les scellés font l’objet d’une gestion défectueuse.

En dernier lieu, je souhaite revenir sur quelques pistes d’amélioration possibles, car il s’agit aussi et surtout d’un sujet pratique, lié aux contraintes inhérentes à la conservation des objets. Il me semble en effet que l’exercice consistant à dénoncer une situation sans proposer de solutions serait un peu vain.

Il me paraît tout d’abord important de réfléchir à la possibilité de ne conserver qu’une partie des scellés, ceux qui sont liés directement à la commission des infractions les plus graves ou à des infractions moins graves, mais dont l’élucidation permettrait des avancées dans une affaire criminelle, par exemple. La possibilité, déjà expérimentée en matière de trafic de drogue, consistant à ne conserver qu’une partie de l’objet saisi me semble aussi être une piste pouvant être étudiée.

Cette politique de conservation et de gestion des scellés pourrait être définie au niveau national, mais pourquoi ne pas mutualiser la gestion des scellés entre plusieurs tribunaux, à l’échelle, par exemple, d’un ressort de cour d’appel ? Cela serait pertinent pour les scellés dont la conservation est externalisée, c’est-à-dire réalisée en dehors du tribunal, par exemple, pour les véhicules.

Je remarque, par ailleurs, que les scellés de nature biologique font l’objet d’une conservation dans un lieu unique, le Service central de préservation des prélèvements biologiques, implanté à Pontoise depuis 2006 et placé sous la responsabilité de la gendarmerie nationale. J’observe qu’il s’agit d’un cas assez rare de mutualisation des moyens entre police et gendarmerie, la gendarmerie assurant la gestion de ces scellés également pour le compte de la police.

J’observe que la circulaire du 13 décembre 2011 relative à la conservation des scellés rappelle que le procureur de la République peut décider de conserver les scellés au-delà de la durée de six mois, notamment s’il n’exclut pas l’ouverture d’une nouvelle information avant l’expiration du délai de prescription.

Eu égard aux nombreuses circulaires prises pour assurer une gestion efficace des scellés, mais dont l’effectivité, au regard de l’expérience, a été très relative, il me paraît nécessaire d’opérer une réforme en profondeur du cadre juridique actuellement applicable, c’est-à-dire l’article 41-4, du code de procédure pénale, afin de mieux préciser les règles de conservation des scellés après qu’une décision définitive a été rendue.

Sans revenir sur la durée de six mois à l’issue de laquelle l’État devient propriétaire des scellés – ce mécanisme permet en effet de détruire rapidement les objets ne présentant pas d’intérêt –, on pourrait envisager une obligation de conservation des scellés alignée sur la durée de prescription applicable en matière de crime quand les objets placés sous scellés sont en lien direct avec la commission d’actes criminels.

Cela permettrait de mettre fin au décalage, que je trouve assez choquant, entre une durée de prescription de dix ans et la possibilité de détruire dans les six mois d’une décision définitive des éléments pouvant permettre de relancer l’enquête.

En contrepartie d’une conservation non seulement plus longue, mais aussi mieux effectuée de ces scellés bien précis, tous les autres pourraient faire l’objet d’une destruction ou d’une aliénation quasi systématique, dès que le transfert de propriété à l’État serait intervenu.

Je pense enfin qu’il est illusoire de prétendre améliorer la gestion des scellés sans augmenter les ressources qui y sont dédiées. Toutefois, une gestion améliorée via la sélection plus fine des scellés devant être conservés et la destruction ou l’aliénation plus rapides des autres scellés, devrait sans doute permettre de dégager des marges de manœuvre non négligeables, susceptibles d’améliorer la gestion globale.

Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir accepté de répondre à ma question.

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