Madame la ministre, je tiens tout d’abord à m’associer aux propos de notre collègue Jean-Patrick Courtois, dont la question, tout à fait opportune, méritait une réponse de votre part dans cet hémicycle. Je vous remercie à mon tour d’être parmi nous ce matin.
Comme vous l’avez rappelé, mon cher collègue, cette question fait suite à d’autres initiatives parlementaires, notamment à des questions écrites, parmi lesquelles je retiendrai celle du président Warsmann, en date du 13 juillet 2010, ainsi que celle, plus récente, de votre collègue députée de Saône-et-Loire, Cécile Untermaier, du 4 décembre 2012.
Chaque année, environ 500 000 pièces de toute nature sont placées sous main de justice. Or un certain nombre de scandales répétés ont amené les autorités judiciaires à s’inquiéter de la façon dont les scellés étaient conservés. À titre d’exemple, j’évoquerai la retentissante arrestation, en 2009, du concierge du tribunal de grande instance de Saintes, qui arrondissait ses fins de mois en revendant des scellés…
Plus grave encore à mes yeux, quelques mois plus tard, on constatait que des pièces à conviction très importantes avaient été subtilisées – ou n’existaient plus – dans le dossier Robert Boulin. Comment, s’il n’y a plus de pièces dans le dossier, les héritiers de Robert Boulin ont-ils la moindre chance de faire reconnaître ce qui n’est encore que leur vérité, à savoir que le ministre ne s’est pas suicidé ?
La Cour de cassation, comme vous l’avez dit, a dénoncé à plusieurs reprises les conditions de gestion des scellés et relevé que la non-conservation de plus en plus fréquente, voire de plus en plus rapide, des pièces à conviction après la décision définitive risquait d’entraver la recherche de la vérité.
L’Inspection générale des services judiciaires, notamment après les scandales de 2009, a rendu un rapport absolument confondant et sans appel à la suite de déplacements dans une dizaine de tribunaux : les juridictions ne seraient pas en mesure de connaître avec précision leur stock de scellés, ni de faire des recherches ou d’éditer un inventaire par type ou par dossier, et 50 % des tribunaux seraient dans l’incapacité de chiffrer les armes qu’ils détiennent… Cela peut donc constituer non seulement une entrave à la justice, mais aussi une menace pour la sécurité publique.
Cette question est toutefois moins simple qu’il n’y paraît au premier abord. En effet, les scellés peuvent être de nature très différente, allant du mouchoir de poche à de grosses cylindrées, en passant par de l’argent liquide ou des quantités importantes de stupéfiants, notamment d’héroïne…
La conservation, qui recouvre de multiples aspects, touche à la détermination des pièces à conserver, à leur enregistrement, à leur stockage, à leur restitution éventuelle, à leur aliénation et à leur destruction. Elle suppose également que la traçabilité, le contrôle ainsi que la sécurisation des scellés soient assurés et que les conditions soient adaptées.
Par ailleurs, la gestion des scellés doit répondre à un certain nombre d’objectifs qui, il faut le reconnaître, sont souvent contradictoires et dont la conciliation est une source de difficulté : contrôler et maîtriser les saisies d’objets sous l’autorité et sur la seule décision du parquet ou du juge chargé de l’enquête ; devoir allonger, dans certaines hypothèses, les délais de conservation des objets afin de prendre en compte la possibilité d’évolutions scientifiques et techniques susceptibles de contribuer à la manifestation de la vérité ; mettre à exécution les peines de confiscation tout en assurant la protection du droit de propriété et, enfin, conserver les biens sous la responsabilité du directeur du greffe – on a vu ce qui s’est passé à Saintes ! – dans des conditions optimales de sécurité, le tout en garantissant la maîtrise des dépenses publiques…
Il est indéniable que l’interdépendance de tous ces intérêts, ainsi que le nombre et la diversité des acteurs intervenant dans le processus de conservation et de gestion des scellés, complique l’application du droit positif et la pratique de la gestion en la matière.
En effet, la chaîne de traitement des scellés n’inclut pas uniquement le directeur du greffe et les fonctionnaires du service des scellés, mais la gestion intéresse également le procureur général ou le procureur de la République, en particulier pour autoriser ou contrôler la saisie et le dépôt ou la sortie du bien, l’ensemble des services du parquet et de la chaîne pénale, pour assurer l’enregistrement des différents événements afférents à la vie des scellés aux fins de traçabilité et de suivi – bureau d’ordre, service de l’audiencement, greffe correctionnel, service de l’exécution des peines… –, l’ensemble des magistrats du siège – juges d’instruction, juridictions de jugement telles que la cour d’assises, le tribunal correctionnel, le tribunal pour enfants, le juge des enfants ou encore le tribunal de police – pour statuer sur le sort des scellés, le premier président et le président du tribunal de grande instance en tant que chefs d’établissement.
La gestion des scellés nécessite par ailleurs de nombreuses relations avec des partenaires institutionnels, soit en amont de la chaîne de traitement, je pense aux services enquêteurs ou à la Caisse des dépôts et consignations, soit en aval, je songe à France Domaine, singulièrement à la Direction nationale d’interventions domaniales, au ministère de la défense, aux services spécialisés de la police et de la gendarmerie, ainsi qu’à la Direction de la sécurité civile.
Tous ces éléments expliquent en partie l’aspect quelque peu brouillon que revêt la question des scellés au sein du ministère de la justice. Cependant, les difficultés ont été dénoncées à plusieurs reprises, notamment par l’Inspection générale des services judiciaires, qu’il s’agisse de l’afflux croissant de dépôts, de la hausse des frais de justice, de l’encombrement des locaux de scellés, ou des risques en termes de sûreté, d’hygiène et de sécurité.
Jean-Patrick Courtois estimera sans doute comme moi que, depuis votre nomination à la tête du ministère de la justice, vous apportez des solutions à bien des problèmes restés pendants ou mal traités. Nous espérons donc que vous saurez apporter également une solution à cette très importante question.
C’est en ce sens que j’ai déposé, avec un certain nombre de mes collègues, une proposition de loi – elle-même reprise d’une proposition de loi antérieure – sans doute incomplète et méritant d’être affinée.
En effet, le perfectionnement permanent des techniques d’analyse, notamment de l’ADN, montre que l’on ne peut exclure de résoudre à l’avenir des affaires non élucidées, ni même d’innocenter des condamnés bien après le prononcé d’un verdict. Toutes ces raisons me font dire qu’il s’agit d’une question très importante.