Intervention de Ronan Dantec

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 27 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « ecologie » crédits « transports routiers » - examen du rapport pour avis

Photo de Ronan DantecRonan Dantec, rapporteur :

Nous examinons aujourd'hui les crédits consacrés aux « transports routiers » dans le projet de loi de finances pour 2014. Ces crédits figurent au programme budgétaire 203 « Infrastructures et services de transport » de la mission « Ecologie, développement et mobilité durables ». Ils sont complétés par des fonds de concours de l'AFITF et des collectivités territoriales.

Ce budget est devenu en partie théorique avec la suspension de la taxe poids lourds. Celle-ci devait en effet rapporter 760 millions d'euros à l'AFITF, en année pleine, sur un budget total de 2,2 milliards d'euros, soit le tiers de ce montant. Lors de la présentation de l'avis budgétaire sur les transports ferroviaires, Roland Ries est déjà revenu sur la genèse et les objectifs de l'écotaxe.

Ma conviction est que cette taxe poids lourds - qui a d'ailleurs davantage les caractéristiques d'une redevance - doit entrer en vigueur assez rapidement. C'est la raison pour laquelle je souhaite par ce rapport apporter une contribution au débat en cours et proposerai un certain nombre de mesures pour la rendre opérationnelle. L'Assemblée nationale a créé une mission d'information à ce sujet, il serait regrettable que le Sénat ne s'associe pas à la réflexion. J'ai, dans ce but, procédé à l'audition de plusieurs des acteurs concernés : Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer et ses services ; Philippe Duron, président de l'AFITF ; la société Ecomouv' ; la fédération nationale des transports routiers (FNTR) ; la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ; l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) ; M. Claude Rault, transporteur breton ; sans oublier les sociétés autoroutières, qui sont indirectement concernées par le dispositif.

Je reviendrai également sur le dispositif du bonus-malus écologique, en analysant le compte d'affectation spéciale « aides à l'acquisition de véhicules propres ». Sur ce sujet aussi, j'ai pris le temps cette année de recueillir plusieurs avis : auprès de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) ; de l'Ademe ; des constructeurs automobiles français ; du club des véhicules écologiques ; ou encore de France nature environnement.

L'analyse des crédits du projet de loi de finances pour 2014 fait apparaître les tendances suivantes :

L'action 1 consacrée au « développement des infrastructures routières » est intégralement composée de fonds de concours de l'AFITF et des collectivités territoriales, estimés pour 2014 à un total de 1,109 milliard d'euros en crédits de paiement, dont 753 millions provenant de l'AFITF. En volume, ce montant correspond presque exactement aux recettes d'écotaxe que l'AFITF est censée récupérer en année pleine. Sa suspension pose dès lors de fortes interrogations sur la manière dont ces sommes vont être compensées au profit du développement des infrastructures routières.

Ces fonds de concours doivent en effet permettre la poursuite d'opérations telles que la route centre Europe Atlantique, l'A 34 et la RN 88, l'achèvement du volet routier des contrats de plan 2000-2006 et la poursuite des programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI).

L'action 12, qui concerne l'« entretien et l'exploitation du réseau routier national » est évaluée à 340,8 millions d'euros en crédits de paiement, en très légère diminution par rapport à la loi de finances initiale pour 2013 (de 0,35 %). Elle devrait être complétée par des fonds de concours, à hauteur de 330 millions d'euros, en augmentation de 3,6 % par rapport à ce qui était annoncé en loi de finances initiale pour 2013. Mais la majorité de ces crédits entre dans le périmètre de compétences de l'AFITF et soulève donc à nouveau les mêmes questions.

L'action 13, intitulée « soutien, régulation, contrôle et sécurité des services de transports terrestres » est transversale aux différents modes de transports terrestres. Elle vise à soutenir le report modal, à assurer un fonctionnement concurrentiel équitable des secteurs de transport, à soutenir les mesures de prévention contre les accidents et à accompagner les professions en difficulté. Ses crédits s'élèvent à 54,1 millions d'euros en crédits de paiement, auxquels devraient s'ajouter des fonds de concours et attributions de produits (38,9 millions en crédits de paiement).

Globalement, si nous étions sûrs que l'intégralité du manque à gagner résultant de la suspension de l'écotaxe poids lourds était compensée, je dirais que les crédits consacrés à la route sont stables. Mais l'hypothèque que constitue la suspension de cette taxe est lourde de conséquences.

Cette suspension va immanquablement retarder nombre de projets d'infrastructures. Les deux premiers reports de la mise en oeuvre de la taxe intervenus cette année pour des raisons techniques, ont déjà conduit l'AFITF, d'une part, à utiliser les crédits de son fonds de roulement, d'autre part, à ralentir l'exécution de projets inscrits dans le cadre des programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) et des contrats de plan Etat-régions. Les crédits de paiement alloués aux PDMI ont par exemple chuté, de 380 millions à 336 millions d'euros, entre le budget prévisionnel adopté en fin d'année 2012 et la dernière décision modificative intervenue début octobre 2013, après l'annonce du deuxième report de l'entrée en vigueur de l'écotaxe. Or, le taux d'avancement des PDMI, censés couvrir la période 2009-2014, est déjà bien faible, puisqu'il ne devrait atteindre que 42% à la fin de l'année 2013.

Parmi la liste des projets que devrait financer l'AFITF en 2014, publiée dans le projet annuel de performance, avant l'annonce de la suspension de l'écotaxe, figurent notamment : la poursuite des travaux de construction des LGV Est Européenne (seconde phase), Sud-Europe-Atlantique (Tours-Bordeaux), Bretagne-Pays de la Loire et du contournement ferroviaire de Nîmes-Montpellier ; la poursuite des aménagements pour l'autoroute ferroviaire atlantique ; le financement des appels à projets en cours pour les transports collectifs urbains ; la poursuite du soutien au programme d'équipement du réseau ferré national en radiotéléphonie GSM R, du financement des programmes de mise en sécurité des tunnels routiers et ferroviaires, des suppressions de passages à niveau, et des mises aux normes des infrastructures pour leur accessibilité aux personnes à mobilité réduite.

Mais l'enjeu de la mise en oeuvre effective et rapide de cette taxe n'est pas seulement budgétaire. Il s'agit de faire payer aux poids lourds le juste prix de l'usage - actuellement gratuit - du réseau routier national non concédé et de certaines routes départementales ou communales, tout comme les entreprises de fret ferroviaire paient des péages pour l'usage des voies ferrées.

De ce fait, cette taxe s'apparente davantage à une redevance qu'à une taxe. Le calcul de ses taux, encadré par la directive « Eurovignette », doit refléter les coûts d'usage de la route. L'écotaxe est donc une application concrète du principe de l'« utilisateur-payeur », avant même de celui du « pollueur-payeur »...

Renoncer à son entrée en vigueur condamnerait l'Etat et les collectivités territoriales à continuer d'assumer l'entretien des routes par l'impôt, alors qu'il semble plus logique que ce soient ses usagers - français comme étrangers d'ailleurs, je voudrais insister sur ce point - qui le fassent. Aujourd'hui, les camions étrangers bénéficient d'un service sans apporter aucune recette.

De plus, je rappelle que l'écotaxe a été assortie d'un mécanisme de répercussion, qui fait payer aux utilisateurs des transports, c'est-à-dire aux chargeurs, les surcoûts du transport qu'elle engendre. Elle protège donc - en théorie - les transporteurs routiers.

L'écotaxe doit inciter les acteurs à rationaliser leur usage de la route, en réduisant, par exemple, le nombre de voyages à vide et en augmentant la charge des camions. Il s'agit aussi d'inciter au report modal, même si ce n'est pas l'objectif premier de la taxe. Dans un pays comme l'Allemagne, la mise en place de la taxe kilométrique s'est accompagnée d'une augmentation du fret ferroviaire. Mais la situation est un peu différente, puisque l'Allemagne n'avait pas de péages et que cette taxe lui rapporte plus de quatre milliards d'euros par an.

Il convient d'agir dès à présent, pour trouver une solution rapide et pérenne, en utilisant plusieurs leviers. Nous devons répondre aux difficultés rencontrées par la filière agricole et agroalimentaire. Certes, l'écotaxe n'est qu'un prétexte pour mettre à jour des difficultés qui vont bien au-delà de sa mise en oeuvre ; mais ne pourrait-on saisir cette occasion pour aborder ces difficultés en profondeur ? Il est temps de s'attaquer à la question des relations entre les producteurs et la grande distribution. La crise de l'écotaxe montre à quel point la grande distribution est un facteur déstabilisant de l'économie française. La piste d'une mention obligatoire du surcoût lié à l'écotaxe en pied de la facture du producteur a été évoquée. Il n'y a pas de solution miracle, mais il semble indispensable d'assainir ces relations.

D'autres solutions concrètes existent pour soulager les agriculteurs. Nous avons déjà exonéré, par la loi du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports, les camions citernes destinés au transport du lait. La FNSEA n'a pas demandé la disparition de l'écotaxe, mais l'exonération du transport du produit non fini. Ce n'est pas la même chose. Nos marges de manoeuvre sont certes contraintes, car ce type d'exonérations est très encadré par la directive Eurovignette. Mais nous pouvons opter pour trois mesures concrètes, en conformité avec cette directive : l'exonération des véhicules utilisés pour le transport de carcasses et de déchets d'animaux, l'exonération des véhicules qui transportent des animaux vivants, à condition que ces véhicules ne sortent pas d'un rayon de 50 kilomètres, limite qui nous est imposée par l'Union européenne ; l'exonération des véhicules utilisés par des entreprises d'agriculture. Pour être précis, les textes européens évoquent les « véhicules utilisés par des entreprises d'agriculture, d'horticulture, de sylviculture, d'élevage ou de pêche pour le transport de biens dans le cadre de leur activité professionnelle spécifique dans un rayon allant jusqu'à 100 km autour du lieu d'établissement de l'entreprise. » J'interprète ce texte comme la possibilité d'exonérer toutes les matières agricoles exploitées en amont du produit fini.

J'ai une attitude pragmatique : si nous voulons sortir de la crise avec le monde agricole, nous devons mettre des exonérations sur la table.

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