Intervention de Ronan Dantec

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 27 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « ecologie » crédits « transports routiers » - examen du rapport pour avis

Photo de Ronan DantecRonan Dantec, rapporteur :

En tout cas, il faut mettre sur la table des exonérations pour le monde agricole.

Il y a un point qui n'a pas été assez vu jusqu'à présent : l'écotaxe est un facteur clair de concentration du transport routier et son application concrète désavantage les petites entreprises de transport. Or, ce n'est pas l'objectif de l'écotaxe. Nous pourrions donc affirmer que sa mise en oeuvre doit se faire sans qu'à aucun moment, les « gros » ne soient favorisés par rapport aux « petits ». C'est un point important.

Il y a deux types de redevables de l'écotaxe : les abonnés et les non-abonnés. Les abonnés souscriront un contrat avec une société habilitée de télépéage (SHT). C'est la SHT qui acquittera la taxe auprès d'Ecomouv' et la facturera ensuite à ses clients. Il n'y aura donc pas besoin, pour les transporteurs, d'avancer l'argent. En contrepartie, les SHT auront le droit de refuser d'offrir leur prestation à une entreprise qui ne présenterait pas suffisamment de garanties financières, afin d'éviter les impayés. On voit bien que les SHT vont se tourner en priorité vers les « gros » transporteurs, même si l'actualité récente a montré que ces derniers pouvaient aussi avoir des difficultés.

C'est ce dernier point qui pose problème, dans la mesure où les abonnés bénéficieront d'un abattement de 10 %. Il faut donc réfléchir peut être à un système d'assurance, qui offrirait la possibilité à davantage d'entreprises de bénéficier de l'abonnement et, partant, de cet abattement de 10 % sur l'écotaxe. Il ne saurait y avoir de possibilité d'abonnement réservée aux « gros » transporteurs et non accessible aux « petits ».

Pour la deuxième catégorie de redevables, les non-abonnés, le montant de la caution requis pour disposer de l'équipement embarqué nécessaire à la collecte de la taxe, soit 100 euros, a été dénoncé. Multiplié par le nombre de camions et dans un contexte économique plus que fragile pour les transporteurs, cette caution peut poser des problèmes de trésorerie. Avons-nous besoin de cette caution ? En tout cas, nous devons certainement la remettre à plat, voire aller vers sa suppression. Ce sont des mesures simples techniquement pour éviter que l'écotaxe ne favorise les « gros » par rapport aux « petits ». L'inacceptation sociale de l'écotaxe est beaucoup liée à cette difficulté, ce qui avait été assez peu vu jusqu'à présent.

Plus largement, et je fais référence au rapport de Fabienne Keller dont nous avions discuté ici, il est temps de s'attaquer à un sujet beaucoup plus vaste, celui du dumping social. Le secteur des transports routiers est extrêmement concurrentiel. Nombre d'entreprises emploient des travailleurs détachés. La question du contrôle est essentielle. L'Etat ne devrait-il pas renforcer ses moyens de contrôle pour limiter les nombreux abus ? Puisque l'écotaxe est accompagnée d'un système de contrôle, n'y a-t-il pas moyen de la mettre au service de ces contrôles ? Ce sont des questions qu'on ne s'est jamais posées jusqu'à aujourd'hui. Je ne sais pas ce qu'il est possible de faire techniquement, mais je pose la question, pour essayer de trouver des synergies.

Sur Ecomouv', je voudrais rappeler que le système mis en place appartiendra in fine à l'Etat. Je ne prends pas position sur les conditions d'attribution du marché, puisqu'une commission d'enquête a été créée à cette fin. Le Conseil d'Etat s'est déjà prononcé sur le sujet. Même si le coût de gestion dépasse 20 % aujourd'hui, en raison des investissements de départ, à terme, il devrait plutôt atteindre 10 %.

Un autre type de concurrence a aussi été évoqué lors de mes auditions : celle des véhicules qui ont tout juste moins de 3,5 tonnes, et qui, de ce fait, ne sont pas soumis aux mêmes réglementations en termes de temps de conduite et seront dispensés d'écotaxe.

Comment fait-on pour rassurer les petits transporteurs ? Ne faudrait-il pas qu'une partie des recettes de l'écotaxe, un certain nombre de dizaines de millions d'euros, servent à la modernisation de leur flotte ? Il y a des mesures d'accompagnement du secteur à réinventer. Celui-ci se concentrera très certainement progressivement, mais nous ne devons pas mettre sur la table des mesures qui l'imposent.

Je voudrais aussi poser la question de la circulation des 44 tonnes, autorisée par décret en décembre 2012, sans aucune contrepartie de la part des transporteurs concernés, alors que ces camions occasionnent des dégâts sur nos routes, surtout pour les ensembles ne disposant que de 5 essieux. D'après la DGITM, leur circulation engendre un surcoût d'entretien qui peut aller jusqu'à 4 % sur les routes à faible trafic. L'association des sociétés françaises d'autoroutes nous a remis une étude, qui figurera en annexe du rapport. Il faut à mon sens augmenter le taux de l'écotaxe pour les poids lourds de 44 tonnes, ce qui augmenterait sa recette.

Enfin, il a beaucoup été question du report de trafic sur le réseau autoroutier que pourrait engendrer cette taxe. Le ministère de l'écologie a estimé que ce report de trafic engendrerait une augmentation des recettes des péages comprise entre 250 et 400 millions d'euros, ce que contestent en partie les sociétés d'autoroute. Il semble en réalité indispensable de mettre en place un dispositif de mesure de ce report de trafic, une sorte de « point 0 », capable de fournir l'évolution du trafic liée à la mise en oeuvre de la taxe, et non susceptible de contestations. Le délégué général de l'Association française des sociétés d'autoroutes (ASFA) que j'ai rencontré en a approuvé le principe.

Ce n'est qu'à partir de données fiables et objectives que l'Etat pourra, dans un second temps, réfléchir à une récupération éventuelle de l'effet d'aubaine créé par la mise en oeuvre de la taxe pour les sociétés d'autoroutes. Évidemment, ces dernières sont vivement opposées à cette mesure mais elle me semble légitime, puisque c'est l'Etat qui en a décidé la mise en place, avec un impact positif sur les recettes des concessions autoroutières. Je rappelle que ces dernières sont quand même nettement bénéficiaires, même si certaines prévisions de trafic ont été revues à la baisse.

J'en viens au bonus-malus écologique, qui vise à inciter les acheteurs de véhicules neufs à choisir des véhicules moins polluants et les fabricants d'automobiles à investir dans ces technologies. Ce dispositif fait régulièrement l'objet d'ajustements, pour assurer son équilibre budgétaire, d'une part, mais aussi pour suivre l'évolution de la technologie, d'autre part. L'année dernière, j'avais été assez critique sur l'absence d'évaluation du dispositif. Cette année, j'ai obtenu des réponses plus précises.

Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit la création d'une nouvelle tranche de véhicules soumis à malus, et une augmentation de son montant pour les véhicules déjà taxés. En parallèle, un décret du 30 octobre dernier a réduit les montants des bonus et les a recentrés sur les véhicules électriques et hybrides. Au total, les dépenses prévisionnelles au titre du bonus sont évaluées pour 2014 à 269,9 millions d'euros.

Je comprends la nécessité d'oeuvrer à un retour à l'équilibre budgétaire, qui est au fondement même d'un dispositif de bonus-malus. Je regrette toutefois la diminution sensible des aides accordées aux petits véhicules thermiques essence - segment sur lequel les constructeurs français sont bien positionnés : les véhicules qui émettent entre 61 et 90 g de CO2 voient leur bonus passer de 550 euros à 150 euros, somme qui paraît peu incitative, et les véhicules qui émettent entre 91 et 105 g de CO2 n'auront plus de bonus, alors qu'ils avaient un bonus de 200 euros auparavant.

Or, le bonus-malus ne doit pas seulement servir à subventionner les véhicules électriques ou hybrides, dont les coûts d'achat sont relativement plus élevés. L'achat des petits véhicules thermiques les moins polluants devrait aussi être encouragé. Il s'agit de secteurs sur lesquels nos constructeurs sont bien positionnés. Je questionne donc ce choix. Les constructeurs automobiles nous ont fait part de leur besoin de disposer d'une doctrine stable. J'estime pour ma part que nous sommes encore dans une année intermédiaire.

Pour financer cette mesure, il suffirait de réduire encore le seuil d'émission à partir duquel les véhicules sont soumis à un malus. Ainsi, la tranche dite des « neutres », c'est-à-dire des véhicules qui ne font l'objet ni d'un bonus ni d'un malus, et qui représente près de la moitié des véhicules neufs, serait réduite, ce qui renforcerait le caractère incitatif du dispositif.

J'en viens au parc diesel. Certains constructeurs font reposer leur stratégie future sur le diesel, et la motivent par l'entrée en vigueur de la norme EURO VI qui est extrêmement exigeante en termes d'émissions d'oxydes d'azote et de particules fines. Je reste pour ma part très inquiet sur la validité du postulat suivant lequel le diesel est l'avenir de l'automobile et les conséquences qu'il pourrait avoir sur la filière automobile française. Les chercheurs ont constaté ces dernières années, que ce soit pour les véhicules diesel ou à essence, un décalage entre les valeurs d'émissions mesurées lors de l'homologation du véhicule et les valeurs d'émissions effectivement constatées lorsque celui-ci est conduit « en utilisation normale ». Le discours anti-diesel ne va pas disparaître, il faut être vigilant et savoir adapter notre technologie en conséquence, faute de quoi il pourrait y avoir une déstabilisation de notre filière automobile. C'est un vrai risque industriel. Autre sujet d'inquiétude exposé par l'Ademe : les « émissions secondaires », c'est-à-dire l'apparition de particules nocives, non visibles à la sortie du pot d'échappement, mais qui se forment au bout de quelques heures dans l'air... Reste enfin la question du parc existant. Ne faudrait-il pas une sorte de prime à la casse pour faire disparaître les véhicules très polluants ?

Dans l'attente de précisions sur la façon dont l'écotaxe va être compensée, et pour reprendre la même expression que Roland Ries, je vous propose d'adopter un avis favorable « d'attente » aux crédits consacrés aux transports routiers dans le projet de loi de finances pour 2014.

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