Comme chaque année désormais, l'examen du programme n° 137 : « égalité entre les femmes et les hommes » nous donne l'occasion de dresser un bilan des politiques mises en oeuvre pour faire progresser l'égalité et améliorer la lutte contre les violences.
Ce programme porte des subventions allouées à un important réseau d'associations nationales et locales pour des missions au long cours ou des projets ponctuels. De taille modeste, il n'a pas vocation à prendre en charge dans leur intégralité des politiques publiques, mais à exercer un effet levier en incitant des partenaires publics et privés à s'investir dans un certain nombre de projets. Il ne représente qu'une partie de l'effort engagé par le Gouvernement en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes.
En 2014, ses crédits s'élèveront à 24,26 millions d'euros, en hausse de 3,4 % par rapport à 2013, ce qui constitue un effort important dans l'actuel contexte de maîtrise des dépenses publiques. Vous trouverez dans mon rapport le détail des associations et projets qui bénéficient des crédits d'intervention du programme : au risque de saupoudrage répond la nécessité d'agir dans de nombreux domaines, en suscitant l'implication d'acteurs divers. Cette année, une attention particulière est accordée à l'accompagnement des personnes prostituées ou victimes de la traite, avec une enveloppe dédiée de 2,39 millions d'euros.
Les associations peinant à faire face à l'augmentation de leurs charges et à remplir leurs missions dans de bonnes conditions, le ministère des droits des femmes s'est engagé dans une démarche de contractualisation sur trois ans : des conventions d'objectifs sont conclues avec les principales associations, ce qui sécurise leur financement en contrepartie de la réalisation d'un certain nombre d'objectifs. Les représentantes d'associations que j'ai rencontrées ont salué cette démarche qu'elles réclamaient depuis longtemps.
En matière d'égalité dans le domaine économique, le ministère des droits des femmes s'est fixé pour objectif d'accroître de dix points d'ici 2017 la place des femmes dans la création ou la reprise d'entreprises. Des actions d'information et de formation sont également conduites ; un accord-cadre national a été conclu avec Pôle Emploi le 28 juin 2013 et 19 conventions ont été signées avec de grandes entreprises afin de les sensibiliser à la promotion des femmes aux postes à responsabilités et à la levée du « plafond de verre ».
L'effort du Gouvernement en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes ne se réduit pas au programme n° 137. Il a commencé par la création d'un ministère de plein exercice dédié aux droits des femmes. La ministre, Najat Vallaud-Belkacem, a mené cette année avec résolution une importante activité institutionnelle marquée par la création du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, confié à Danielle Bousquet, et de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), animée par Ernestine Ronai.
L'activité normative a également été soutenue : les questions liées à la parité et à la lutte contre les violences ont été au coeur du débat public en 2013, qu'il s'agisse des mesures votées dans le cadre de la loi du 5 août 2013, du projet de loi relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes que nous avons récemment adopté, ou encore des nombreux textes de droit électoral examinés cette année. Enfin, la question de l'égalité a participé du renforcement du dialogue social initié avec la conférence sociale de juillet 2012 et déjà décliné dans trois accords, dont l'accord national interprofessionnel du 19 juin 2013.
La dimension interministérielle de la politique en matière d'égalité conduit à confier la responsabilité de sa mise en oeuvre à plusieurs autres programmes du projet de loi de finances pour 2014. Le document de politique transversale retrace en principe l'effort global de l'État en faveur de cette politique, mais un tiers des programmes identifiés ne bénéficient pas de crédits chiffrés. Au total, l'effort financier consenti par l'État devrait s'établir pour 2014 à un peu plus de 200 millions d'euros (+ 5,46 % par rapport à 2012).
La question des violences faites aux femmes revêt une importance particulière. Le Gouvernement a dévoilé vendredi le quatrième plan interministériel de lutte contre les violences. Les violences conjugales, commises dans le huis-clos du foyer familial, sont par nature cachées, insidieuses et trop souvent tues. À peine un dixième des femmes victimes de violences conjugales portent plainte. Peu d'entre elles osent consulter un médecin ou se rendre dans une association. Les plateformes d'écoute téléphoniques jouent un rôle essentiel - là est souvent la première main tendue à la femme victime. Au niveau national, il existe deux plateformes téléphoniques gérées par des associations grâce aux subventions allouées par l'État. La Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) gère depuis juin 1992 le service téléphonique « Violences Femmes Info - 39 19 ». Ce numéro, gratuit depuis 2008 sauf pour les appels émanant de certains opérateurs de téléphonie mobile, offre aux femmes victimes de violences conjugales, à leur entourage mais également aux professionnels concernés une écoute, des conseils et une orientation. Le Collectif féministe contre le viol gère quant à lui depuis mars 1986 une permanence téléphonique destinée aux femmes victimes de violences sexuelles. L'appel est gratuit.
Pour des raisons budgétaires, ces deux plateformes peinent à répondre à l'ensemble des appels reçus, appels dont le nombre augmente sensiblement dans les semaines suivant les campagnes d'information à destination du grand public. Je me suis rendue dans les locaux du 39 19 : 19 écoutantes assurent 78 heures de permanence hebdomadaires - un appel dure en moyenne une vingtaine de minutes. Le travail de l'écoutante consiste avant tout à rassurer la victime, à lui expliquer qu'elle n'est pas responsable des faits qu'elle a subis puis à rechercher avec elle une solution, au besoin en l'orientant vers une association d'aide aux victimes. Je rends hommage au professionnalisme de ces personnels et à leur implication sans faille.
Le Gouvernement a décidé de prendre appui sur le 39 19, aujourd'hui spécialisé sur les questions de violences conjugales, pour mettre en place un numéro de référence unique qui prendra en charge les appels concernant l'ensemble des violences contre les femmes. À compter du 1er janvier prochain, il sera gratuit et accessible sept jours sur sept depuis l'ensemble des téléphones. Pour ce faire, une dotation supplémentaire de 300 000 euros sera allouée à la FNSF.
Les modalités d'articulation de ce nouveau dispositif avec les autres numéros existants et l'action d'associations plus spécialisées sont en cours de définition. Le projet du Gouvernement ne consiste pas à faire du 39 19 le seul numéro d'appel en matière de violences faites aux femmes mais à en faire une porte d'entrée en matière d'écoute. Il faudra rapidement tirer un bilan de l'expérience et veiller à ce que l'association gestionnaire ait les moyens de faire face à l'augmentation prévisible de son activité.
Après la première écoute vient souvent le temps de la plainte. Les témoignages que j'ai reçus font état d'une réelle amélioration et d'une meilleure prise en compte par les forces de police et de gendarmerie. Il faut saluer les efforts accomplis en la matière par le ministère de l'intérieur, notamment en matière de formation. Il s'appuie désormais sur des associations et des intervenants sociaux qui jouent un rôle essentiel pour accompagner la victime dans ses démarches et rechercher une solution durable, pour elle et ses enfants.
Le Gouvernement intensifiera ce dispositif dans le cadre du quatrième plan, avec pour objectif un doublement du nombre de ces intervenants sociaux qui devrait atteindre 350 d'ici 2017. Ce déploiement sera financé pour partie par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance.
Le travail interministériel entrepris parallèlement sur le traitement des mains courantes prend la suite des instructions de la chancellerie pour encadrer strictement leur utilisation. Un protocole établi conjointement par les ministères de la justice, de l'intérieur et des droits des femmes a été adressé aux préfets et aux parquets afin de réaffirmer le principe de la plainte et de limiter le recours aux mains courantes aux seuls cas de refus répétés de la victime et en l'absence de gravité des faits ; il rend systématique une visite différée au domicile de la victime lorsque le dépôt de la main courante est consécutif à une première alerte des forces de l'ordre ; il prévoit un contrôle régulier de ces mains courantes par les parquets. Une circulaire du ministère de la justice harmonisera les pratiques en la matière.
Le Gouvernement a aussi annoncé le lancement d'une expérimentation afin que les victimes de viol accèdent plus rapidement aux urgences médicales pour constater les violences subies. Un kit de constatation en urgence, inspiré de l'expérience américaine, est également en préparation. Cela est fondamental car les procédures judiciaires doivent être appuyées par des preuves.
Les témoignages demeurent en revanche sévères à l'égard des professionnels de justice et de santé. Leur méconnaissance des ressorts de la violence conjugale, notamment des violences psychologiques qui les accompagnent, constitue l'une des lacunes de notre dispositif de détection et de répression des violences. Il en résulte des réponses judiciaires inappropriées ainsi qu'une insuffisante circulation de l'information entre les magistrats. La mise en oeuvre de l'ordonnance de protection reste très inégale. Certains parquets ont encore recours à la médiation pénale en matière de violences conjugales, à rebours de la volonté exprimée par le législateur et des instructions précises de la chancellerie. Les juges aux affaires familiales ne sont toujours pas formés à la détection des violences alors que leur rôle en matière de signalement devrait être essentiel.
Le manque de formation des personnels de santé est tout aussi criant. Certains d'entre eux s'abstiennent de poser des questions sur l'origine de violences physiques évidentes, comme si les violences relevaient d'un tabou. Cela est d'autant plus regrettable que les médecins ont le droit de signaler des faits de violences au procureur de la République sans être tenus par le secret médical. L'insuffisante formation des professionnels de santé se traduit également par l'absence de prise en compte du préjudice psychologique subi par la victime : toutes les unités médico-judiciaires ne sont pas dotées de médecins psychiatres susceptibles de constater ces violences et de nombreux médecins omettent d'en tenir compte dans la rédaction de certificats médicaux.
La MIPROF a mis en place un plan de formation spécifiquement axé sur les professionnels de santé. Le protocole national adressé aux agences régionales de santé afin de renforcer les liens entre services de santé, de police et de justice, contribuera à faire de la prise en charge des victimes de violences conjugales un véritable sujet de santé publique. Nous serons vigilants sur les efforts accomplis.
La perspective de ne pas disposer d'un logement sûr pour elle-même et ses enfants dissuade souvent la victime de solliciter la protection des autorités. Pour cette raison, notre droit permet d'évincer le conjoint violent du domicile conjugal dans le cadre d'une procédure civile ou pénale. Pourtant, malgré des instructions réitérées aux parquets, le nombre de mesures d'éviction qui avait augmenté entre 2006 et 2010, a significativement régressé depuis : la part des affaires pénales dans lesquelles une mesure de ce type a été prononcée est passée de 19,3 % en 2010, à 5,9 % en 2012 et 5,8 % en 2013. Je souhaiterais que la chancellerie établisse un recensement des raisons conduisant les magistrats à ne plus prononcer cette mesure que marginalement.
Une centaine de structures spécialisées proposent une capacité d'environ 3 000 places d'hébergement pour des femmes victimes. Cette offre est très largement inférieure aux besoins, notamment en région parisienne. Trop fréquemment, les victimes de violences conjugales sont orientées vers un hébergement généraliste inadapté à leur situation. Le Gouvernement avait décidé en novembre 2012 qu'un tiers des 5 000 créations ou pérennisations de places d'hébergement d'urgence programmées seraient dédiées aux femmes victimes de violence. Cet engagement est réitéré dans le quatrième plan : d'ici 2017, 1 650 solutions d'hébergement seront créées. Je souhaiterais que la réalisation de cet objectif fasse l'objet d'un suivi précis dans le cadre des documents budgétaires.
Au bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme n°137 : « égalité entre les femmes et les hommes » de la mission « solidarité, insertion et égalité des chances ».