Intervention de Jean Arthuis

Réunion du 27 novembre 2013 à 9h30
Loi de finances pour 2014 — Article 41 et participation de la france au budget de l'union européenne

Photo de Jean ArthuisJean Arthuis :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie Marc Massion de son intervention, mais je n’en tirerai pas la même conclusion que lui. Je veux tenter de vous en donner les raisons.

Je commencerai par une remarque sur la programmation 2014-2020. Je déplore que la structure du budget communautaire n’ait pas été remise en question à cette occasion : nous avons choisi de reconduire la PAC et les fonds structurels, ainsi que les rabais et les corrections, chaque État membre ayant évidemment défendu ses positions en fonction de ses intérêts bien compris. Au moment où la dépense publique doit plus que jamais répondre à une exigence d’efficacité, une telle inertie est une folie. Mes chers collègues, le budget européen est devenu une cagnotte, mais distribuer de l’argent ne suffit pas à faire une politique !

De même, on a choisi de conserver le système actuel des ressources propres, système complexe, opaque et injuste, avec le rabais britannique, les rabais sur ce rabais, les corrections sur la ressource propre TVA et, enfin, les chèques forfaitaires annuels. Ce système anti-communautaire, qui perpétue des logiques strictement nationales au détriment de toute intégration politique, est même renforcé : le Danemark bénéficiera d’un nouveau rabais sur sa contribution RNB ; les rabais forfaitaires sur la contribution RNB accordés à la Suède et aux Pays-Bas sont augmentés ; l’Autriche a obtenu un nouveau rabais forfaitaire pour sa ressource TVA ; enfin, le « chèque déguisé » en faveur des Pays-Bas, qui concerne essentiellement les droits de douane, est maintenu, même s’il est réduit. Aux Pays-Bas, les frais de perception sur les ressources propres de l’Union européenne que sont les droits de douane s’élevaient à 25 %, alors que les frais réels sont de l’ordre de 2 % du produit fiscal ; il s’agissait donc d’un cadeau au profit de nos amis néerlandais. Ces frais de perception élevés vont certes diminuer, mais ils passeront seulement de 25 % à 20 %.

Au fond, derrière les procédures et l’affichage convenu, le budget communautaire reste un système généralisé de Give my money back !, illustration de la force des égoïsmes nationaux, comme si l’Union européenne était l’addition d’égoïsmes nationaux.

Enfin, le cadre financier pluriannuel 2014-2020 a prévu un écart de 58, 6 milliards d’euros entre les crédits d’engagement et les crédits de paiement. Comme cela a été relevé, cet écart va aggraver le stock inquiétant de « restes à liquider », qui fragilise le budget communautaire. Je souhaite tirer la sonnette d’alarme, monsieur le ministre : à la fin de cette année, le stock de RAL atteindra environ 225 milliards d’euros, et il va continuer à augmenter.

Je rejoins mon collègue Marc Massion dans son interrogation : monsieur le ministre, quelle stratégie la France compte-t-elle défendre auprès de nos partenaires européens pour résoudre ce problème grave ?

J’en arrive maintenant à quelques remarques sur le montant du prélèvement qui est l’objet de notre débat d’aujourd’hui, ainsi que sur l’évolution de son exécution.

Le projet de loi de finances pour 2014 évalue le prélèvement sur recettes au profit du budget de l’Union européenne à 20, 14 milliards d’euros, soit une hausse de 2, 7 % en un an. Je souligne qu’en vingt ans ce montant a été multiplié par cinq.

Cependant, nous savons d’expérience que, au terme de l’exécution 2014, des ouvertures nouvelles de crédits de paiement seront intervenues et que, entre le montant du prélèvement affiché dans le projet de loi de finances et ce qu’il sera finalement, il y aura forcément des écarts.

En 2013, la sous-estimation du prélèvement a ainsi été élevée, puisqu’il s’agit d’un écart d’environ 1, 8 milliard d’euros en exécution, portant notre contribution pour 2013 à plus de 22, 2 milliards d’euros !

Le phénomène des « restes à liquider », dont je viens de parler, explique l’essentiel de ces écarts récents en exécution et laisse planer l’aléa de budgets rectificatifs d’envergure à partir de l’année prochaine.

Vous l’aurez compris, je vous ai rappelé ces données sur les exécutions constatées pour vous dire que l’estimation du prélèvement soumise au vote du Parlement doit être plus précise et plus fiable, monsieur le ministre.

Notre contribution effective excédant régulièrement le montant inscrit en loi de finances initiale, je souhaite donc vous interroger sur l’incidence à venir des « restes à liquider » sur notre contribution nationale non seulement en 2014, mais aussi plus généralement pour les années futures.

Avant de conclure, j’ajouterai quelques mots sur l’avenir de la zone euro qui a fait l’objet d’un rapport que j’ai remis le 6 mars 2012 à François Fillon, alors Premier ministre. Son titre, Avenir de l’euro : l’intégration politique ou le chaos, exprime l’alternative qui demeure.

J’avais à cette occasion formulé quelques propositions, notamment le projet de nomination d’un ministre de l’économie et des finances appuyé sur une véritable direction générale du Trésor européenne, ainsi que la mise en place d’une capacité renforcée de coordination budgétaire de la zone euro. Or j’observe que des avancées en ce sens sont perceptibles, avec par exemple une meilleure harmonisation budgétaire, la mise en place de l’union bancaire, même si beaucoup reste à faire, et, enfin, la montée en puissance d’Eurostat et du Mécanisme européen de stabilité. Ces deux organismes font en effet figure d’embryons de ce que l’on pourrait appeler une direction générale de la comptabilité publique et d’une direction du Trésor de l’Europe.

S’agissant tout d’abord d’Eurostat, je relève que ce service a fortement fait évoluer son rôle à l’occasion de la crise des dettes souveraines. Il propose désormais à la Commission européenne de dresser des amendes en cas de manipulation des statistiques nationales. D’une administration de statisticiens, Eurostat cesse de se consacrer exclusivement à la macroéconomie pour faire sa juste place à la comptabilité publique. Je crois pouvoir affirmer que cet organisme s’érige progressivement en direction générale de la comptabilité publique européenne.

Cette révolution du rôle et de la place d’Eurostat aurait dû être conduite plus tôt, soit dès 1999 pour la création de l’euro, soit après la première crise grecque de 2005, mais l’Allemagne n’a pas voulu réformer les règles d’Eurostat. Elle a eu tort ! Jusqu’au déclenchement de la crise des dettes souveraines, en 2009, les comptes publics étaient réputés souverainement sincères. Il n’était donc pas question d’aller observer ce qui se passait effectivement et de détecter les turpitudes qui pouvaient avoir cours ici ou là. La suite est connue…

Je suis convaincu que cette future direction générale de la comptabilité publique de l’Eurozone, voire de l’Union européenne, qui se dessine du côté d’Eurostat, sera un jalon majeur pour le progrès du gouvernement économique, financier et budgétaire de la zone euro.

J’en viens au Mécanisme européen de stabilité, le MES, et au Fonds européen de stabilité financière, le FESF, dans lesquels je vois les prémices d’une direction générale du Trésor de la zone euro et peut-être bien de l’Union budgétaire européenne.

En effet, lors de mon déplacement à Luxembourg en compagnie de Marc Massion, j’ai été frappé par le fait que ces institutions dirigées par Klaus Regling veillent à se coordonner avec les directions du Trésor des États de l’Eurogroupe. Ainsi, ses émissions de titres font l’objet d’une organisation et d’un calendrier préparé en amont avec l’ensemble des États concernés. Voilà un autre exemple concret de gouvernance européenne des finances publiques, véritable préfiguration – c’est du moins ce que je veux y voir – de l’union budgétaire !

Derrière les 188 milliards d’euros de prêts du FESF et les 700 milliards d’euros de capital du MES, dont 80 milliards sont effectivement appelés et 620 milliards correspondent au capital appelable, se dessine, mes chers collègues, une véritable capacité budgétaire de la zone euro.

La mutualisation des dettes souveraines, si elle advient, passera par le MES, bien que la perspective des eurobonds soit à ce stade plutôt lointaine. Pour le moment, nous devons progresser sur le chantier de l’union bancaire, qui constitue un progrès prometteur.

Le MES devrait en outre rapidement avoir le droit de recapitaliser directement les banques, ce qui le conduira à participer aux conseils d’administration des structures concernées et à y exercer son droit de vote.

Pour conclure mon intervention, je voudrais plaider en faveur d’une plus grande reconnaissance du rôle des parlements nationaux. Dans le système communautaire actuel, les parlementaires nationaux se limitent à autoriser un prélèvement sur les recettes de l’État. Nous ne débattons pas du niveau de ce prélèvement ni de l’usage qui en sera fait au travers des dépenses de l’Union européenne. Une telle situation n’est pas satisfaisante.

Nous devons, mes chers collègues, prendre toute notre place dans la coordination des finances publiques des États membres. À cet égard, j’attends de la Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l’Union européenne, qui s’est réunie pour la première fois les 16 et 17 octobre 2013, qu’elle se dote d’un programme de travail ambitieux.

Dans le même ordre d’idée, je propose que nous soyons appelés à voter en loi de finances initiale non seulement notre contribution au budget communautaire, mais aussi la totalité de nos engagements à l’égard de la zone euro, comme notre contribution au MES, directement par apports en capital ou par engagements hors bilan. Les montants en cause s’élèvent respectivement à 16, 3 milliards et à 126, 4 milliards d’euros pour la France. Au total, cela représente 142, 7 milliards d’ici à 2016, soit 20 % de l’ensemble des contributions.

Aussi, mes chers collègues, pour l’heure, je vous recommande de vous abstenir sur l’article 41 du projet de loi de finances pour 2014, de manière à traduire le haut niveau d’exigences que nous formulons à l’égard de l’Union européenne. En tout état de cause, vous l’avez bien compris, notre vote, quel qu’il soit, n’est que symbolique, puisque la contribution de la France résulte des traités et non pas de notre vote.

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