Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du prochain Conseil européen, les vingt-huit chefs d’État et de Gouvernement de l’Union européenne examineront les moyens de relancer l’Europe de la défense.
Certes, depuis son lancement en 1998, celle-ci a progressé sur tous les fronts : institutionnel, opérationnel, industriel et capacitaire. Mais, force est de le constater, depuis 2010, l’Union européenne n’a lancé aucune nouvelle opération, civile ou militaire, à l’exception de la mission de formation des troupes somaliennes « EUTM Somalia ».
Pire, elle a été aux abonnés absents sur la Libye, la Syrie, le Mali et aujourd’hui la République centrafricaine. C’est un fait indéniable : notre pays est le seul État membre à combattre sur le terrain en RCA. Nos compatriotes risquent de ne pas comprendre pourquoi la France est toujours rempart, mais aussi payeur.
Certes, l’Europe a confirmé son soutien politique et financier à l’opération française. Vous venez de le rappeler, monsieur le ministre. Mais qu’attend-elle pour utiliser enfin ses groupements tactiques opérationnels, créés en 2007 ? Le président du Conseil européen a pourtant souligné les risques que la déstabilisation des pays africains fait peser sur la sécurité de l’Europe entière.
En réalité, l’Europe de la défense n’existe pas, alors que « l’objectif ambitieux d’une défense commune » était inscrit dans le traité de Lisbonne.
Les causes de cette situation sont nombreuses. Nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées les ont signalées dans leur rapport Pour en finir avec « l’Europe de la défense » - Vers une défense européenne : disparition d’une menace militaire clairement identifiée, défaut d’articulation claire entre l’Europe de la défense et l’OTAN, dilemme souveraineté-puissance, panne d’initiatives en matière industrielle, lacunes capacitaires et absence d’autonomie militaire.
Une telle lenteur s’explique surtout par un regrettable manque de volonté politique. De fait, les divergences entre les États membres sur leur conception des principes fondamentaux de la défense et sur les efforts qu’ils sont prêts à consentir en termes de capacités militaires, voire sur la nature des menaces contre lesquelles il faut se protéger rendent difficiles les progrès dans un domaine au cœur des identités nationales.
Le Royaume-Uni et la France ont une vision globale du monde et conservent des ambitions. De son côté, l’Allemagne pense plus à faire de l’industrie de la défense que de la défense. Certains autres pays considèrent que c’est aux Américains d’assurer notre protection.
Pourtant, comment ne pas voir l’impérieuse nécessité d’une défense commune européenne ? Des évolutions de la politique américaine aux nouvelles menaces et aux contraintes budgétaires, en passant par les intérêts propres de l’Union européenne – la préservation de sa base industrielle de défense et de son influence dans le monde –, tout appelle à un engagement européen plus important dans la gestion des crises, ainsi qu’à davantage de mutualisation et de coopération.
Le prochain Conseil européen représente une opportunité d’autant plus importante que les questions de défense, si elles sont souvent au cœur de discussions bilatérales, voire multilatérales, comme c’est le cas dans les enceintes de Weimar et Weimar +, sont rarement abordées au niveau de l’Union européenne.
Monsieur le ministre, l’impulsion de la France a été décisive dans le passé. Elle devra l’être encore. Entre un pessimisme qui serait coupable et un utopisme qui serait naïf, nous voulons croire qu’il y a place pour des avancées pragmatiques. Quels sont les objectifs de la France pour le Conseil européen de la semaine prochaine ?
Espérer avancer à vingt-huit pays relève sans doute de l’utopisme dont je viens de parler. De ce point de vue, nous souscrivons tout à fait à la proposition de nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées : créer un groupe pionnier, un « Eurogroupe de défense », ouvert à tous les pays européens qui souhaitent et peuvent le rejoindre. La France et le Royaume-Uni ont, en quelque sorte, préfiguré cette évolution avec le traité de Saint-Malo. Il faut y associer l’Allemagne, l’Italie et d’autres encore.
Quoi qu’il en soit, nous espérons vivement que ce Conseil européen sera non pas un événement isolé, mais le point de départ d’un processus continu d’examen régulier des questions de sécurité et de défense. Cela suppose une feuille de route sur les trois volets – cadre stratégique, renforcement des capacités militaires et industrie de défense –, avec des objectifs et des dates précises.
Autre sujet évoqué lors du prochain Conseil européen, le bilan du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, approuvé en juin 2012 sur l’initiative de François Hollande. Au mois de juin dernier, le Président de la République avait regretté quelques lenteurs dans la mise en œuvre de ce pacte. Dans un contexte de chômage de masse, où la jeunesse est désemparée et où les entreprises sont inquiètes et attentistes, il y a pourtant urgence.
Je ne mésestime pas la bataille conduite par la France, notamment sur l’emploi des jeunes. Mais il faut aller plus vite et traduire concrètement les intentions. Qu’il s’agisse de la recherche, de l’innovation, de l’énergie, des transports ou du numérique, le potentiel d’emplois et la capacité industrielle sont très importants. Il faut donc une véritable stratégie européenne et, partant, un vaste programme d’investissements.
Enfin, je dirais un mot de la dimension sociale de l’Union économique et monétaire. Ces dernières années, l’Europe s’est enlisée dans une gestion d’urgence de la crise, ne paraissant s’occuper que du redressement des banques et des indicateurs financiers et monétaires. Pendant ce temps, les délocalisations se sont multipliées, les inégalités se sont creusées, et la concurrence entre les travailleurs européens s’est installée. Tout n’a pas été négatif, loin s’en faut : cette période a permis, sinon un gouvernement économique, du moins un renforcement de la gouvernance de l’Union économique et monétaire. L’année 2012 a été en particulier marquée par une intégration plus poussée de la zone euro, fondée sur une procédure de surveillance macroéconomique et budgétaire, la création progressive d’une union bancaire et la mise en place d’une assistance financière commune.
Mais ces progrès ne sont pas suffisants. Cette construction reste technocratique, parfois disciplinaire et, en tout cas, obscure aux yeux des citoyens. Nous le savons, pour regagner en légitimité, l’Europe a besoin de projets qui apportent des réponses à leurs difficultés. Il est temps de mettre en place les marqueurs d’une Europe plus solidaire qu’elle ne l’a été jusqu’à présent. Nous avons besoin de politiques sociales qui réduisent les inégalités, mais surtout qui évitent le dumping social, mortifère pour le projet européen.
Même dans les États membres les plus avancés, l’Union européenne apparaît trop souvent, aux yeux des opinions publiques, comme le vecteur d’une mise en concurrence des modèles sociaux nationaux, voire d’une menace pour ceux-ci. Le risque d’un rejet de l’Europe est réel. Déjà, les populismes de droite comme de gauche gagnent du terrain. Si nous ne changeons pas de cap, ils risquent de s’exprimer fortement, notamment lors des prochaines élections européennes. Certes, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, la France œuvre aujourd'hui pour donner une dimension sociale à l’Europe économique et monétaire ; nous vous en félicitons. Sur ce dernier point, nous souhaitons également connaître votre position. §