Intervention de Catherine Deroche

Réunion du 12 décembre 2013 à 9h20
Stationnement des personnes en situation de handicap — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’accès des personnes handicapées à une vie sociale, c’est-à-dire à un emploi, à une scolarité, aux services publics, à la culture ou aux loisirs, dépend avant tout de leur possibilité de se déplacer.

Malheureusement, l’environnement des personnes handicapées rend ces déplacements difficiles au quotidien.

Aussi la loi du 11 février 2005, qui a accompli une réforme sans précédent de la politique du handicap, a-t-elle fait de l’accessibilité l’un de ses principaux objectifs.

Cinq ans plus tard, un Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle a été mis en place afin d’assurer le suivi de la loi et d’identifier les obstacles rencontrés par les personnes handicapées dans leur cadre de vie.

Dans son rapport du 2 octobre 2012, l’Observatoire a signalé les difficultés de stationnement en ville et préconisé un réexamen de la législation en vigueur.

En effet, si des places de stationnement sont réservées en ville aux personnes handicapées, à hauteur de 2%, il arrive fréquemment que celles-ci ne soient pas disponibles ou ne soient pas assez proches de l’endroit où la personne souhaite se rendre. Cela conduit la personne handicapée à utiliser une place non réservée.

Que la place soit ou non réservée, il est nécessaire, pour acquitter la redevance de stationnement, de se déplacer jusqu’à une borne délivrant un ticket.

Aujourd’hui, le rapporteur nous l’a rappelé, la réglementation en ce domaine laisse aux communes le pouvoir d’exempter de redevance les personnes handicapées, ce qui supprime cette contrainte.

Nombreuses sont les municipalités qui ont prévu la gratuité du stationnement sur les places réservées. Beaucoup moins nombreuses sont celles qui l’ont prévue sur l’ensemble des places de stationnement public.

Les personnes handicapées peuvent donc, au hasard de leurs déplacements, stationner dans une ville où elles devront acquitter la redevance, puis, dans une autre où elles n’auront rien à payer. Sur Internet, les personnes handicapées font part de leurs déconvenues, leur stationnement pouvant être gratuit, payant mais toléré, ou, au contraire, verbalisé. Une telle situation est déplorable !

Seule la gratuité de l’ensemble des places de stationnement peut garantir une réelle facilité de déplacement de la personne handicapée, qui n’aura pas à se soucier de la proximité de sa voiture avec un horodateur ! Le rapporteur l’a bien compris en étendant le champ d’application du texte initial.

Je souhaite faire remarquer que cette proposition avait déjà été formulée au sein de la Haute Assemblée par l’un de nos collègues, l’ancien ministre Philippe Bas, président de l’Observatoire de l’accessibilité.

En juillet 2012, il posa une question orale à ce sujet au ministre Manuel Valls, qui répondit que seule une mesure législative pouvait généraliser à tout le territoire les exemptions de redevance de stationnement dont bénéficient les personnes handicapées dans certaines villes.

Notre collègue Philippe Bas proposa donc cette extension par un amendement au projet de loi sur les métropoles, que j’ai cosigné, ainsi que de nombreux collègues de notre groupe.

La ministre au banc du Gouvernement, Mme Marylise Lebranchu, répondit alors que, comme la décision relevait des autorités communales, adopter notre proposition revenait à « déresponsabiliser celles-ci », « à leur dire qu’elles ne sont pas capables d’exonérer les personnes en situation de handicap du paiement du stationnement ». Ajoutant que cela la « choquait », elle appela notre collègue à retirer son amendement en déclarant : « Je trouve que vous faites preuve d’une défiance totale à l’égard des élus de France. Mais si vous voulez affirmer cette défiance, cela relève de votre entière responsabilité ».

La présente proposition de loi a le même objet que celui qui était formulé par notre amendement d’alors.

M. le rapporteur nous avait expliqué en commission que, à sa connaissance, le Gouvernement voulait émettre sur le texte une « sagesse favorable ». J’en déduis que vous faites preuve, madame la ministre, de plus de mesure que Mme Lebranchu.

Comme souvent en droit, une pratique s’est développée – l’exonération de redevance – et une loi doit intervenir pour l’uniformiser, car il ne serait pas normal qu’il y ait rupture de traitement sur le territoire national.

Notre groupe se réjouit donc sur ce point, et un consensus serait enfin réuni si nous n’avions à soulever plusieurs objections. Nous souhaitons en effet souligner l’absence de méthode, qui conduit à un texte approximatif.

Tout d’abord, premier point, le champ d’application de la proposition de loi est à, nos yeux, très large.

Certes, la gratuité des places va éviter à des personnes ayant une mobilité réduite de devoir atteindre un horodateur. Cependant, ce problème ne se pose pas dans les parkings prévoyant un paiement sans qu’il soit besoin de se déplacer : je pense ainsi aux parkings urbains, type Vinci, où l’horodateur se situe à l’issue empruntée par la personne handicapée et où le contrôle s’effectue à la barrière automatique. Les bornes de péage ne soumettent les personnes handicapées à aucune contrainte particulière. Alors, pourquoi obliger les exploitants de ces parkings à rendre leur accès gratuit ? D’un point de vue pratique, cela ne semble pas nécessaire. D’un point de vue commercial, le coût serait obligatoirement répercuté sur les autres usagers.

De ce que nous savons par les associations représentant les personnes handicapées, celles-ci ne demandent pas une telle faveur, elles ne réclament pas un traitement différencié, n’exigent pas une gratuité systématique de leur stationnement. Elles veulent simplement avoir accès à une place quand elles arrivent dans un parking.

Pour cela, la gratuité doit viser les parkings où le paiement demande un déplacement particulier, représente une contrainte, ce qui n’est pas le cas dans les parcs de stationnement que je viens de viser.

Je présenterai donc tout à l’heure un amendement tendant à exclure de tels parkings du dispositif. L’adoption de cet amendement conditionnera notre vote, car une telle mesure nous semble essentielle pour que le texte conserve sa logique et soit équitable.

Ensuite, deuxième point, nous nous interrogeons sur l’opportunité de légiférer aujourd’hui, alors qu’une concertation est en cours. Présidée par notre collègue sénatrice Claire-Lise Campion, elle vise à réviser par ordonnances la loi « handicap » et à réaliser des agendas d’accessibilité.

Ouverte en octobre, cette concertation permettra d’entretenir l’impulsion donnée par la loi de 2005, sachant que la question de l’accès aux places de stationnement ne s’arrête pas à la question de la gratuité.

En effet, madame la ministre, je souhaiterais attirer votre attention sur plusieurs aspects à prendre en considération avant de légiférer.

Tout d’abord, l’insuffisance du nombre de places réservées. L’APF, qui demande un passage du quota de ces places de 2 % à 4 %, relève l’existence de deux réglementations sans cohérence entre elles : le code de la voirie, qui fixe ces 2 % pour les « personnes circulant en fauteuil roulant », et le code de l’action sociale et des familles, qui élargit la catégorie des bénéficiaires au-delà des personnes en fauteuil roulant, sans pour autant augmenter le quota de places réservées.

Ensuite, les personnes handicapées subissent le développement de pratiques abusives et frauduleuses.

Les cartes européennes de stationnement sont de plus en plus fréquemment utilisées par des personnes n’y ayant pas droit, bien que le stationnement illégal soit sanctionné d’une contravention de quatrième classe, soit 135 euros pour l’amende forfaitaire simple et 90 euros pour une amende forfaitaire minorée.

Si les abus n’ont pas été chiffrés, l’Association des paralysés de France avance sur son site qu’« une carte sur trois serait fausse ou utilisée de manière frauduleuse ».

Il est donc urgent de prendre des mesures, que ce soit en aggravant les sanctions ou en modifiant la technique de fabrication des cartes d’invalidité. Quels engagements pouvez-vous donc prendre devant nous à ce sujet, madame la ministre ?

J’évoquerai enfin un dernier point, madame la ministre : l’impact financier, que vous avez évoqué et qui est difficile à chiffrer.

Nous nous devons d’être particulièrement vigilants et exigeants pour le respect des droits des personnes en situation de handicap et garder à l’esprit le combat quotidien qu’une vie en fauteuil représente.

En instaurant la gratuité de stationnement, nous devons non pas accorder une faveur aux personnes handicapées, mais reconnaître les besoins liés à leur handicap. C’est la raison pour laquelle nous serons attentifs au sort qui sera réservé à notre amendement. Nous estimons regrettable de ne pas attendre les résultats de la concertation en cours. Quoi qu’il en soit, bien sûr, nous ne voterons pas contre cette proposition de loi. §

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