J’en viens au texte de notre proposition de loi.
Les gens du voyage ont choisi un mode de vie différent de la grande majorité de nos concitoyens. C’est leur droit, et nous devons le respecter. Toutefois, si la République leur reconnaît ce droit, elle est en droit, elle, de leur demander de respecter nos lois et, le cas échéant, de faire en sorte qu’ils les respectent.
Malheureusement, de récents faits montrent que certains d’entre eux ne les respectent pas, et nombreuses sont les situations qui constituent des troubles à l’ordre public : atteintes à l’hygiène, violations de propriété ou, plus grave, atteintes aux personnes et aux biens.
À ce propos, nombre d’élus, de petites communes notamment, nous ont fait part du sentiment d’abandon qu’ils éprouvent face à certaines communautés très bien organisées, qui connaissent parfaitement les limites de la loi et les moyens de les dépasser : elles savent pertinemment que, si elles envahissent illégalement un terrain, rien ne permet de les expulser avant une semaine. C’est ce qui s’est récemment produit dans les communes de Frangy, en Haute-Savoie, et de Verdun, dans la Meuse, où des élus ont été agressés dans l’exercice de leur mission. Ce n’est pas acceptable.
De tels faits nous interpellent. C’est pourquoi il devient urgent de compléter et de modifier le cadre juridique qui fixe les règles applicables en la matière.
Nous ne souhaitons en rien remettre en cause les dispositions relatives aux droits des gens du voyage. Je tiens à rappeler, comme l’a fait en particulier Pierre Hérisson, que la loi Besson du 31 mai 1990 a obligé les villes de plus de 5 000 habitants à prévoir des emplacements spécifiques pour les gens du voyage. Cette loi a été suivie par la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui a institué un schéma départemental visant à organiser l’implantation d’aires d’accueil sur les communes et les communautés d’agglomération.
Vous l’aurez compris, ce que nous proposons ne remet nullement en question ce dispositif. Nous rappelons même aux élus la nécessité de le mettre en œuvre s’ils veulent être en mesure de contester légitimement une installation illégale.
Si les lois que je viens d’évoquer ont permis d’instaurer des droits légitimes pour les gens du voyage, eu égard à leur mode de vie, nous devons néanmoins réfléchir aujourd’hui collectivement aux moyens de faire en sorte que la loi soit respectée au mieux et au plus vite, afin que les situations que j’ai décrites n’entravent pas l’action des élus locaux sur leur territoire.
Nous avons procédé de manière pragmatique, avec mon collègue Pierre Hérisson et tous les collègues qui l’ont souhaité, à la rédaction de ce texte, sans stigmatiser quiconque, sans discriminer personne. Nous avons surtout veillé à éviter les amalgames entre la question des gens du voyage, qui est du ressort de la loi de janvier 1969, et la question des Roms, qui est du ressort des politiques publiques nationales et internationales relatives à l’immigration. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur ce point, qui est à mon sens fondamental pour éveiller l’esprit de nos concitoyens.
J’en profite pour saluer le travail accompli par Pierre Hérisson comme président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, qui mène depuis dix ans une action déterminée sur ces questions.
Avant d’entrer dans les détails, je souhaite préciser notre approche. Elle consiste à nous saisir très concrètement du problème lié à l’implantation illégale des gens du voyage sur des terrains privés ou publics qui n’ont pas cette vocation, en prévoyant deux types de dispositions : des dispositions de responsabilisation et des dispositions de sanction.
Je commencerai par les dispositions de responsabilisation. Si les élus doivent assumer leurs responsabilités, ce qu’ils font avec courage, il en va de même de l’État, madame la ministre. Il nous semble que ce dernier doit participer davantage à l’organisation des grands déplacements et accompagner les collectivités dans l’accueil des gens du voyage. Cela passe par une modification de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales afin que le représentant de l’État ait la charge du bon ordre des grands passages et des grands rassemblements traditionnels ou occasionnels des gens du voyage.
Nous aimerions également que les communes soient mieux informées de l’arrivée de gens du voyage. Après tout, convenons-en, lorsqu’il s’agit d’occuper le territoire d’une collectivité publique, il paraît normal que l’installation se fasse dans un délai permettant à la collectivité d’organiser cette installation et de bénéficier d’un droit d’information sur les modalités d’occupation de son domaine. C’est dans l’intérêt de la commune et de ses habitants, qui connaîtront en toute transparence les conditions de résidence des nouveaux arrivants, mais aussi, il faut le dire, dans l’intérêt des gens du voyage, puisque les conséquences pratiques de leur installation auront été anticipées. Ce sont finalement les conditions de vie de tous qui seront ainsi améliorées.
Cette formalité est également de nature à favoriser la prise de conscience d’une responsabilité commune : elle permettra d’identifier les différents interlocuteurs, et ceux-ci pourront s’engager à faire en sorte que la cohabitation entre le groupe rassemblé sur un terrain dédié et la population de la commune se déroule dans les meilleures conditions. L’objectif est, bien sûr, d’impliquer tous les acteurs pour que la cohésion générale en sorte renforcée.
Je conclus ce point relatif à la responsabilisation en évoquant celle des gens du voyage, qui doivent naturellement respecter la loi sans qu’il soit toujours besoin de la leur rappeler. Comme j’aime à le faire remarquer, la liberté de circuler s’arrête où commence celle de nos concitoyens, qu’il s’agisse du respect du droit de propriété ou du respect des règles de salubrité et d’ordre public. Dans cet esprit, j’ai déposé un amendement tendant à ce que la personne responsable du rassemblement puisse répondre de tout acte de délinquance commis par un membre du rassemblement installé en infraction à la loi.
Pour autant, nul n’a le droit de se faire justice lui-même. C’est pourquoi il est nécessaire que nous fixions de justes sanctions aux atteintes à la loi : des sanctions applicables, donc appliquées, donc dissuasives.
Je pense avant tout aux sanctions pénales. Sur ce point, nous entendions modifier le code pénal afin de doubler les peines applicables en cas d’installation illicite en réunion sur un terrain appartenant à autrui en vue d’y établir une habitation.
J’ai pris note des arguments du rapporteur de la commission des lois, qui excipait de l’inapplication des textes actuels pour justifier la suppression de l’article 1er de la proposition de loi. Cependant, je ne crois pas qu’il faille répondre à un abandon par un abandon encore plus marqué. Je pense au contraire que, avec une attitude plus ferme, nous pourrions envoyer un message fort à ceux qui ne respectent pas les lois.
Nous persévérons donc dans notre logique consistant à doubler les sanctions prévues par le code pénal en cas d’installation illicite sur un terrain. C’est pourquoi notre groupe a déposé un amendement de réécriture de l’article 1er, que la commission a supprimé.
Je souhaiterais souligner mes convergences de vue avec le ministre de l’intérieur, qui a proclamé sa volonté de procéder plus systématiquement aux expulsions imposées par la loi. En Haute-Savoie, par exemple, on compte vingt expulsions depuis le début de l’année ; c’est plus que sur l’ensemble de la dernière décennie ! Je salue l’action responsable du préfet à cet égard. Malheureusement, ce résultat démontre également que la situation s’est aggravée et qu’il est nécessaire d’agir avec toujours plus de détermination.
Au-delà des sanctions pénales, qui consistent en une réparation de la situation illégale, il apparaît nécessaire de prendre un certain nombre de dispositions visant à rendre effectives les expulsions faisant suite à une mise en demeure. Dans cette optique, notre droit administratif ne doit pas favoriser ceux qui « jouent la montre » ou pratiquent la politique de la terre brulée. Dès lors, il semble indispensable de réformer le dispositif de mise en demeure, pour obliger les gens du voyage à quitter le terrain qu’ils occupent illégalement afin de faire respecter le droit de propriété, qui constitue, point n’est besoin de le rappeler, un droit garanti par la Constitution. Pour beaucoup de nos concitoyens, ce droit représente l’investissement d’une vie ; pour l’État, il délimite un espace qui ne saurait être occupé illégalement.
Toujours dans le but de compléter notre droit pour éviter qu’il ne soit détourné au profit de ceux qui souhaitent prolonger leur situation illégale, il nous paraît important de modifier les délais relatifs à la mise en demeure ou au recours contre cette mise en demeure. Convenons-en, le délai de bonne administration ne doit pas être un délai d’impunité, que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à percevoir comme le signe de l’impuissance publique:
Concernant l’application de la mise en demeure, nous proposons que le délai soit raccourci à six heures en cas de réitération d’une occupation illégale d’un terrain dans la même commune ou dans une commune du même département. Concernant la contestation de la mise en demeure, je suis persuadé que l’on peut agir vite et que l’on sera d’autant plus efficace que l’on agira plus vite. C’est pourquoi nous avions prévu, dans le texte initial, de raccourcir le délai de soixante-douze à vingt-quatre heures. Néanmoins, nous pourrions trouver un consensus sur le délai de quarante-huit heures proposé par la commission des lois.
Mes chers collègues, tous nos concitoyens sont égaux, quel que soit le mode de vie qu’ils adoptent. Chacun doit être traité avec une égale considération par la République. C’est vrai s’agissant des droits ; cela doit l’être aussi s’agissant des devoirs.
Il est trop facile de faire des leçons de morale, d’accueil et de tolérance à la tribune pour ensuite demander au ministre voire au préfet de se montrer ferme sur le terrain quand on est contraint d’agir face à des comportements particulièrement inadmissibles qui contreviennent à nos lois et heurtent nos concitoyens.
Notre collègue Jacques Mézard l’a excellemment rappelé en commission : « La loi de la République doit être respectée par tous, communes et gens du voyage. Quand ceux-ci s’installent n’importe où, sauf sur l’aire aménagée à cet effet, et que le représentant de l’État ne bouge pas, que faire ? Le personnel communal » – quand ce ne sont pas les élus eux-mêmes – « est souvent injurié, parfois agressé, dans l’indifférence des pouvoirs publics. Tout le monde doit respecter la loi de la République. Sans envoyer un message négatif aux gens du voyage, il convient de le leur en faire prendre conscience. »
Cette proposition de loi assume son objectif : assurer avec équilibre la concorde et la fraternité, pas seulement par des mots ou des discours moralisateurs, mais par des actes. C’est pourquoi, mes chers collègues, il est important qu’elle soit adoptée et qu’elle reste, sur le fond, conforme à l’esprit qui était le nôtre au moment de son dépôt sur le bureau du Sénat.
Il est vrai, madame la ministre, que cette proposition de loi n’est pas parfaite ; nous en sommes pleinement conscients. Cependant, elle répond à la situation actuelle, qui n’est plus celle de 1990 : les flux sont beaucoup plus importants.
Le Savoyard que je suis pense qu’il est préférable, pour avancer, de mettre un pied devant l’autre plutôt que de rester dans l’immobilisme. §