Mais il faut dire les choses telles qu’elles sont, et moi je dis toujours la vérité !
Cette proposition de loi a donc été élaborée avec l’aide technique du ministère de l’intérieur et du ministère de l’égalité des territoires et du logement. Tout cela est bien normal : si nous voulons rédiger un texte solide dépassant trois articles sur un sujet important, nous avons besoin de l’aide des services du Gouvernement et des administrations. À défaut, malgré toute la science des administrateurs et des fonctionnaires du service de la bibliothèque et des archives du Sénat, nous n’y arriverions pas.
Toujours est-il que la proposition de loi de M. Raimbourg a été déposée et que, si j’ai bien compris, elle a l’aval du Gouvernement ; elle sera examinée par l’Assemblée nationale, qui vraisemblablement l’adoptera après l’avoir amendée. Après quoi elle sera soumise à notre examen, ce qui vous permettra, monsieur Hérisson, de mettre à profit tout ce que vous savez sur la question pour l’enrichir.
Mon cher collègue, il faut bien dire aussi que certaines dispositions de votre proposition de loi sont inutiles : je veux parler, en particulier, de celle qui double les pénalités prévues en cas d’installation illicite. Doubler les pénalités, cela fait bonne impression ; on semble dire aux maires : « Ne vous en faites pas, vous allez voir ce que vous allez voir ! » Seulement voilà : en cinq ans, sept condamnations seulement ont été prononcées, et aucune n’est intervenue ni en 2009 ni en 2010.
Votre proposition de loi est également hasardeuse. En effet, étendre la procédure d’évacuation d’urgence au-delà des cas d’atteinte à la sécurité, à la salubrité et à la tranquillité publiques est une mesure sur laquelle pèse un grand risque constitutionnel. De fait, la Cour européenne des droits de l’homme comme les tribunaux administratifs, notamment celui de Nice qui, le 14 novembre dernier, a suspendu l’arrêté anti-bivouac de votre cher collègue Christian Estrosi, ont estimé que les évacuations d’urgence devaient avoir des justifications solides.
Un risque d’inconstitutionnalité pèse également sur la disposition de l’article 3 qui fixe aux préfets un délai maximal de vingt-quatre heures pour l’exécution de la mise en demeure de partir, dans la mesure où il s’agit d’une compétence liée.
Enfin, monsieur Hérisson, certaines dispositions de votre proposition de loi sont inapplicables. C’est le cas de celle qui oblige les tribunaux administratifs à statuer en quarante-huit heures, jours fériés compris, au lieu de soixante-douze heures, ce qui contraindrait les juges administratifs à travailler davantage. C’est le cas aussi de celle qui prévoit – c’est le fin du fin ! – la signature obligatoire d’une convention entre le maire et les riverains trois mois avant toute arrivée.
Si encore il s’agissait seulement des grands passages, qui sont prévus un an à l’avance et pour lesquels le préfet et le président du conseil général prennent des dispositions en matière de terrains, d’alimentation en eau et de services de santé, on pourrait comprendre. Mais pas du tout : la mesure proposée vise tous les passages.
En d’autres termes, si trois caravanes arrivent dans ma commune, il faudra que, trois mois auparavant, j’aie signé une convention avec les riverains, et je suppose aussi avec les gens du voyage. On le voit bien, mes chers collègues, cette obligation est pratiquement impossible à satisfaire !
Au demeurant, si elle était satisfaite, elle raviverait le contentieux entre les sédentaires et les voyageurs. En réalité, elle garantirait que les gens du voyage ne seraient jamais les bienvenus et qu’ils ne seraient jamais accueillis. De fait, je ne vois pas comment, trois mois avant leur arrivée, on pourrait faire signer par les riverains une convention touchant à l’installation de personnes dont ils ne veulent pas et qu’ils rejettent.
Pour toutes ces raisons, monsieur Hérisson, votre proposition de loi ne peut pas être votée. À moins, bien sûr, que vous n’acceptiez toutes les dispositions adoptées en commission des lois sur l’initiative du rapporteur et d’un certain nombre de nos collègues, notamment l’abrogation de la loi du 3 janvier 1969.
Dans ce cas, le texte issu de nos débats serait très différent de votre proposition de loi dans sa réaction initiale ; il serait compatible avec la proposition de loi présentée à l’Assemblée nationale, et peut-être le voterions-nous. Dans le cas contraire, mon cher collègue, nous ne voterons pas votre proposition de loi !