Intervention de Christiane Demontès

Réunion du 16 décembre 2013 à 15h00
Avenir et justice du système de retraites — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites que notre assemblée s’apprête à examiner en nouvelle lecture est le fruit d’un long processus, engagé par le Gouvernement il y a près de dix-huit mois.

Grande conférence sociale de juillet 2012, rapport de la commission Moreau pour l’avenir des retraites, puis concertation avec les partenaires sociaux au début de l’été dernier : la démarche a été sérieuse et méthodique, les discussions ont été riches et approfondies.

Les dispositions phares du projet de loi sont aujourd’hui bien connues de tous. Il n’apparaît donc pas utile de revenir sur le détail des avancées proposées par le Gouvernement. Je souhaiterais, en revanche, apporter quelques éléments de réponse aux critiques exprimées sur les travées de l’opposition et de certains groupes de la majorité parlementaire contre cette réforme.

Certains reprochent au Gouvernement l’insuffisance des mesures de redressement du système de retraites et appellent de leurs vœux un changement de paradigme, avec la mise en place d’un régime universel par points.

Faut-il leur rappeler la situation qui nous a été léguée ? Le besoin de financement du système est évalué à 20, 7 milliards d’euros en 2020, dont 7, 6 milliards d’euros pour le régime général, le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, et les régimes de retraite de base non équilibrés par subvention.

La réforme des retraites de 2003 envisageait pourtant un retour à l’équilibre à l’horizon 2020 ; celle de 2010 l’envisageait pour 2018 : les promesses n’ont pas été tenues, tant s’en faut !

Pour faire face à cette situation, les mesures de financement prévues par le projet de loi s’élèvent à plus de 4 milliards d’euros en 2014 et à 8 milliards d’euros en 2020. Dès l’année prochaine, le déficit des régimes de retraite de base devrait être ramené à 1, 6 milliard d’euros, contre 4, 1 milliards en 2013.

Contrairement à une idée reçue, ces mesures impliquent l’ensemble des régimes de retraite, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, y compris celui de la fonction publique et les régimes spéciaux. Ceux-ci ne seront en effet exemptés ni de l’allongement de la durée d’assurance ni du report de la date de revalorisation des pensions, et encore moins de la hausse des cotisations d’assurance vieillesse.

Il convient en outre de « tordre le cou » à deux autres affirmations erronées.

Je pense en premier lieu à l’idée selon laquelle seul un changement radical de système permettrait de mettre un point d’arrêt aux déficits. Nous savons qu’une réforme systémique, qui conduirait à ne modifier que l’architecture générale de notre système, n’apporterait aucune réponse à la nécessité de consolider le financement de nos régimes de retraite par répartition. La commission Moreau a elle-même insisté sur ce point : l’urgence est non pas de changer de système, mais bien de sauvegarder le financement de nos régimes par un rééquilibrage à court terme et un meilleur pilotage à moyen et long termes.

En second lieu, les taux de remplacement assurés par les pensions sont assez comparables entre la fonction publique et le régime général, n’en déplaise à ceux qui voudraient nous faire croire le contraire.

Les écarts de niveaux de pensions sont en effet entièrement imputables à un effet de structure, tenant à des niveaux de qualification globalement plus élevés au sein de la fonction publique d’État. Je renvoie à cet égard aux travaux cités par la commission Moreau : ils font état d’un taux de remplacement médian de 74, 5 % pour les salariés du secteur privé et de 75, 2 % pour les salariés civils du secteur public de la génération 1942.

D’autres formations politiques estiment, au contraire, que la présente réforme s’inscrit dans la continuité des précédentes.

Je voudrais leur rappeler que la réforme de 2010 a bien souvent brutalisé nos concitoyens les plus proches de la retraite, en leur imposant sans préavis de nouvelles conditions d’âge et en remettant en cause par là même leurs projets de fin de carrière.

Une exigence fondamentale sous-tend, à l’inverse, ce projet de loi : demander à tous les Français des efforts modérés et équitablement répartis et organiser une montée en charge des mesures dans des conditions d’anticipation raisonnables.

Je pense en particulier à l’allongement progressif de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Il s’agit de garantir un ajustement de la trajectoire financière sans brutalité pour les générations proches de la retraite. Je l’ai déjà dit, cette mesure est juste, car elle s’accompagne de plusieurs dispositifs visant à compenser ses effets pour les personnes exerçant des métiers pénibles, ayant commencé à travailler jeunes ou ayant eu des carrières heurtées.

Le projet de loi prend en effet en compte la situation des assurés les plus pénalisés, auxquels très peu de réponses avaient été apportées jusqu’à présent.

Pour la première fois, vous le savez, ce texte traduit par un dispositif universel – le compte personnel de prévention de la pénibilité – le devoir qui incombe à la société de prévenir la pénibilité et d’en compenser les effets. Il marque ainsi l’aboutissement d’un long cheminement, entamé il y a plus de dix ans.

Une contribution essentielle est également apportée à la concrétisation de l’objectif d’égalité au travers des mesures en faveur des femmes, des jeunes, des assurés ayant eu des carrières heurtées, des personnes handicapées et de leurs aidants familiaux, ainsi que des retraités agricoles.

Je n’en citerai que quelques-unes : l’abaissement du seuil de rémunération permettant de valider un trimestre d’assurance vieillesse ; la mise en place d’une aide forfaitaire au rachat d’années d’études supérieures ; le dispositif améliorant les droits à la retraite des apprentis ; la création d’une majoration de durée d’assurance pour les aidants familiaux en charge d’un adulte lourdement handicapé ; la garantie pour les petites pensions agricoles d’atteindre 75 % du SMIC en 2017.

Plus généralement, le comité de suivi des retraites, pièce maîtresse du nouveau pilotage financier, constituera également un observatoire des inégalités en matière de retraites et des moyens mis en œuvre pour les corriger.

L’ensemble de ces mesures marque donc assurément une rupture avec les conceptions précédentes.

Avant de terminer, je souhaiterais saluer la prise en compte, à l’occasion de la nouvelle lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale, de plusieurs revendications formulées en cours de procédure par des élus de toutes les sensibilités politiques.

Plusieurs modifications introduites dans le texte permettent tout d’abord de faciliter la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité.

Le rôle que pourra jouer la Mutualité sociale agricole, la MSA, dans les domaines tant de l’information que du contrôle des entreprises du secteur agricole est désormais pleinement reconnu. Les organismes de la MSA pourront en effet mettre en œuvre l’information des salariés dans le cadre d’une convention tripartite avec l’État et la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Ils pourront également contrôler l’effectivité de l’exposition aux facteurs de pénibilité, sans qu’il leur soit nécessaire d’être saisis d’une demande en ce sens par le gestionnaire du compte.

L’Assemblée nationale a en outre prévu, comme je l’avais suggéré, une périodicité de cinq ans pour la réalisation du rapport du Gouvernement sur l’évolution des conditions de pénibilité auxquelles sont exposés les salariés et sur la mise en œuvre des dispositifs de prévention créés par le projet de loi. Ce suivi périodique me paraît fondamental pour tenir compte des mutations rapides du monde du travail. L’adaptation aux nouvelles formes d’organisation de ce dernier nécessite une grande réactivité pour en connaître les effets et une réflexion approfondie pour prévenir les nouvelles formes de pénibilité.

Enfin, les partenaires sociaux des branches professionnelles sont désormais mieux associés à la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité. À travers un accord de branche étendu, ils pourront aider les entreprises à assurer la traçabilité des expositions professionnelles dans la fiche de prévention des expositions et à identifier les salariés éligibles au compte personnel de prévention de la pénibilité.

En ce qui concerne le cumul emploi-retraite, plusieurs d’entre vous avaient insisté, en première lecture, sur les difficultés engendrées par l’existence de régimes complémentaires dans lesquels les pensions ne peuvent être liquidées qu’à un âge supérieur à l’âge légal. Tel est le cas, par exemple, de la plupart des régimes de retraite complémentaires des professions libérales. Le projet de loi dispose désormais que les assurés n’auront pas l’obligation de liquider l’ensemble de leurs pensions de retraite pour pouvoir continuer leur activité dans le cadre du cumul emploi-retraite déplafonné.

Cette solution nous semble un bon compromis entre la nécessité d’harmoniser les dispositions du cumul emploi-retraite dans le sens d’une plus grande équité entre les assurés et celle de ne pas pénaliser les personnes dont la retraite complémentaire ne peut être liquidée qu’à un âge supérieur à l’âge légal.

Enfin, deux modifications introduites par l’Assemblée nationale font écho aux amendements que vous aviez acceptés dans le domaine de la gouvernance du système de retraites.

D’une part, c’est au sein du conseil commun de la fonction publique que se déroulera le débat annuel sur la politique des retraites dans les trois fonctions publiques. Nous évitons ainsi la création d’une nouvelle instance de concertation et garantissons la représentation effective des fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière.

D’autre part, en ce qui concerne les régimes de retraite des professions libérales, les conditions de nomination du directeur de la caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales sont assouplies par la suppression de la limite de temps prévue pour cette fonction. Le texte prévoit dorénavant que le mandat du directeur est d'une durée de cinq ans renouvelable. La demande émanant de la caisse elle-même et relayée par plusieurs d’entre nous est ainsi satisfaite.

S’agissant, pour terminer, des mesures de financement, la prise en compte de la situation des bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées est améliorée. En effet, comme vous l’avez rappelé à l’instant, madame la ministre, le Gouvernement a entendu les préoccupations exprimées par plusieurs de nos collègues et prévu une double revalorisation du minimum vieillesse en 2014.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a adopté le 4 décembre dernier le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Malgré ce vote positif, le rejet du texte en première lecture au Sénat et l’échec de la commission mixte paritaire laissent peu d’espoir quant à une issue positive de nos débats. Bien évidemment, je le déplore, car, comme j’ai eu l’occasion de le souligner à de nombreuses reprises, ce texte adosse à un effort de redressement indéniable de nombreuses mesures d’équité, qui permettent de prendre en compte la diversité des situations sociales et professionnelles face à la retraite.

En effet, l’exigence de justice est au cœur du projet qui nous est proposé, comme elle l’a été depuis l’entrée en fonction du Gouvernement. Dois-je rappeler que l’une des toutes premières mesures prises par celui-ci, au travers du décret du 2 juillet 2012, a consisté à élargir le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue aux assurés ayant commencé à travailler avant l’âge de 20 ans ?

Après son passage à l’Assemblée nationale, le texte sur lequel nous devons nous prononcer a gagné tant en précision qu’en cohérence. En engageant, au-delà des mesures de redressement et d’équité, un nouvel acte du droit à l’information en matière de retraite, il réunit les conditions du retour à une plus grande confiance dans la faculté des régimes de retraite à remplir leurs objectifs non seulement financiers, mais aussi sociaux. Le Sénat s’honorerait en lui réservant une suite favorable. §

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