On observe ensuite une fuite en avant financière, puisque le déficit des régimes de base devrait atteindre 13 milliards d’euros en 2020 tandis que les mesures proposées dégageront – au mieux, car ce chiffre repose sur une hypothèse de croissance de 1, 6 % par an, qui relève à mon sens du vœu pieux – 7 milliards d’euros.
En réalité, le Gouvernement ne fait que repousser à plus tard la prise en compte des vrais enjeux, dans l’espoir d’un miraculeux redressement économique que la politique qu’il met en œuvre ne favorise nullement.
Par ailleurs, le Gouvernement ne présente aucune mesure allant dans le sens de la convergence du public et du privé en matière de retraites, ne fait preuve d’aucune volonté de réfléchir à un système de capitalisation dont on sait bien que, tôt ou tard, il verra le jour. Il ne propose pas de réforme ni de mutualisation des méthodes de gestion, dont le coût, qui atteint 6 milliards d’euros, est deux fois plus élevé que dans les autres pays européens, tels que l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne. Le potentiel d’économies sur la gestion des caisses de retraite serait de l’ordre de 2, 5 milliards à 3 milliards d’euros. Au contraire, on crée une énième structure : un comité de suivi des retraites composé de membres nommés par décret – il ne s’agit pas de consulter les partenaires sociaux ! – et venant se superposer au COR.
Le Gouvernement affirme qu’il n’y a pas de report de l’âge de départ à la retraite, mais un allongement de la durée de cotisation : c’est là une hypocrisie manifeste !
En effet, dans le document retraçant la stratégie de politique économique de la France adressé le 1er octobre à Bruxelles, le Président de la République reconnaît que l’âge de départ à la retraite – effectif, mais pas légal – va faire un bond à la suite de l’allongement à quarante-trois annuités de la durée de cotisation en 2035.
Cela veut dire qu’un assuré ayant commencé sa carrière à 23 ans – c’est la moyenne en France – ne pourra partir à la retraite en bénéficiant du taux plein qu’à partir de 66 ans. Il s’agit donc d’une augmentation déguisée de l’âge de départ à la retraite. En fait, même si celui-ci est maintenu à 62 ans, mécaniquement, afin de pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein, les assurés devront travailler jusqu’à 66 ans.
Dans le même temps, au Royaume-Uni, qui arrive en tête des pays occidentaux en termes de performances économiques, avec un net recul du chômage – 400 000 emplois ont été créés – et un rebond significatif de la croissance – son taux est de 1, 4 % cette année –, le Gouvernement envisage de repousser l’âge de départ à la retraite à 68 ans, puis à 69 ans à l’horizon 2040.
Un autre problème réside dans la tentative du Gouvernement de mettre la main sur les réserves des caisses des professions libérales par le biais de la nomination par l’État d’un directeur, au prétexte qu’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, dénonce une gestion hasardeuse. Sachant que ces caisses dégagent un excédent de 15 milliards d’euros, j’aimerais que toutes les gestions soient aussi hasardeuses que celle-ci… Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage ! J’observe que le rapport de l’IGAS a même mis en cause l’opportunité de certains placements de ces caisses de retraite. Or, jusqu’à présent, on constate des excédents.
Soulignons, enfin, un refus catégorique d'envisager la mise en place d’une retraite par points pour le régime de base – alors que les partenaires sociaux, patronaux et même syndicaux, pour certains, s'y sont montrés favorables –, afin d’ouvrir une perspective pour résoudre ce fameux problème de la prise en compte de la pénibilité.
Cette énumération incomplète le confirme : cette réforme n’est qu’un simple ajustement financier qui, pour le Gouvernement, consiste ici comme ailleurs à taxer davantage. Depuis plusieurs mois, on ne fait que cela : créer des impôts et des charges nouvelles, ce qui freine la compétitivité des entreprises et réduit le pouvoir d'achat.
Dressons maintenant la liste des conséquences de cet ajustement financier.
La première a déjà été soulignée : une augmentation de 0, 3 % des cotisations des actifs en 2013, pour financer le retour à la retraite à 60 ans.
En outre, la fiscalisation des bonus accordés aux personnes ayant élevé trois enfants risque d’entraîner l’assujettissement à l’impôt sur le revenu d’un nombre important de retraités. Comme toujours, ce sont les classes moyennes qui, indirectement, seront pénalisées par ces ajustements financiers.
Par ailleurs, le déplafonnement des cotisations d'assurance vieillesse des travailleurs indépendants, qui induira une hausse de celles-ci de 100 millions d’euros, viendra se superposer au déplafonnement des cotisations d’assurance maladie décidé l'année dernière pour cette même catégorie.
Mentionnons encore le financement de la majoration des retraites des exploitants agricoles par les agriculteurs eux-mêmes – et non par la solidarité nationale, alors que c'était une promesse de campagne du Président de la République – et le report de six mois de la révision des pensions de retraite, mesure qui, une fois de plus, touchera de plein fouet les classes moyennes.
Dans le même temps, le Gouvernement rejette l’amendement d’Isabelle Debré relatif au complément de revenu pour les bénéficiaires du minimum vieillesse, prétendant intervenir dans ce domaine par voie réglementaire, au mépris du travail et de la légitimité du Parlement…
J’ajoute que cette dernière mesure, qui avait été adoptée quasiment à l'unanimité par le Sénat, aurait pu profiter à des milliers de personnes ayant des revenus faibles si elle avait été mise en œuvre en temps utile, c'est-à-dire en janvier de cette année. Alors que tout était prêt pour leur donner satisfaction, on les laisse au bord de la route…
Enfin et surtout, je citerai la mise en place de l’usine à gaz du compte personnel de prévention de la pénibilité, dont le coût est estimé à 2, 5 milliards d’euros en 2040 alors qu’elle n’est financée qu’à hauteur de 800 millions d’euros. On sait bien que la mise en œuvre de ce dispositif conduira les salariés concernés à privilégier un départ anticipé à la retraite, au détriment de la formation et de la prévention. Tous nos échanges avec les organisations d'employeurs nous indiquent qu’il en ira ainsi, les salariés ne faisant aucun cas des possibilités de formation et de prévention…
Le coût de la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité va rapidement se révéler insupportable pour les très petites entreprises, déjà prises à la gorge, et je crains que, au cours de l'année à venir, au rebours des propos lénifiants qui nous sont assénés à longueur de journée, nous n’assistions à une multitude de dépôts de bilan. En tout état de cause, les frais administratifs, sous forme d'honoraires de conseils en matière de gestion, entraveront davantage encore la compétitivité des entreprises.
Telles sont les principales critiques que notre groupe formule à l’égard de cette réformette, de ce simple ajustement financier, et dont découle la quinzaine d'amendements que nous avons redéposés.
Comment ne pas faire le parallèle entre ce texte d'ajustement financier et les grandes envolées d'un Premier ministre annonçant voilà peu une remise à plat de la fiscalité dont personne ne sait où elle commence ni, surtout, quand elle s'achèvera, sachant qu’il a lui-même déclaré qu'une telle réforme prendra au moins deux quinquennats ?