Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi est un petit texte sur un grand sujet. Elle tend à rétablir une plus juste concurrence entre les acteurs du marché du livre.
Les plateformes de vente en ligne et les librairies de vente physique ne sont pas soumises aux mêmes conditions, pour autant, il est important de faire respecter la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre.
Nous tenons particulièrement à rappeler notre attachement à ce dispositif et à ce précieux maillon de la chaîne de diffusion de la culture que sont les libraires et les librairies.
Il ne faut pas oublier, selon nous, le rôle de la librairie dans la chaîne du livre. Sans les librairies, il n’y a pas d’auteurs, en tout cas pas de nouveaux auteurs émergents, qui ont besoin de temps pour trouver un public. C’est dans cette optique que la loi du 10 août 1981 avait instauré le système du prix unique du livre en France, qui a permis de préserver la création littéraire et de protéger les petites librairies indépendantes contre la menace des grandes surfaces offrant une moins grande diversité d’ouvrages.
Mais, depuis 1981, et avec, en 2011, le vote de la loi relative au prix du livre numérique, des évolutions technologiques et comportementales ont modifié la façon dont les livres sont vendus. Peut-être parlera-t-on plus tard d’un changement de paradigme.
Les grandes surfaces alimentaires ou généralistes captent environ 20 % du total des ventes, qui se réduisent souvent aux best-sellers. Les grandes surfaces consacrées à la culture représentent 23 % des ventes, 15 % sont réalisées par le commerce en ligne, 12 % par la vente par correspondance et les clubs de lecture et 8 % par les kiosques et autres commerces de presse.
Les librairies indépendantes réalisent, quant à elles, 24 % du total des ventes de livres physiques. Ce dernier résultat ne doit pas pour autant faire oublier les fermetures régulières et regrettables de librairies, comme à Beauvais, ni le dépôt de bilan des cinquante-sept librairies Chapitre, qui constituent autant de signaux inquiétants et autant d’emplois détruits.
Plus important encore, par un mouvement croisé, les ventes de livres chutent de 3, 8 % dans les petites libraires, alors qu’elles progressent de 9, 7 % dans la vente à distance.
La vente en ligne constitue ainsi une nouvelle forme de concurrence redoutable, pour laquelle le livre est devenu un produit d’appel permettant à des officines de constituer des fichiers de clients qui seront utilisés demain à d’autres fins.
Le problème tient au fait que les sites de vente en ligne offrent des frais de port gratuits. C’est ce qui a motivé le dépôt de cette proposition de loi, car il s’agit d’un moyen de contourner la loi de 1981. Cela n’est pas acceptable, ainsi qu’il a été dit dans la présentation de la proposition de loi, acté à l’Assemblée nationale et revu en commission.
Ainsi, pour tenter de soutenir les librairies, la proposition de loi que nous examinons a pour objectif l’interdiction du cumul du rabais de 5 % et de la gratuité des frais de port.
Nous saluons le travail de la rapporteur, Bariza Khiari, qui a complété le dispositif proposé, afin d’indiquer que le service de livraison ne peut être offert à titre gratuit, dès lors que la commande n’est pas remise en magasin.
Mes chers collègues, cette proposition de loi ne suffira vraisemblablement pas à sauver le modèle traditionnel des librairies de proximité, mais, sans ce texte, ces établissements ne disposeraient pas du temps utile pour s’adapter aux évolutions nécessaires. En ce sens, cette proposition de loi constitue une bouée, et c’est certainement positif.
Au-delà, le débat de ce soir pose aussi la question du modèle culturel que nous souhaitons pour le livre et l’édition et, par extension, le modèle de société que nous voulons. Pour soutenir le livre, il faut non seulement des auteurs qui écrivent des ouvrages de qualité, mais aussi des lecteurs qui achètent ou empruntent ces livres, dans un écosystème très délicat.
La véritable cause du présent débat tient au manque de fair-playd’une entreprise qui a eu une idée de génie et qui, simplement, en contournant les règles du droit du travail et du droit fiscal, parvient à instaurer un avantage compétitif absolument déloyal par rapport aux petites librairies.