Séance en hémicycle du 8 janvier 2014 à 22h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Didier Guillaume.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres (proposition n° 35, texte de la commission n° 248, rapport n° 247).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Aurélie Filippetti

Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la fin de l’année 2013 a éclairé d’une manière très contrastée les différents mouvements qui agitent aujourd’hui l’économie du livre, en France mais également dans le monde.

Du côté positif, les études montrent que le livre reste le cadeau préféré des fêtes de fin d’année pour les Français et les Européens.

De fait, le livre représente un secteur économique puissant. L’étude que j’ai commandée, avec le ministre des finances, sur l’apport de la culture à l’économie montre que le livre figure au premier rang des industries culturelles, pour un niveau d’aides publiques extrêmement faible.

Cette filière représente 15 % de l’apport de la culture à l’activité économique de notre pays, pour un volume d’aides qui n’excède pas 1 % de sa production.

L’industrie du livre constitue un véritable atout pour la France, bien sûr, mais aussi pour l’Europe dans son ensemble ; nous devons en prendre davantage conscience.

Sur les cinq plus grands éditeurs américains, quatre sont la propriété de groupes européens. Aucune autre industrie culturelle n’exerce une telle influence sur le sol des États-Unis. Je vois aussi, grâce aux contacts réguliers que je peux avoir avec les professionnels de ce secteur à l’étranger, à Francfort et Berlin, à Rome ou à Bruxelles, combien cette part essentielle de l’économie et de la culture européenne est solide, et combien la voix de la France est appréciée et écoutée lorsqu’elle évoque la régulation de cette activité.

Mais, d’un autre côté, la fin de l’année 2013 restera aussi marquée par la cessation d’activité de Virgin et par les premières opérations de démantèlement des librairies Chapitre, qui mettent ainsi un terme à l’un des premiers réseaux de vente de livres de notre pays.

Bien évidemment, personne ne reste indifférent au sort de ces 1 200 professionnels qui faisaient le succès de ce réseau. Je salue l’action des éditeurs qui, à travers l’ADELC, l’Association pour le développement de la librairie de création, participent au financement, au côté de l’État, de la plupart des reprises de magasins cédés par le groupe – nous sommes d’ailleurs encore en train d’examiner un nouveau plan, avec de nouvelles offres de reprises, dont nous espérons qu’il aboutira le mois prochain. Les services du ministère de la culture, aussi bien à Paris que dans les DRAC, sont tous extrêmement mobilisés, avec les préfets, pour trouver des solutions de reprise pour les enseignes du groupe Chapitre. Bien évidemment, le Centre national du livre accompagne aussi, par son expertise et ses financements, les cessions aux repreneurs les plus à même de transformer ces points de vente en nouvelles librairies indépendantes, viables et durables.

De ce fait, aujourd’hui, seize magasins pourront d’ores et déjà continuer leur activité, puisque des offres de reprise solides se sont manifestées.

Cette situation n’est pas le fait des libraires ou des professionnels qui travaillaient pour cette enseigne Chapitre, mais bien le fruit d’une gestion déplorable de la part du groupe Actissia et de décisions stratégiques particulièrement malheureuses.

Au-delà, cette faillite est également le révélateur des mutations profondes qui sont à l’œuvre aujourd’hui dans l’économie du livre. Elles sont notamment induites par la révolution numérique, qui affecte le livre comme l’ensemble des industries culturelles, et qui n’épargne aucun maillon de la chaîne économique du livre.

J’aurai l’occasion d’évoquer plus loin les transformations des relations entre auteurs et éditeurs dues au développement du livre numérique. Je centrerai pour l’instant mon propos sur ce dont il est question dans cette proposition de loi, à savoir la diffusion du livre et le commerce de détail.

Chacun sait que cette activité est régulée dans notre pays depuis plus de trente ans par la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre, que vous avez vous-mêmes complétée en 2011, mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’édition numérique. De l’avis de tous, ce texte a offert un cadre adapté à une croissance remarquable de la production éditoriale française, favorable autant à la création littéraire qu’aux lecteurs, lesquels ont bénéficié d’une très grande modération des prix fixés par les éditeurs. Elle garantit aussi une juste concurrence, puisqu’elle a permis qu’un équilibre soit maintenu entre les différents canaux de revente au détail, sans concentration excessive au profit des plus gros acteurs, et sans jamais constituer une barrière à l’entrée de nouveaux acteurs, français ou étrangers.

La loi Lang a donc atteint ses objectifs, notamment le maintien et l’épanouissement d’un réseau très riche de 3 000 libraires indépendants de proximité, qui sont autant de commerces de détail dans nos villes, nos métropoles, mais aussi dans des cités plus modestes, voire des zones rurales. C’est l’un des piliers du développement culturel et de la sociabilité de nos territoires.

Les librairies restent toutefois le commerce de détail le moins rentable, celui où les marges sont les plus faibles. Beaucoup de magasins sont donc dans des situations de tension réelle, la situation du groupe Chapitre en constituant l’illustration la plus extrême.

La vente en ligne est toutefois la seule partie de l’activité de vente de livres qui augmente aujourd’hui, alors que le marché dans son ensemble s’inscrit en légère diminution.

C’est donc dans cet esprit que j’ai proposé, dès mon arrivée au Gouvernement, un plan d’action en faveur de la librairie indépendante.

Son objectif principal n’était certainement pas de placer ce secteur dans une quelconque forme de dépendance vis-à-vis de l’intervention publique. Les libraires sont des commerçants indépendants, dans tous les sens du terme. J’ai rappelé précédemment que l’économie du livre était un secteur de la culture qui n’était pratiquement pas aidé en comparaison d’autres industries culturelles. Bien au contraire, notre intention est de permettre au commerce de livres d’accroître sa rentabilité pour que les librairies indépendantes restent attractives et puissent elles aussi se moderniser pour participer pleinement à la transition numérique de l’économie.

Les moyens d’action de ce plan passent tout d’abord par une mobilisation de nos moyens financiers en faveur de la librairie. Deux fonds ont ainsi été créés ou abondés, grâce à l’intervention du Centre national du livre, que j’ai mobilisé.

Un premier fonds de 5 millions d’euros, placé auprès de l’IFCIC, l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles – la banque des industries culturelles –, permet d’accompagner les librairies pour ce qui relève de leur trésorerie, particulièrement tendue en raison, notamment, de la prudence excessive des banques en cette période de crise.

Un second dispositif, placé auprès de l’ADELC, l’association des éditeurs français pour la librairie de qualité, viendra renforcer les moyens de cet organisme à hauteur de 4 millions d’euros pour accompagner les reprises et transmissions de librairies. Vous comprendrez qu’il était particulièrement urgent d’agir de la sorte, dans un contexte où les difficultés de réseaux structurants comme Chapitre nécessitent des mesures adaptées pour accompagner les possibilités de reprise. L’État ne se substitue pas à l’investissement privé, mais il est là pour accompagner quand il y a des projets de reprise viables et solides, et pour faciliter ces reprises, qui sont si cruciales pour nombre de nos villes – je rappelle que le réseau Chapitre regroupait cinquante-sept librairies.

Mais nos moyens d’action passent également par une adaptation du cadre de régulation que constitue la loi Lang sur le prix unique du livre.

À cet égard, j’ai proposé et obtenu l’insertion, dans le projet de loi relatif à la consommation porté par Benoît Hamon, et toujours en cours de discussion au Parlement, de la création d’un médiateur du livre, longtemps attendu par les professionnels de la librairie, qui veillera à l’application de la loi pour les relations entre éditeurs, librairies et diffuseurs en ligne. Parallèlement, les fonctionnaires du ministère de la culture seront désormais habilités à constater les infractions à la loi sur le prix unique du livre.

Aujourd’hui, nous sommes donc dans une étape supplémentaire de ce vaste plan d’ensemble en faveur de la librairie, en particulier la librairie indépendante.

Après les aides financières et le renforcement de la régulation, nous allons examiner l’encadrement de la vente de livres à distance. Il s’agit de respecter l’esprit de la loi Lang, en lui permettant de faire face aux nouveaux défis de la vente en ligne, dont le développement a en effet contribué à brouiller sensiblement les contours de la régulation fondamentale qu’est la loi sur le prix unique du livre. Et nous devons donc revenir à l’esprit de cette loi, qui fait l’objet d’un consensus au sein du Parlement.

La vente en ligne apporte un confort considérable à beaucoup de Français, qu’il s’agisse de ceux qui vivent dans les zones rurales ou de ceux dont les rythmes de vie et de travail ne permettent pas d’accéder aisément à la plupart des commerces de livres. Internet permet ainsi de nouveaux modes de consommation qui peuvent être bénéfiques pour tous et pour la pratique de la lecture.

J’ai rappelé que la loi sur le prix unique n’avait aucunement entravé la libre concurrence. Bien au contraire, elle a favorisé une juste concurrence entre les différents libraires. Ainsi, on compte aujourd’hui quelque 3 000 libraires sur notre territoire, contre 2 000 aux États-Unis et 1 000 en Grande-Bretagne.

On constate qu’à l’heure actuelle le seul canal de vente qui progresse est celui de la vente en ligne. Mais tous les acteurs du secteur, et plus particulièrement les libraires, doivent pouvoir trouver leur place au sein de ce mode de diffusion dans des conditions acceptables.

Par conséquent, il ne s’agit pas, dans l’esprit du Gouvernement, de brimer un mode de consommation nouveau, complémentaire des modes de consommation physiques, mais d’offrir aux vrais libraires, à ceux qui font aimer la lecture et les livres, et qui donc défendent l’ensemble de la chaîne du livre, la possibilité de se positionner sur ce secteur de la vente en ligne.

Il s’agit donc de rétablir les conditions d’une concurrence équitable entre les différents acteurs de la vente en ligne de livres, d’une part, et entre les réseaux physiques et le commerce en ligne, d’autre part.

En effet, aujourd’hui, la gratuité des frais de port, qui a été systématiquement associée au rabais de 5 % sur le prix du livre permis par la loi Lang, a constitué le principal moyen pour les nouveaux acteurs de la vente en ligne de prendre position sur le marché du livre, puisque la concurrence par les prix des livres eux-mêmes était impossible dans notre pays.

Cette stratégie, pratiquée dès l’origine par les grandes plateformes américaines, a entraîné une course à l’échalote de la part des librairies physiques nationales qui souhaitaient développer leur activité numérique et qui, donc, se sont retrouvées entraînées dans une course-poursuite aux rabais sur les frais de port.

De fait, nous savons que la gratuité intégrale des frais d’expédition ne permet pas d’équilibrer l’activité des librairies qui la pratiquent. Elle ne constitue donc qu’un argument commercial valable seulement pendant une durée déterminée, c'est-à-dire en vue de conquérir un marché, ou bien doit être compensée par d’autres activités que la vente de livres. C’est pourquoi cette gratuité des frais de port n’est l’apanage que d’un nombre très réduit d’acteurs.

Si les grands marchands numériques peuvent assumer une telle politique, c’est aux revenus tirés des pratiques d’optimisation fiscale qu’ils le doivent et à leur établissement hors de nos frontières. Des firmes comme Amazon acquittent très peu d’impôts en France – ainsi que dans d’autres pays qui nourrissent les mêmes préoccupations que la France à l’égard de cette entreprise –, ce qui leur permet, tout en maintenant leurs comptes en équilibre, de proposer des prix plus bas que les opérateurs nationaux.

Nous sommes donc sur une pente très dangereuse. Comme ces grands acteurs proposent les prix les plus bas dans la plupart des secteurs, ils gagnent rapidement des parts de marché et éliminent une concurrence qui ne parvient pas à s’aligner. Dans le même temps, à mesure que le volume des transactions qui passent sous leur contrôle augmente, les recettes fiscales des États diminuent.

Du reste, ces stratégies ne sont pas particulièrement altruistes envers les consommateurs : il s’agit bien de stratégies de conquête de parts de marché. Je rappelle qu’Amazon, par exemple, n’offre pas le port gratuit sur tous les biens qu’il commercialise, qu’il ne livre pas gratuitement les livres dans tous les pays, et que la concentration du marché à son profit dans certains pays lui permet d’ores et déjà d’augmenter ses tarifs aux consommateurs : ainsi, aux États-Unis, depuis octobre 2013, le minimum d’achat pour bénéficier de la gratuité de livraison est passé de 25 dollars à 35 dollars. Au Royaume-Uni, depuis le 7 janvier 2014, la gratuité vient également d’être limitée aux paniers dont le montant est supérieur à 10 livres. Ces deux pays sont ceux où la position d’Amazon dans le commerce de livres est la plus importante.

C’est pourquoi, dès le mois de juin dernier, je me suis exprimée lors des rencontres nationales de la librairie de Bordeaux en faveur d’une action déterminée pour interdire le cumul des deux avantages que sont le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port. C’est aussi pourquoi le Gouvernement a accueilli favorablement l’initiative des députés MM. Christian Kert, Hervé Gaymard et Christian Jacob, lorsqu’ils ont porté à l’Assemblée nationale la proposition de loi dont est issu le texte que nous examinons ce soir.

Ce texte, amendé à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, a été adopté, je le rappelle, à l’unanimité des députés. La discussion qui s’engage aujourd’hui est donc placée sous le signe d’une forte cohésion de la représentation nationale, comme c’est souvent le cas pour les sujets liés à la politique du livre, spécificité française dont nous nous réjouissons. Je sais combien Mme la rapporteur Bariza Khiari…

Debut de section - Permalien
Aurélie Filippetti, ministre

… s’est investie dans ce dossier, et je sais aussi quelle attention particulière elle porte à la politique du livre. Je veux l’en remercier chaleureusement.

Le texte tel qu’il résulte des travaux de votre commission n’est pas exactement celui qui a été transmis après le vote de l’Assemblée nationale. Je rappelle que la proposition de loi amendée par le Gouvernement prévoyait que, dans le cas où le livre est expédié par le vendeur à l’acheteur, le prix de vente doit être strictement celui qui a été fixé par l’éditeur, le détaillant pouvant en revanche prévoir une décote de l’équivalent de ces 5 % sur les frais de port qu’il facture à son client.

Cette rédaction initiale, madame la rapporteur, vous avez souhaité la compléter, et l’ensemble des membres de la commission vous a suivi sur ce point. Vous proposez d’encadrer légèrement la liberté tarifaire attachée à la prestation de livraison. Comme votre rapport le souligne, si cet encadrement supplémentaire a essentiellement une portée symbolique, il est aussi très important sur le plan commercial, puisqu’il s’agit de prohiber la gratuité totale de cette prestation de livraison, tout en laissant aux détaillants qui pratiquent la vente à distance le soin de déterminer librement le tarif qu’ils veulent appliquer, à condition qu’il ne soit pas nul.

Cette mesure pourrait également avoir un effet psychologique sur l’acheteur de livres, puisqu’il ne s’agit pas ici d’encadrer uniquement les prestations de vente de livres. Il est bon que le lecteur prenne conscience du fait que la livraison à domicile a un coût, même si celui-ci est minime. J’ai expliqué l’importance pour la nation du maintien du réseau physique de vente de livres, du maintien du réseau de libraires indépendants.

Madame la rapporteur, je trouve donc votre complément au texte initial tout à fait ingénieux. Il permet d’avoir un effet concret sur les frais de port sans pour autant présenter le danger qu’il y aurait à exiger des opérateurs une facturation au coût réel de la prestation de livraison. L’obligation de facturation au coût réel est tentante, nous l’avons envisagée, mais elle aurait sans doute engendré des effets contraires à celui qui est recherché, à savoir la préservation de la diversité des canaux et des points de vente.

En effet, au-delà des difficultés de contrôle, qui requerrait d’exercer un regard approfondi dans la comptabilité des entreprises, il est à craindre qu’une telle mesure n’aboutisse à déséquilibrer encore plus la concurrence sur le marché du livre en donnant une prime à l’opérateur le plus important, qui est le plus à même de négocier des tarifs compétitifs auprès des prestataires de transport.

Je vous remercie donc, madame la rapporteur, au nom de l’ensemble du Gouvernement, des travaux réalisés par votre commission et de leur résultat.

Je souhaite conclure sur les objectifs de la présente proposition de loi et sur son lien avec l’amendement que je serai amené à vous proposer au nom du Gouvernement.

Vous le savez, la régulation du secteur du livre poursuit une grande finalité : la diversité culturelle, en l’occurrence la diversité éditoriale. Le but est qu’il y ait le plus grand nombre d’œuvres de qualité, que toutes les pensées puissent trouver leur public, le plus large possible, et s’exprimer de la manière la plus variée.

Or, avec le développement de la circulation des livres numériques, beaucoup d’auteurs regardent avec inquiétude l’avenir de la diffusion de leurs livres. Ces inquiétudes portent sur leur rémunération, comme c’est le cas dans d’autres secteurs culturels, mais aussi sur leur relation avec les éditeurs, car personne ne sait vraiment à quels bouleversements s’attendre avec les changements numériques.

Dans le même temps, des opérateurs de l’Internet, qui sont aussi ceux qui, par leurs pratiques commerciales, détruisent les équilibres de concurrence dans le secteur de la librairie et nous amènent à légiférer aujourd’hui, en viennent à modifier la répartition de la valeur dans la chaîne des produits culturels en proposant aux auteurs un système de diffusion uniquement numérique de leurs livres, sans réel travail d’éditorialisation.

Or, pour la qualité et la vivacité de notre production littéraire et pour la pérennité de notre soutien aux auteurs, qui constituent sans doute le maillon le plus fragile de la chaîne du livre, nous avons besoin de maintenir cette relation forte de confiance entre auteur et éditeur. C’est là encore une question de diversité éditoriale.

Voilà pourquoi un grand travail a été réalisé l’année dernière sous l’égide du professeur Pierre Sirinelli afin de concilier les intérêts des auteurs et des éditeurs et d’œuvrer à la rédaction d’un contrat d’édition à l’ère numérique, contrat que j’aurai tout à l’heure l’occasion de vous présenter. Après plusieurs mois de discussions ardues, un accord tout à fait satisfaisant a été trouvé entre les représentants des auteurs et des éditeurs. Nous devons maintenant traduire cet accord dans la loi.

Au nom du maintien de la diversité et de la richesse éditoriales, je vous présenterai donc cet amendement gouvernemental visant à consolider la place et le rôle des auteurs dans la nouvelle société numérique. Nous apporterons ainsi une pierre de plus à l’entreprise de consolidation de la politique du livre à l’ère du numérique. §

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, le livre, objet culturel par excellence, bénéficie traditionnellement d’une attention toute particulière de la part des pouvoirs publics. Soutenu financièrement et encadré normativement, le marché du livre maintient ses positions, dans un contexte où les industries culturelles souffrent sans exception de la révolution numérique.

En effet, la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, celle du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, mais aussi le bénéfice d’un taux réduit de TVA sur les livres imprimés et homothétiques, constituent le socle sur lequel s’est développée et modernisée toute la chaîne du livre et grâce auquel a survécu un réseau de librairies indépendantes dense et de qualité.

Signe de l’intérêt non démenti des Français, y compris des plus jeunes, pour la lecture, la fréquentation du salon du livre de Paris comme celle du salon du livre Jeunesse de Montreuil ne cessent de croître.

Ce satisfecit ne doit toutefois pas masquer les difficultés, parfois considérables, auxquelles se heurtent les libraires depuis l’arrivée, sur le marché, des plateformes de vente de livres en ligne.

À titre d’exemple, nul n’ignore la puissance financière et le dynamisme de la stratégie commerciale d’une société comme Amazon, puisqu’il faut la citer ! Implantée au Luxembourg, cette entreprise n’est assujettie qu’à la marge à l’impôt sur les sociétés. En outre, s’agissant des livres numériques, elle bénéficie d’un taux de TVA particulièrement bas.

De fait, si le livre, produit refuge extrêmement valorisé socialement, a longtemps été épargné par la crise, la situation actuelle se révèle inquiétante.

Madame la ministre, vous venez de le rappeler, depuis deux ans, nous avons assisté à la triste chute de maisons bien connues, comme Virgin et Chapitre. Je me réjouis, certes, de la reprise d’un certain nombre de magasins, que vous venez de nous annoncer, mais, dans nos villes, nous n’en assistons pas moins à la fermeture de nombreux petits détaillants.

La vente de livres en commerce physique s’effrite progressivement. Désormais, la vente en ligne représente l’unique segment dynamique de l’économie du livre. Or, confrontés à la concurrence féroce des grands opérateurs, les libraires indépendants ont de plus en plus de mal à s’installer sur ce secteur, alors que la rentabilité de leur commerce s’élève, en moyenne, à 0, 6 %. Autant dire qu’ils sont aujourd’hui exsangues !

Le soutien public aux librairies doit donc franchir une étape supplémentaire, intégrant les conséquences, sur le commerce physique, de la puissance concurrentielle des plateformes de vente en ligne. Cet automne déjà, lors de la première lecture par le Sénat du projet de loi relatif à la consommation, le Gouvernement a introduit un dispositif de contrôle et de règlement amiable des contentieux de la législation applicable au prix du livre, avec la création d’un médiateur et en assermentant des agents du ministère de la culture et de la communication.

Annoncé en juin dernier, le plan d’aide aux librairies indépendantes offrira en outre, dès ce début d’année, de nouvelles modalités de soutien aux librairies en difficulté et favorisera la transmission des fonds de commerce.

De tout temps soucieuse de la promotion du livre et de la lecture, la commission de la culture a salué ces mesures, dont elle suivra la mise en œuvre avec attention.

Afin de compléter ces dispositifs favorables aux librairies, la présente proposition de loi tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres vise à renforcer l’environnement normatif du marché du livre.

L’article 1er de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre dispose que tout éditeur ou importateur doit fixer, pour chaque ouvrage, un prix de vente au public, tenu d’être respecté par les détaillants, quels qu’ils soient. Toutefois, le commerçant peut appliquer à ce prix une remise maximum de 5 %, ce taux pouvant être porté à 9 % pour des achats réalisés par les collectivités publiques, entreprises, bibliothèques ou encore établissements d’enseignement.

A contrario, en dehors des commandes d’ouvrages à l’unité non disponibles en magasin, qui doivent demeurer un service gratuit au client, les détaillants peuvent proposer un produit à un prix plus élevé que celui qui est fixé par l’éditeur ou par l’importateur, dès lors que sont facturées, à la demande de l’acheteur, des prestations supplémentaires exceptionnelles dont le coût a fait l’objet d’un accord préalable.

Les rédacteurs de cette loi ne pouvant prévoir l’essor du e-commerce sur le marché du livre, le flou entretenu par le texte sur la facturation des frais de livraison laisse libre cours à la systématisation, par certaines plateformes, du double avantage offert au client, qui bénéficie de la remise légale de 5 % et de la gratuité de la livraison.

Un tel degré de concurrence commerciale ne laisse guère d’espoir aux librairies qui souhaiteraient développer leur activité en ligne. Pis, il concourt à l’érosion du commerce physique de livres, désormais plus coûteux et d’accès moins aisé qu’un site de e-commerce expédiant, rapidement et gratuitement, toute commande au domicile de ses clients.

Soucieux de rétablir, autant que faire se peut, des conditions de concurrence plus équitables entre les divers acteurs du marché du livre, les auteurs de la présente proposition de loi envisageaient initialement de compléter l’article 1er de la loi du 10 août 1981 précitée par un alinéa disposant que la prestation de livraison à domicile ne peut être incluse dans le prix du livre tel que fixé par l’éditeur ou par l’importateur. Le seul avantage autorisé dans le cadre de la vente en ligne demeurait alors le rabais de 5 %.

Le débat en commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a mis au jour le souci commun à l’ensemble des groupes politiques de soutenir les librairies face à la concurrence des sites de vente en ligne. Pour autant, la rédaction de l’article unique de cette proposition de loi a été jugée insuffisante et le dispositif peu satisfaisant au regard des enjeux.

Au cours de la séance publique du 3 octobre dernier, le dispositif a été intégralement modifié sur l’initiative du Gouvernement, madame la ministre. La rédaction finalement retenue pour l’article unique de la proposition de loi a pour objectif, en complétant l’article 1er de la loi du 10 août 1981, d’interdire le cumul des deux avantages commerciaux que sont le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port.

Ainsi, dès lors qu’ils ne seront pas retirés dans un commerce de vente au détail de livres, les ouvrages commandés en ligne ne pourront plus bénéficier de la ristourne légale. Ce dispositif permettra aux libraires qui le peuvent et le souhaitent de proposer des livres moins chers en vente physique.

Par ailleurs, s’agissant du seul e-commerce, la concurrence entre sites ne pourra plus porter que sur les frais de livraison. Cette mesure permettra de prévenir une atrophie des marges par l’application quasi systématique de la ristourne de 5 %.

En revanche, dans cette version du texte, il n’est plus question d’interdire la gratuité des frais de port : il s’agit d’offrir aux plateformes de vente en ligne la possibilité d’appliquer, sur ces frais, dont elles fixent elles-mêmes le tarif, une réduction équivalant à 5 % du prix du livre acquis dans le cadre de la transaction.

Le texte issu de l’amendement gouvernemental a été adopté par nos collègues députés à l’unanimité, fait aussi rare que remarquable et signe du souci partagé de donner aux libraires les moyens de vivre de leur métier, de leur passion pour les livres, et de transmettre cette dernière.

Toutefois, madame la ministre, le dispositif ainsi révisé nous semblait incomplet concernant les frais de port, dont la facturation n’était plus mentionnée. De fait, les opérateurs de la vente de livres en ligne dont l’assise financière le permet pourront ainsi continuer à proposer un service de livraison gratuit, asphyxiant une concurrence qui ne pourrait appliquer de tels avantages.

Certes, vous l’avez rappelé, le principe de la liberté du commerce et l’impossibilité d’instituer un contrôle efficace interdisent toute fixation unilatérale et autoritaire d’un tarif plancher pour les frais de port, ainsi que l’établissement de ces frais à leur coût de revient, pour des raisons que vous avez indiquées.

Cependant, nous estimons que l’interdiction de la gratuité de la livraison aura un effet psychologique sur le consommateur, dont il ne faut pas méconnaître les conséquences positives – si modiques soient-elles – sur le rééquilibrage de l’environnement concurrentiel du marché du livre en ligne.

En conséquence, au cours de sa réunion du 18 décembre dernier, notre commission a complété, à l’unanimité, le texte de la proposition de loi afin d’indiquer que le service de livraison ne peut être offert à titre gratuit, dès lors que la commande n’est pas remise en magasin.

Il n’en demeure pas moins qu’en réalité – il convient d’en avoir conscience – les plateformes les plus puissantes continueront à afficher des frais de livraison inférieurs à ceux que proposera une petite librairie en ligne. En effet, en commandant de grandes quantités d’ouvrages, les sites de e-commerce sont en mesure de négocier avec les logisticiens des prix singulièrement inférieurs à ceux qui sont consentis aux libraires indépendants. Les frais de port ainsi facturés seront donc probablement de l’ordre du symbolique.

Cette évidence étant admise, il n’en demeure pas moins que le dispositif introduit via la proposition de loi ainsi modifiée par notre commission, complété du plan d’aide aux librairies indépendantes et d’un contrôle renforcé du respect de la législation sur le prix du livre – notamment du livre d’occasion, sur lequel j’attire l’attention de la Haute Assemblée – constituent indéniablement des signaux positifs en faveur les librairies.

Ces mesures ne seront réellement efficaces que si les libraires mettent à profit ce répit pour poursuivre leurs efforts de modernisation, notamment quant aux délais d’acheminement, de livraison à domicile et de maîtrise des coûts. Il s’agit, pour ces établissements, de se donner les moyens de satisfaire des consommateurs de plus en plus exigeants.

Enfin, madame la ministre, soyons ensemble réalistes : les efforts de régulation du marché par les pouvoirs publics et de modernisation par les libraires n’auront de véritable utilité que lorsque les conditions d’une concurrence saine et équitable seront établies, c’est-à-dire lorsqu’une entreprise comme Amazon se verra appliquer les mêmes modalités d’imposition fiscale que les autres acteurs de la chaîne du livre.

Sur ce point, vous savez combien les membres de notre commission, quelle que soit leur sensibilité politique, et ceux de la commission des finances, qui travaillent depuis longtemps à la recherche des solutions fiscales idoines, attendent les propositions que vous pourrez formuler à l’occasion de prochains rendez-vous législatifs.

Je le dis souvent, il n’est pas admissible que la vente d’un livre édité en France, distribué en France, acheminé via des infrastructures routières financées par l’État ou les collectivités, acheté en ligne grâce à l’aménagement numérique du territoire financé par les mêmes acteurs publics, ne profite pas, notamment en termes d’impôt sur les sociétés, à l’économie nationale. Les GAFA, comme on les appelle, agissent à mon sens comme des passagers clandestins !

Mme la ministre acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Au titre de la dernière loi de finances, les députés socialistes ont présenté et voté plusieurs amendements qui auraient pu permettre de mieux lutter contre les pratiques agressives d’optimisation fiscale développées par les « intaxables », mais aussi par d’autres sociétés qui s’inspirent de ce type de montages. Nous connaissons le sort réservé, hélas, à ces dispositions !

Mes chers collègues, une initiative collective permettrait d’agir efficacement. L’OCDE travaille et avance. Les États-Unis appellent également de leurs vœux une modification des règles fiscales internationales pour lutter contre cette érosion des bases fiscales des États.

Notre action doit donc s’inscrire dans plusieurs temporalités. L’une, qui sera longue, doit aboutir à la définition de règles fiscales internationales permettant une reterritorialisation des activités commerciales, notamment via la définition d’un établissement virtuel stable. L’autre consiste en une action immédiate et indispensable pour rééquilibrer le commerce du livre en France. Tel est l’objet de cette proposition de loi visant à encadrer la vente à distance dans le secteur du livre.

En conclusion, le présent texte, qu’il convient d’estimer sereinement à sa juste mesure, apporte sa pierre, utile, à l’édifice que le Gouvernement, comme certains de ses prédécesseurs, bâtit en faveur du livre et de la lecture ainsi que de la protection des librairies.

Sous réserve des améliorations apportées par les amendements que nous allons examiner, la commission vous invite, mes chers collègues, à voter cette proposition de loi dans un même élan d’enthousiasme. Je le sais, nous sommes tous conscients de l’importance qu’il convient d’accorder au livre, pour que vive notre exception culturelle !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, le marché du livre a engendré, en 2011, un chiffre d’affaires global de 5, 6 milliards d’euros dans notre pays, où il représente plus de 70 000 emplois directs. En outre, on peut considérer que ce secteur s’adapte mieux que d’autres aux bouleversements qu’il a subis au cours des dernières années. La lecture demeure l’une des pratiques culturelles préférées des Français, malgré les mutations technologiques, culturelles et sociales.

En dépit de ce constat encourageant, les librairies indépendantes se trouvent aujourd’hui, comme chacun sait, dans une situation d’extrême fragilité. Elles ont incontestablement besoin d’un soutien renforcé.

Madame la ministre, lors du Salon du livre de mars dernier, vous avez présenté un plan en faveur de la librairie indépendante. Certaines mesures, comme la création d’un médiateur du livre, ont été intégrées dans le projet de loi relatif à la consommation, qui reviendra, au cours du mois de janvier, en deuxième lecture devant la Haute Assemblée.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

La proposition de loi que nous examinons ce soir tend à encadrer les conditions de la vente à distances des livres – c’est là l’objectif qu’elle se donne dès son intitulé. Elle tente d’apporter des réponses aux difficultés posées par les pratiques commerciales particulièrement agressives et même déloyales de certains acteurs de la vente en ligne, et plus particulièrement de l’un d’entre eux, bien identifié et bien connu : Amazon.

Nous connaissons tous la relation privilégiée qui se noue entre un lecteur et un libraire qui le conseille, l’oriente et lui fait partager ses coups de cœur. Cette relation humaine est unique et irremplaçable ; elle n’a évidemment rien à voir avec la froideur d’un simple « clic » sur un écran.

Les sénateurs du RDSE sont extrêmement attachés à la préservation des librairies, qui représente au demeurant un enjeu en termes d’égalité des territoires. Nous soutenons donc toutes les mesures permettant de préserver cette spécificité de notre pays qu’est l’exceptionnel maillage des points de vente de livres. La France en compte près de 25 000, dont 3 000 librairies.

C’est pourquoi nous apporterons notre soutien au présent texte, qui permet de rééquilibrer le rapport de force entre les librairies traditionnelles et les acteurs de la vente de livres en ligne, et plus spécifiquement le leader sur ce marché, qu’il contrôle déjà à hauteur de 70 %.

Pour autant, madame la ministre, il nous semble que la solution proposée par ce texte, qui consiste à interdire le double avantage pratiqué systématiquement par Amazon – l’application de la remise légale de 5 % sur le prix unique du livre et la gratuité des frais de port – ne peut être qu’insuffisante, voire insatisfaisante, …

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

… pour résoudre les difficultés qui se posent aujourd’hui aux librairies traditionnelles.

Face à une demande de plus en plus variée et exigeante, avec des attentes très élevées quant à la disponibilité des ouvrages, par exemple, comment les librairies peuvent-elles s’adapter ? Leurs moyens financiers et les contraintes spatiales qui sont les leurs ne leur permettent évidemment pas de concurrencer des plateformes de vente en ligne comme Amazon, qui peut proposer des millions de références, immédiatement disponibles.

En outre, l’une des questions importantes, à l’heure actuelle, pour de nombreuses librairies indépendantes, notamment celles qui sont situées en centre-ville, reste l’insoutenable montée des charges locatives. Or ni cette proposition de loi ni le plan d’aide aux librairies indépendantes que vous avez présenté, madame la ministre, n’apportent de réponse sur ce point, pourtant crucial pour la survie de certains établissements.

Enfin, il est vrai que les géants du numérique – souvent regroupés sous l’acronyme « GAFA » pour Google, Apple, Facebook, Amazon – dérangent… Mais quel est le véritable problème que posent ces grands groupes exclusivement américains ? Leurs pratiques commerciales, certes, mais surtout leurs pratiques fiscales !

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Si nous avons raison de nous indigner de l’optimisation fiscale pratiquée par ces groupes, nous devons aussi nous interroger sur les ressorts d’une telle optimisation. Pourquoi est-elle possible et, surtout, pourquoi ne parvenons-nous pas à la combattre et ainsi à rendre la fiscalité véritablement équitable, à l’heure du numérique ?

Je vois deux raisons essentielles à cela.

Tout d’abord, l’absence d’harmonisation fiscale à l’échelle de l’Union européenne constitue un véritable tremplin pour le dumping fiscal de certaines grandes entreprises, qui n’appartiennent pas exclusivement au secteur du numérique.

Ensuite, notre système fiscal est profondément inadapté à l’économie numérique. Le président de notre commission des finances, Philippe Marini, est l’auteur d’une proposition de loi sur le sujet, que j’ai eu l’honneur de rapporter ; nous l’évoquions, madame la ministre, hier après-midi en commission. Selon notre collègue, « une fiscalité moderne ne peut plus ignorer les formes sans cesse innovantes de création de valeur et de richesse apportées par la croissance de l’économie numérique ».

Le Sénat avait enterré cette proposition de loi sous les fleurs – j’avais justement évoqué le sujet avec Fleur Pellerin… §Le Gouvernement s’était engagé fortement à prendre une initiative en ce sens. J’avais fait valoir des arguments ; il fallait gagner du temps.

Cependant, c’est bien l’adaptation de la fiscalité à l’économie numérique qui constitue la question cruciale aujourd’hui, une question à laquelle il faudra répondre si l’on veut vraiment rééquilibrer le rapport de force entre les géants du numérique et les acteurs traditionnels, dans le domaine culturel, comme dans d’autres.

Il s’agit, bien sûr, d’une démarche complexe et délicate – si la solution était simple, cela se saurait –, qui implique de trouver des solutions à l’échelle européenne, et même internationale, mais elle est absolument indispensable.

Dans l’attente de ces évolutions majeures concernant la réponse fiscale à apporter à la révolution numérique – vous nous communiquerez sans doute, madame la ministre, l’état d’avancement des travaux du Gouvernement dans ce domaine –, l’ensemble des membres du groupe RDSE voteront avec enthousiasme cette proposition de loi relative à la vente en ligne de livres, qui permettra d’offrir une petite bouffée d’oxygène aux librairies indépendantes, asphyxiées par les pratiques déloyales de certains acteurs de la vente en ligne.

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi est un petit texte sur un grand sujet. Elle tend à rétablir une plus juste concurrence entre les acteurs du marché du livre.

Les plateformes de vente en ligne et les librairies de vente physique ne sont pas soumises aux mêmes conditions, pour autant, il est important de faire respecter la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre.

Nous tenons particulièrement à rappeler notre attachement à ce dispositif et à ce précieux maillon de la chaîne de diffusion de la culture que sont les libraires et les librairies.

Il ne faut pas oublier, selon nous, le rôle de la librairie dans la chaîne du livre. Sans les librairies, il n’y a pas d’auteurs, en tout cas pas de nouveaux auteurs émergents, qui ont besoin de temps pour trouver un public. C’est dans cette optique que la loi du 10 août 1981 avait instauré le système du prix unique du livre en France, qui a permis de préserver la création littéraire et de protéger les petites librairies indépendantes contre la menace des grandes surfaces offrant une moins grande diversité d’ouvrages.

Mais, depuis 1981, et avec, en 2011, le vote de la loi relative au prix du livre numérique, des évolutions technologiques et comportementales ont modifié la façon dont les livres sont vendus. Peut-être parlera-t-on plus tard d’un changement de paradigme.

Les grandes surfaces alimentaires ou généralistes captent environ 20 % du total des ventes, qui se réduisent souvent aux best-sellers. Les grandes surfaces consacrées à la culture représentent 23 % des ventes, 15 % sont réalisées par le commerce en ligne, 12 % par la vente par correspondance et les clubs de lecture et 8 % par les kiosques et autres commerces de presse.

Les librairies indépendantes réalisent, quant à elles, 24 % du total des ventes de livres physiques. Ce dernier résultat ne doit pas pour autant faire oublier les fermetures régulières et regrettables de librairies, comme à Beauvais, ni le dépôt de bilan des cinquante-sept librairies Chapitre, qui constituent autant de signaux inquiétants et autant d’emplois détruits.

Plus important encore, par un mouvement croisé, les ventes de livres chutent de 3, 8 % dans les petites libraires, alors qu’elles progressent de 9, 7 % dans la vente à distance.

La vente en ligne constitue ainsi une nouvelle forme de concurrence redoutable, pour laquelle le livre est devenu un produit d’appel permettant à des officines de constituer des fichiers de clients qui seront utilisés demain à d’autres fins.

Le problème tient au fait que les sites de vente en ligne offrent des frais de port gratuits. C’est ce qui a motivé le dépôt de cette proposition de loi, car il s’agit d’un moyen de contourner la loi de 1981. Cela n’est pas acceptable, ainsi qu’il a été dit dans la présentation de la proposition de loi, acté à l’Assemblée nationale et revu en commission.

Ainsi, pour tenter de soutenir les librairies, la proposition de loi que nous examinons a pour objectif l’interdiction du cumul du rabais de 5 % et de la gratuité des frais de port.

Nous saluons le travail de la rapporteur, Bariza Khiari, qui a complété le dispositif proposé, afin d’indiquer que le service de livraison ne peut être offert à titre gratuit, dès lors que la commande n’est pas remise en magasin.

Mes chers collègues, cette proposition de loi ne suffira vraisemblablement pas à sauver le modèle traditionnel des librairies de proximité, mais, sans ce texte, ces établissements ne disposeraient pas du temps utile pour s’adapter aux évolutions nécessaires. En ce sens, cette proposition de loi constitue une bouée, et c’est certainement positif.

Au-delà, le débat de ce soir pose aussi la question du modèle culturel que nous souhaitons pour le livre et l’édition et, par extension, le modèle de société que nous voulons. Pour soutenir le livre, il faut non seulement des auteurs qui écrivent des ouvrages de qualité, mais aussi des lecteurs qui achètent ou empruntent ces livres, dans un écosystème très délicat.

La véritable cause du présent débat tient au manque de fair-playd’une entreprise qui a eu une idée de génie et qui, simplement, en contournant les règles du droit du travail et du droit fiscal, parvient à instaurer un avantage compétitif absolument déloyal par rapport aux petites librairies.

Debut de section - Permalien
Aurélie Filippetti, ministre

Cela fait tout de même beaucoup !

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Je vous incite à lire l’ouvrage remarquable de Jean-Baptiste Malet, En Amazonie, infiltré dans le « meilleur des mondes », qui nous montre l’envers du décor, ou plutôt, devrais-je dire, « l’enfer du décor ».

Certes, l’acheteur reçoit son livre en quarante-huit heures, mais on découvre dans cet ouvrage des salariés maltraités, précarisés, déplacés comme des pions, soumis à des cadences infernales qui n’ont rien à envier au film de Charlie Chaplin. Et, quand ils s’organisent, comme ils en ont tout de même le droit, ces salariés peuvent vivent des épreuves très dures, comme en Allemagne, où, malgré l’action du syndicat VerDi, plusieurs centaines de salariés d’Amazon ont été licenciés avant les fêtes de Noël !

Dans un tel système, on voit un grand groupe jouer avec les règles du droit du travail et, dans le même temps, obtenir le soutien d’aides publiques locales pour l’implantation de ses immenses entrepôts. Et tout cela pour la création de 8 000 emplois au maximum, en l’état actuel des choses, à comparer aux 80 000 emplois du secteur de la librairie, sans parler de ce qui n’a pas de prix, c’est-à-dire ce lien social, physique, avec le libraire, le conseil, l’échange, les débats, les séances de dédicace avec les auteurs.

Voici les vraies questions : jusqu’où va-t-on laisser une entreprise imposer son monopole dans un secteur, au risque de la voir ensuite, bien sûr, se payer sur les livres. Quel est le modèle de société que nous voulons ?

Oui, nous voulons des emplois. Oui, nous avons besoin de développer l’attractivité de nos territoires. Mais à quel prix ?

Nous soutiendrons donc ce texte, même s’il nous paraît insuffisant : sans une importante mobilisation des lecteurs, mais aussi des libraires, pour moderniser leur mode de fonctionnement, cette initiative sera vaine.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Monsieur le président, madame le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, l’avancée technologique majeure que représente Internet nous amène de plus en plus régulièrement à légiférer pour protéger nos créateurs et nos services culturels. En effet, si ce nouveau mode d’échanges représente une chance pour la démocratisation de la culture, il vient bouleverser les équilibres économiques existants, et c’est précisément le cas pour le secteur de vente des livres.

Le livre n’est pas une marchandise comme une autre, il est un bien culturel dont la vente ne peut obéir aux règles de concurrence habituelles. La loi Lang est partie de ce constat, en son temps, pour protéger les libraires des offensives de la grande distribution.

En érigeant comme principe le prix unique du livre, la loi de 1981 a atteint ses objectifs : le prix du livre a été stabilisé; l’offre éditoriale est importante et diverse ; un réseau dense de librairies s’étend sur tout le territoire, avec 3 000 librairies professionnelles. Il existe donc un véritable modèle français de distribution du livre, mais il est aujourd’hui fragile et menacé.

En 1981, le législateur ne pouvait anticiper les défis auxquels les librairies seraient confrontées aujourd’hui. Comme hier face au développement des grandes surfaces, il nous appartient aujourd’hui de protéger les librairies face au développement de grandes plateformes de vente par Internet, en étant conscients que l’exercice est bien plus difficile, puisqu’il s’agit d’un tout autre type de commerce, dont les acteurs sont surtout internationaux.

Cette proposition de loi a été déposée par le groupe UMP à l’Assemblée nationale afin de traiter la question des frais de port des commandes de livres passées sur Internet. Les librairies indépendantes souffrent de la concurrence exercée par l’acteur dominant de la vente en ligne, qui consent des frais de port gratuits en plus du rabais de 5 % autorisé par la loi Lang.

Notre groupe considère que cette gratuité des frais de livraison porte atteinte au principe du prix unique du livre, car la loi de 1981 ne permet pas d’accorder d’avantage allant au-delà de cette remise de 5 %.

Je me réjouis du consensus que notre proposition de loi a fait naître. Elle a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale et ici même, lors de son examen en commission. Au-delà des clivages politiques, nous sommes en effet tous attachés à la protection de notre réseau de librairies indépendantes.

En tant que rapporteur pour avis sur les crédits du programme « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias », j’ai pu étudier…

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

… la situation préoccupante des librairies indépendantes, surtout des petites et moyennes librairies de quartier.

Celles-ci doivent faire face aux charges de personnel et de loyer, à l’augmentation des frais de transport ainsi qu’à des difficultés de trésorerie structurelles liées à l’étendue et à la nature de leurs stocks de livres, souvent à rotation lente.

Les offres avantageuses proposées par l’acteur dominant que j’évoquais à l’instant constituent donc un facteur de déstabilisation supplémentaire de nos librairies.

Comme je l’ai souligné dans mon rapport, cette concurrence est d’autant plus âpre que cet acteur poursuit une stratégie d’optimisation fiscale en matière de TVA, grâce à une installation au Luxembourg. Ses frais d’imposition sont dérisoires par rapport aux bénéfices engrangés.

La vente en ligne est désormais le seul segment du marché du livre en progression. Elle réalise à ce jour 12 % des ventes de livres papier, et cet acteur dominant détient près de 70 % des parts de ce marché.

À terme, le risque est grand de voir quelques plateformes de vente en ligne de livres dominer le marché. Non seulement notre économie aurait à en souffrir, mais la diversité culturelle et la richesse de la production éditoriale seraient mises en péril, puisque ces plateformes seraient en mesure d’imposer leurs conditions.

Les libraires ont tenté de réagir face à cette invasion en développant leur présence sur Internet : 500 librairies proposent aujourd’hui un service de vente et de réservation en ligne. Certaines ont offert la gratuité des frais de port pour s’aligner sur leur redoutable concurrent, ce qui pèse lourdement sur leur rentabilité.

Afin de lutter contre cette concurrence déloyale et de revenir à l’esprit de la loi de 1981, la proposition de loi initiale prévoyait que la prestation de la livraison à domicile ne puisse pas être incluse dans le prix unique du livre. À l’Assemblée nationale, le Gouvernement inversa cette proposition, en interdisant l’application de la remise commerciale de 5 % pour tout livre commandé en ligne et livré à domicile, formule à laquelle nos collègues députés se sont ralliés à l’unanimité.

De son côté, la commission de la culture du Sénat a œuvré pour parvenir à un texte qui nous rassemble tous. À cet égard, je tiens à féliciter notre rapporteur qui, ne cédant pas aux attraits d’un vote conforme, a complété le dispositif par un amendement interdisant la gratuité de la livraison. Dorénavant, toute commande de livre réalisée en ligne devra faire l’objet d’une facturation du service de livraison à domicile.

Il s’agit bien de supprimer, aux yeux des consommateurs, la valeur ajoutée que représente une commande sur une plateforme de vente par Internet.

À mon sens, il manque simplement au dispositif final la mention d’une période transitoire pour l’application de la loi, un point sur lequel la commission a également travaillé. Après avoir proposé une période transitoire de six mois, nous sommes tombés d’accord sur trois mois. Madame la ministre, je vous proposerai donc ultérieurement un amendement en ce sens.

La mise en œuvre de ce dispositif ne devrait pas soulever de problèmes pour le géant dont je ne veux décidément pas citer le nom, mais n’oublions pas que les librairies qui pratiquent la gratuité de livraison auront besoin d’un peu de temps pour modifier leur site et revoir leur stratégie de communication. En leur accordant ce délai, nous répondrons donc pleinement à leur attente.

Même si je me réjouis que le présent texte parvienne à son aboutissement, ne nous leurrons pas quant à sa portée. Il sera toujours plus avantageux pour un consommateur de commander un livre sur Internet que de prendre sa voiture pour se rendre dans un commerce. Et certains, n’en doutons pas, n’hésiteront pas à pratiquer un coût de livraison extrêmement bas…

Le présent texte apporte donc un soutien bien relatif aux librairies. Sans doute faudra-t-il aller plus loin et aider par d’autres voies les librairies indépendantes à résister à la concurrence des plateformes de vente sur Internet.

À cet égard, je mentionnerai plusieurs pistes.

Tout d’abord, cette aide doit être de nature fiscale. La directive européenne permettant l’application de la TVA dans le pays de consommation d’ici à 2015 est un premier pas en ce sens.

Ensuite, il faut aider les libraires à suivre l’évolution du marché du livre, en leur permettant d’être, eux aussi, présents sur Internet. J’ai dit précédemment que 500 librairies participent à la vente en ligne ; on est – hélas !– loin du projet de 1001libraires.com, qui n’a pu aboutir à cause de difficultés de gouvernance et du fait de l’absence d’un service de livraison à domicile.

Je rappelle à ce sujet que les librairies souffrent de délais de commande importants et ne peuvent donc rivaliser avec la rapidité des commandes sur Internet.

À ce sujet, ayant examiné les dispositifs d’aides octroyées aux messageries de presse, je me demande si le principe ne serait pas transposable aux livraisons de livres. Le coût d’acheminement des livres pèse en effet sur la chaîne du livre, tout comme le dispositif de vente des journaux. Dès lors, pourquoi ne pas inclure les livres dans la réflexion actuellement menée sur les aides au portage des journaux à domicile ? Je souhaiterais, madame le ministre, avoir votre sentiment sur ce point.

En conclusion, je pense que les librairies traditionnelles ont une « valeur ajoutée » qui attirera encore longtemps les consommateurs. Entrer dans une librairie, déambuler au hasard des rayonnages, discuter avec un libraire passionné, découvrir des auteurs, tout cela fait partie du plaisir d’acheter un livre !

Mme Corinne Bouchoux acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

M. Jacques Legendre. C’est un aspect de notre qualité de vie, et nous y tenons. Nous sommes engagés dans la défense de cette qualité de vie et – osons le mot ! – d’une certaine forme de civilisation. Ce texte est sans doute modeste, mais il contribuera à marquer la ferme détermination, que nous pensons unanime, du Parlement à en défendre la concrétisation et la pérennité. Voilà pourquoi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, mon groupe votera ce texte.

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, « l’ennui naquit un jour de l’uniformité »... Pour ma part, je ne suis pas du tout convaincue par ce texte.

Étant membre de la commission des affaires étrangères, je ne baigne certes pas dans ce bouillon culturel qui est le vôtre, chers collègues de la commission de la culture, mais j’ai beaucoup de mal à penser que cette modification, importante, concernant les frais de port, fasse changer les habitudes de consommation qui viennent d’être prises ou qui sont prises aujourd'hui par chacun d’entre nous, s’agissant de la vente en ligne. Je suis encore moins convaincue de la pertinence de tout « Amazon bashing ».

J’ai bien compris l’objectif : il s’agit de défendre les librairies physiques, véritable enjeu culturel et social, mais aussi, condition du maintien des petits commerces et donc d’un aménagement du territoire équilibré. Mais nous n’habitons pas tous à dix minutes d’une librairie, et nous ne sommes pas tous parisiens ! Dans un certain nombre de territoires, il n’existe pas d’autres moyens de se procurer un ouvrage que de recourir à des services de vente en ligne.

En réalité, le modèle Amazon est dans la ligne de mire depuis qu’un arrêt de la Cour de cassation du 6 mai 2008 a considéré qu’un service en ligne de vente de livres pouvait tout à fait prendre en charge les frais de livraison. Pour contrer cette jurisprudence, le texte qui nous est présenté empêche les distributeurs en ligne de cumuler les frais de port gratuits et la réduction du prix du livre de 5 % telle que fixée par la loi Lang.

Comment calculer les frais de port ? Au pourcentage ? Au poids ? Les dispositions prévues n’éviteront nullement que le port soit presque gratuit. C’est pourquoi il convient de s’interroger sur la pertinence du dispositif qui nous est proposé.

Obliger Amazon à augmenter ses prix pour facturer les prix de livraison fera-t-il revenir les lecteurs dans les librairies ? Compte tenu de la modicité de l’augmentation que cela entraînera, on peut en douter.

En effet, les frais de livraison ne représenteront au plus que quelques euros. Sans compter que, dans un grand nombre de cas, les frais en question, imputés des 5 % de réduction du livre, pourront ne s’élever qu’à quelques centimes d’euros !

Plus fondamentalement encore, on peut se demander si les clients des librairies physiques et des librairies en ligne sont les mêmes. Sont-ils interchangeables ? Sans doute pas totalement si l’on compare la sociologie de l’une et l’autre clientèle.

Amazon ne pourra pas cumuler la réduction du prix du livre et les frais de port gratuits, tandis que la FNAC, par exemple, ou d’autres librairies comme Gutenberg.org, qui disposent à la fois d’une plateforme de vente en ligne et de magasins physiques, pourront, pour autant que l’internaute vienne retirer l’achat en magasin, appliquer ces tarifs réduits.

Dans ces conditions, le texte établirait une nouvelle ligne de fracture entre les petits et les grands libraires physiques, au détriment des premiers et au profit des derniers.

Cela conduit à déporter le débat sur le terrain juridique.

Est-il possible de créer une discrimination, qui aboutit à traiter de manière totalement différente des actes commerciaux similaires, au détriment d’une catégorie d’acteurs économiques ? N’y a-t-il pas là une atteinte à la liberté d’entreprendre et à la concurrence ?

Même si je comprends que la concurrence est violée par la plateforme Amazon au regard des conditions sociales et fiscales qui prévalent au sein de l’entreprise, il n’en demeure pas moins que l’on peut s’interroger, dans un cadre strictement juridique, sur l’efficacité des dispositions qui nous sont aujourd'hui proposées. Il est bien normal de poser ces questions, même si l’enjeu global est parfaitement légitime et si l’on partage évidemment les objectifs des auteurs de la proposition de loi.

Madame la ministre, nous sommes en pleine rentrée littéraire, celle de janvier supplantant presque désormais celle de septembre. Savez-vous combien de nouveaux titres doivent être présentés ? Très exactement 547 !

Dans ce flot, comment les librairies indépendantes peuvent-elles assurer leur mission ? C’est matériellement et physiquement impossible. Les petits libraires n’ont ni le temps ni l’espace pour le faire. Il reste donc la FNAC, les grandes surfaces, Amazon ou Gutenberg.org.

Certes, on peut continuer à s’attaquer à ce dogme. Dans un article de presse consacré à la loi « anti-Amazon », on peut lire que Frédéric Biastat, un économiste humoriste du XIXe siècle, avait demandé au gouvernement de l’époque que l’on ordonne la fermeture de toutes les fenêtres, car « l’intolérable concurrence d’un rival étranger inonde notre marché national à un prix fabuleusement réduit » et menace « une branche d’industrie française dont les ramifications sont innombrables » : il parlait évidemment de l’industrie de la bougie concurrencée par le soleil !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Ici, c’est un peu la même chose : on est face à un adversaire étranger très fort, tentaculaire, qui nuit à notre réseau de librairies.

Il nous faudrait revoir nos conditions de consommation. Je ne suis d’ailleurs pas certaine – même pas certaine du tout ! –, madame la ministre, que l’on incite les enfants à aller vers les livres, en leur mettant dès l’école des tablettes numériques entre les mains.

Il existe d’autres moyens d’améliorer encore le réseau des libraires et de les protéger, ce qui est, on le sait, important.

Surtout, ce texte mériterait franchement une évaluation – il n’y a pas d’étude d’impact pour une proposition de loi – avant d’être voté. Je pense qu’il renforcera de façon magistrale le livre numérique et les e-books. Ce n’est pas une bonne disposition. Même si ce texte est pavé de bonnes intentions, je ne suis pas sûre du tout que l’on arrive au résultat escompté. J’ai même énormément de doutes à cet égard.

Je ne pense pas non plus que l’on puisse incriminer la mauvaise gestion, comme ce fut le cas pour Virgin, par exemple, pour expliquer la misère du monde et les problèmes des petits libraires. Nous devons réfléchir de manière plus approfondie à ces nouveaux modes de consommation.

Alors que l’ensemble de mon groupe votera ce texte, je m’abstiendrai, pour ma part, par égard pour Mme la rapporteur et le travail qu’elle a réalisé et au vu des enjeux que je mesure tout à fait. Un jour ou l’autre, il faudra bien mettre sur la table les questions de fond sur la consommation du livre et l’intervention de l’État dans ce domaine, questions qui demeurent.

À cet égard, je rejoins tout à fait les propos de notre collègue Yvon Collin, on ne peut intervenir uniquement sur les frais de port ; il faudra aussi absolument revoir la fiscalité.

Au sein de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, nous avions évidemment travaillé sur ce sujet. Ces questions sont – et de loin ! – beaucoup plus déterminantes pour l’avenir des réseaux de nos petites librairies, auxquelles nous sommes tous attachés, que cette mesure que je qualifierai de « psychologique » et de « cosmétique ». Je ne dis pas qu’elle n’est pas importante, mais les problèmes de fond ne seront réglés qu’avec des dispositions beaucoup plus ambitieuses, que nous sommes tout à fait en mesure de prendre si nous en avons la volonté.

M. Yvon Collin applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

« Il n’y a jamais trop de livres ! Il en faut, et encore, et toujours ! C’est par le livre, et non pas l’épée, que l’humanité vaincra le mensonge et l’injustice, conquerra la paix finale de la fraternité entre les peuples. » Ainsi s’exprimait Émile Zola. Il avait raison : il n’y aura jamais trop de livres, et nous n’en ferons jamais trop pour le livre !

La proposition de loi que nous examinons ce soir est bienvenue. Elle permettra de conforter une loi majeure, la loi du 10 août 1981 instituant le prix unique du livre. Les forces du libre marché, qui se moquent de protéger la création et la diversité culturelles, n’ont jamais vraiment renoncé à la mettre en cause. Mais, si nous n’y prenons pas garde, la modification profonde des usages et des comportements culturels liés à la prolifération du numérique pourrait leur en offrir l’occasion.

En effet, le numérique bouleverse les équilibres économiques et interroge tous les dispositifs juridiques en place.

Face à la révolution des formats et des usages numériques, à l’apparition du livre numérique et à l’émergence de nouveaux acteurs de commercialisation du livre papier par e-commerce, il est urgent de trouver des solutions législatives appropriées pour protéger la diversité et faire respecter les droits d’auteur.

Comme de nombreux orateurs l’ont déjà souligné, la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre a favorisé le maintien sur tout le territoire français d’un réseau dense et diversifié de librairies ; elle a garanti l’existence d’une librairie indépendante face aux grandes surfaces et soutenu une large création littéraire à côté des best-sellers.

Reposant sur l’idée juste que la concurrence par les prix déboucherait sur un amoindrissement de l’offre, cette loi a instauré le principe d’un prix unique, fixé par l’éditeur, qui s’impose à tous les détaillants. Elle a encadré les rabais en les limitant à 5 % de ce prix.

Grâce à elle, la librairie française, qui compte 25 000 points de vente de livres, dont 2 500 vendent principalement des livres, se compare avantageusement à celle d’autres pays. L’Angleterre, par exemple, qui n’a pas jugé utile de légiférer sur le prix du livre, a vu le nombre de ses librairies diminuer d’un tiers en dix ans et les grandes chaînes asseoir leur domination dans le même temps.

Or cette loi est aujourd’hui indirectement remise en cause par le développement du commerce du livre en ligne. Elle doit donc être complétée, sous peine de devenir obsolète.

De fait, la vente en ligne de livres papier se développe rapidement : alors qu’elle représentait seulement 3, 2 % du marché du livre en 2003, elle en représentait plus de 13 % en 2011. Cet essor met en danger les libraires, dont la marge est extrêmement faible et l’existence fragile.

C’est d’autant plus vrai que les grandes multinationales de la vente de livres en ligne pratiquent des conditions commerciales qui relèvent d’une concurrence déloyale.

Le principal acteur du secteur, Amazon, qui représente 70 % du marché de la vente en ligne de livres papier et réalise un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros sur le livre, profite du vide laissé par la loi Lang en ce qui concerne le prix de la livraison à domicile pour offrir la gratuité de cette livraison, en plus de l’application systématique du rabais de 5 %.

Cette pratique relève d’une stratégie commerciale visant tout simplement à éliminer les librairies. En effet, pour offrir la gratuité des frais de port, Amazon consent une perte de 2, 8 milliards de dollars, que le groupe compense par ses autres activités commerciales.

Ce système n’est rien d’autre qu’un contournement de la loi, au service d’une stratégie de dumping visant à assurer aux acteurs les plus puissants de la vente en ligne une position à terme hégémonique sur le marché ; une fois leur monopole établi, ceux-ci, Amazon en tête, pourront imposer les conditions commerciales qui leur conviennent, moins favorables aux éditeurs et aux lecteurs.

La proposition de loi prévoit d’encadrer un peu plus cette pratique, afin d’empêcher le retour de la concurrence par les prix dans le secteur du livre. Elle a tout notre soutien.

Seulement, nous devrions sans tarder élargir notre regard pour considérer l’ensemble de l’offensive menée par Google, Amazon, Apple et Facebook, qui ne concerne pas seulement le domaine du livre. Aussi bien, nous ne pourrons pas éternellement faire face en nous contentant de réduire l’appétit de ces géants pour les productions culturelles : un travail d’ensemble, cohérent, semble urgent.

Par exemple, il faut repenser la fiscalité de ces entreprises qui, établies dans des paradis fiscaux, non seulement ne s’acquittent pas de la TVA, mais ne sont pas même soumises à une imposition des bénéfices au même taux que les entreprises taxées en France.

Imaginez, mes chers collègues, que, selon la Fédération française des télécommunications, Google, Amazon, Facebook et Apple, qui dégageraient entre 2, 2 et 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, n’acquitteraient que 4 millions d’euros par an en moyenne au titre de l’impôt sur les sociétés !

Il serait également nécessaire de se pencher sur les conditions sociales au sein de ces entreprises, qui constituent, elles aussi, souvent des entorses abusives à notre droit, en l’occurrence à notre droit social.

Il est urgent de s’attaquer à ces problèmes ; j’exhorte le Gouvernement à agir pour faire barrage à la stratégie de ces groupes visant à accroître leurs profits au mépris du droit, de la fiscalité et, surtout, de la culture. Non, pour nous, la culture n’est pas un marché où tous les coups sont permis !

En interdisant la remise commerciale de 5 % pour les seuls livres commandés en ligne et livrés à domicile, la proposition de loi limitera les effets pervers de la vente en ligne et contribuera à assurer la pérennité de notre réseau de librairies indépendantes, seule à même de garantir la diversité éditoriale.

À juste titre, la proposition de loi ne vise que la livraison à domicile. En effet, la loi sur le prix unique du livre exige que l’ouvrage commandé par le client puisse être rendu disponible gratuitement pour un retrait en point de vente ou en point relais ; il s’agit du cas où un client commande à son libraire un ouvrage non disponible en rayon, avant de venir le chercher dans la librairie.

La proposition de loi autorise seulement une réduction équivalente à 5 % du prix du livre sur le montant des frais de livraison à domicile, qui, eux, resteront librement fixés.

La commission de la culture a souhaité introduire dans la proposition de loi l’interdiction de la gratuité des frais de port. Je m’en félicite, même si nous restons conscients de la portée limitée de cette mesure essentiellement symbolique : de fait, elle n’empêchera pas Amazon de réduire les frais de port à la portion congrue.

Madame la ministre, mes chers collègues, nous voterons la proposition de loi, pour continuer à défendre le livre et la conception que nous en avons : le livre est avant tout un bien culturel, et non un objet marchand. Cela étant, nous estimons que l’ensemble du problème posé par l’offensive de ces géants doit être traité d’une manière globale, cohérente et pérenne !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, madame la rapporteur, en 1981, nos prédécesseurs, soucieux de répondre à plusieurs problèmes, ont voté à l’unanimité la très célèbre loi Lang.

Il faut se souvenir que, à l’époque, la préoccupation des parlementaires était déjà de sauver les librairies indépendantes et de maintenir un réseau dense et diversifié de commerces de qualité dans nos villes. Le danger identifié alors venait principalement des grandes surfaces : généralistes ou spécialisées, les enseignes menaient une guerre des prix sur un produit d’appel, le livre, en pratiquant des prix au rabais, jusqu’à 70 % inférieurs au prix conseillé par les éditeurs.

En conséquence, la « bibliodiversité » était menacée, et la crainte était légitime de voir disparaître non seulement des libraires, mais également, à terme, des auteurs, et plus globalement un pan complet de notre culture.

Tel est le contexte dans lequel le prix unique du livre a été instauré par la loi Lang, que nous pouvons certainement considérer comme une loi patrimoniale. En août 1981, votre prédécesseur, madame la ministre, s’exprimait ainsi devant l’Assemblée nationale : « Le prix unique doit permettre : l’égalité des citoyens devant le livre, qui sera vendu au même prix sur tout le territoire national ; le maintien d’un réseau décentralisé très dense de distribution, notamment dans les zones défavorisées ; le soutien au pluralisme dans la création et l’édition, en particulier pour les ouvrages difficiles. »

La politique du prix unique répondait à ces objectifs, désormais adoptés par neuf pays de l’Union européenne ; elle est reconnue par tous comme utile et efficace.

En vérité, la concurrence par les prix a fait place à une concurrence qualitative ; celle-ci a encouragé les librairies à réaliser des efforts de promotion, permettant la mise en valeur de la diversité tant éditoriale que de création.

Seulement voilà : aujourd’hui, notre réseau national de 3 000 libraires est à nouveau en souffrance ; nous avons tous, sur nos territoires, été interpellés à ce sujet. Pour ma part, je me souviens de la mise en garde d’un libraire provinois qui, se faisant le porte-parole des libraires seine-et-marnais, m’a dit que, d’ici quelques années, ils auraient tous fermé.

Il m’a expliqué les difficultés que sa profession rencontre et le sentiment d’injustice qu’elle ressent devant la concurrence déloyale dont elle souffre : de fait, les libraires paient leurs impôts en France, contrairement à la plateforme logistique de vente de livres en ligne, dont l’imposition n’est pas à la hauteur de l’activité. Sans compter que ces plateformes logistiques ne paient pas la taxe sur les surfaces commerciales, puisqu’elles n’en sont pas, et ne subissent pas les contraintes financières liées à l’augmentation des loyers dans les centres-villes, quand elles ne bénéficient pas de subventions pour s’installer.

Ce libraire soulignait aussi que le travail de proximité et d’animation culturelle territoriale accompli par les libraires exige un niveau de qualification et de rémunération des personnels bien supérieur à celui qui est en vigueur au sein des plateformes logistiques.

Enfin, mon interlocuteur évoquait la difficulté de systématiser une ristourne de 5 % pour des commerces dont la marge n’est que de 0, 6 %, les problèmes de trésorerie et d’immobilisation qui résultent de la nécessité d’entretenir un stock important, la demande des clients étant très diversifiée, et les nombreuses cessions d’activité liées au contexte actuel – la presse s’en fait quotidiennement l’écho.

Quant à développer une activité de vente en ligne, les libraires rappellent l’échec du site 1001libraires.com et font valoir que, à ce jour, seuls les gros établissements ont les moyens d’investir sur ce secteur de marché où, dans tous les cas, les ventes ne sont pas rentables et guère concurrentielles.

En vérité, il semble difficile aux libraires indépendants de lutter contre les géants de l’internet, qui additionnent la gratuité du port, la ristourne de 5 % et la capacité à livrer en quarante-huit heures ou moins sur la base d’un catalogue extrêmement important, quand eux-mêmes peinent à se procurer les ouvrages en trois jours !

Pour illustrer son désarroi face au projet d’un géant de l’internet d’utiliser la solution moderne de drones pour livrer ses clients, mon libraire provinois, spécialisé dans une thématique médiévale, a eu l’idée d’un petit film satirique présentant une catapulte à livres... §Belle allégorie du combat inégal qui se déroule sous nos yeux !

Nos libraires ne sont pas des champions internationaux de la logistique, ce sont des acteurs culturels ; la bataille qu’elles mènent mérite notre soutien appuyé.

N’oublions pas que la librairie indépendante est aujourd’hui un acteur fondamental de la présence culturelle dans nos villes et dans nos quartiers. Les libraires assurent un travail de proximité pour faire connaître et aimer les livres et la lecture, en organisant des rencontres et des signatures d’auteurs, des présentations personnalisées d’ouvrages et diverses animations autour du livre.

Dans ce contexte, la proposition de loi ne peut représenter, à elle seule, une solution complète : il convient de l’inscrire dans une action globale.

De longue date, le Gouvernement et vous-même, madame la ministre, agissez pour tenter d’apporter des solutions à nos libraires indépendants et de les sauver d’une faillite annoncée. C’est ainsi que vous avez soulevé un contentieux fiscal avec les opérateurs en ligne portant sur 190 millions d’euros – une paille ! – pour la période 2006-2010.

Le Gouvernement cherche à instaurer pour ces entreprises une imposition juste au regard des règles de la fiscalité nationale, même si leur assujettissement à l’impôt sur les sociétés est rendu extrêmement complexe par le jeu des réglementations nationales et internationales. En outre, il a maintenu le taux de TVA réduit à 5, 5 %, au lieu de le porter à 7 %, comme l’idée en avait, hier, effleuré l’esprit de quelques-uns.

Il faut encore mentionner les aides diverses mises en place en faveur de la promotion de la lecture, du soutien à la création littéraire et du maintien sur le territoire national d’un maillage serré de librairies.

Le « plan librairie », annoncé dès mars dernier et présenté en juin, démontre l’intérêt que vous portez, madame la ministre, à ce secteur de notre vie culturelle. Ce plan a pour objectif de faciliter la transmission des librairies, d’aider celles qui rencontrent des difficultés de trésorerie et de mieux soutenir l’ensemble d’entre elles.

Quant au Sénat, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la consommation, il a proposé, sur l’initiative du Gouvernement, la création d’un médiateur du livre et d’agents publics assermentés chargés de constater les infractions à la législation sur le prix unique.

Reste que notre réseau de librairies est menacé, et ce sont par là même plus de 30 000 emplois qui sont en péril.

La proposition de loi est, tout d’abord, un hommage à la pertinence et à l’actualité de la loi Lang. Une adaptation de celle-ci est rendue nécessaire par le développement des plateformes de vente en ligne, qui introduit une évidente distorsion de concurrence.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Monsieur le président, mon groupe étant loin d’avoir consommé le temps qui lui était imparti, je pense que je peux déborder un peu…

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. le président. Ce n’est pas ainsi que le règlement du Sénat l’entend, mon cher collègue !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Toujours est-il que le texte adopté par l’Assemblée nationale modifie l’article 1er de la loi Lang pour imposer le prix éditeur pour tout achat en ligne de livres envoyés à domicile et pour encadrer les frais de port.

Le travail de notre rapporteur a permis d’affiner ce dispositif et l’idée de proscrire la livraison gratuite me paraît judicieuse. Cette mesure, même si elle ne changera certainement pas beaucoup la facture du client, empêchera toute communication fondée sur la gratuité du port. Dans la guerre de la communication commerciale, ce n’est pas rien !

La proposition de loi n’est qu’une pierre apportée à l’édifice ; elle s’inscrit dans une action globale. Aux libraires aussi de reprendre la main en améliorant toujours leurs services, en multipliant les conseils qu’ils donnent aux clients et les animations qu’ils organisent. C’est ainsi qu’ils augmenteront leurs ventes, d’une manière que la distribution imposée par le commerce en ligne ne pourra jamais concurrencer !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, je suis, bien sûr, très favorable à la protection de notre riche réseau de librairies indépendantes et, plus encore, au développement de ces établissements, dont je connais les difficultés. Pourtant, je ne crois pas que la stigmatisation, voire la diabolisation de la vente de livres par Internet soit une solution à leur déclin, bien au contraire.

« Mon ennemi, c’est la finance », disait le candidat François Hollande... Aujourd’hui, je ne voudrais pas que notre ennemi soit Amazon !

N’oublions pas que les principaux concurrents des libraires traditionnels sont encore les grandes surfaces, et pas vraiment les plateformes internet. En outre, si concurrence déloyale par Amazon il y a, c’est davantage en raison des stratégies d’optimisation fiscale dont bénéficie en toute légalité cette plateforme que du fait de sa capacité à offrir les frais de port à ses clients.

Je doute que l’augmentation marginale du prix des livres vendus par Internet se traduise par un envol des ventes en librairies. De nombreux consommateurs continueront à commander en ligne, et cette loi nuira davantage à leur pouvoir d’achat qu’aux marges d’Amazon.

Surtout, dans nombre de situations, la vente en ligne est, non pas concurrente, mais complémentaire de celle des libraires. Elle permet de faire venir ou revenir aux biens culturels des personnes qui en sont éloignées ; je pense à celles qui vivent dans des quartiers ou villages dépourvus de librairie ou, simplement, aux personnes à mobilité réduite. En effet, mes chers collègues, plus on lit, et plus on a envie de lire ! L’achat d’un livre sur Internet peut donc donner envie d’aller ensuite en librairie.

Sénatrice des Français de l’étranger et défendant depuis toujours la francophonie, je pense aussi à tous ceux qui vivent dans des régions du monde où Internet est le seul moyen de se procurer des livres français. Réciproquement, en France, les plateformes internet sont souvent le meilleur canal pour acheter des ouvrages d’importation.

La vente à distance de livres, qu’il s’agisse d’ouvrages imprimés ou numériques, est une tendance de fond qu’il me semble relativement vain de vouloir contrer, et ce sans compter qu’elle ne profite pas qu’à des entreprises étrangères ou exilées fiscales : elle est tout aussi bénéfique à des groupes français comme la FNAC.

L’enjeu est plutôt de travailler à une meilleure complémentarité entre la vente en librairie, la vente à distance de livres imprimés et celle de livres numériques.

Il faut certainement mieux soutenir et valoriser les avantages comparatifs des libraires traditionnels : compétences des professionnels, atmosphère des lieux, animations proposées...

Dans un même temps, au lieu de brider les plateformes de vente en ligne, il vaudrait mieux les encourager à améliorer leurs services en direction de la clientèle que les libraires traditionnels sont de toute façon dans l’incapacité de toucher.

Les obstacles pour commander des livres en ligne depuis l’étranger ou avec une carte bancaire étrangère sont complètement absurdes. Ils constituent un véritable anachronisme dans notre monde globalisé ! Pour les éditeurs et les diffuseurs, c’est tout un marché qui est négligé, et c’est aussi une terrible occasion manquée pour la francophonie.

J’ai à plusieurs reprises interpellé le Gouvernement à ce sujet, dont la dernière fois, voilà six mois, par une question orale adressée à Benoît Hamon. Celui-ci m’avait promis de travailler sur le sujet et je serai bien évidemment heureuse de connaître l’état d’avancement de ses réflexions.

Peut-être pourrait-on aussi envisager de donner un coup de pouce aux exportations de livres français, par exemple par une dérogation qui maintiendrait dans ce cas précis l’autorisation d’une décote ou de frais de port réduits, ou en soutenant des initiatives de promotion du livre francophone, telle la Culturethèque de l’Institut français.

La loi de 1981 prévoyait qu’un décret aménage les conditions d’application de la loi dans les départements d’outre-mer : un dispositif similaire ne serait-il pas souhaitable concernant la vente de livres français hors de France ? C’est l’objet d’un amendement que je défendrai tout à l’heure.

À mon sens, le problème des librairies vient davantage de la diminution du nombre de lecteurs que de la concurrence des vendeurs à distance. Au lieu de voir Internet comme un obstacle, il faut l’utiliser pour faire venir ou revenir aux livres des personnes qui en sont éloignées.

Dans cette période de mutation intense du secteur de la distribution culturelle, il ne faut pas que nous nous trompions d’ennemi. Nous devons surtout réfléchir, au-delà de mesures, comme celle dont nous débattons aujourd'hui, qui n’auront selon moi qu’une faible incidence sur le développement des librairies, à protéger ce bien si précieux – inestimable – qu’est le livre, en aidant les librairies à mieux se développer, mais aussi à promouvoir la diffusion de nos œuvres, de notre langue et de notre culture hors de nos frontières. C’est un défi immense, et il sera de notre honneur de le relever !

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Aurélie Filippetti

Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de répondre brièvement aux interrogations formulées par les différents orateurs.

J’ai bien insisté, dans mon propos liminaire, sur le fait que cette mesure ne résoudrait pas tous les problèmes de nos libraires. C’est l’une des pierres d’un édifice plus vaste. J’ai rappelé l’importance du plan d’aide à la librairie que nous avons lancé, avec les deux fonds dédiés. J’aurais également pu mentionner les 2 millions d’euros supplémentaires que le Centre national du livre consacrera aux libraires, ou encore la mobilisation d’un fonds complémentaire de 7 millions d’euros par les éditeurs, ces derniers ayant bien conscience de l’importance du maillon des librairies dans la chaîne du livre.

La question des loyers, soulevée par M. Yvon Collin, sera traitée dans le cadre de la discussion du projet de loi que ma collègue Sylvia Pinel viendra prochainement défendre devant le Parlement. Ce texte tend à mettre en œuvre un lissage pour empêcher les hausses excessives des loyers des librairies, notamment de celles qui se trouvent dans les centres-villes des grandes agglomérations.

L’optimisation fiscale qu’un certain nombre d’orateurs ont dénoncée est évidemment une préoccupation majeure. Face aux géants de l’Internet, en particulier aux entreprises Google, Apple, Facebook et Amazon, que l’on surnomme les GAFA, nous nous mobilisons, aussi bien, d’ailleurs, pour le livre que pour d’autres domaines.

J’ai défendu l’exception culturelle à Bruxelles, l’année dernière, et je continuerai à prôner l’intégration de ces nouvelles entreprises diffusant des œuvres culturelles dans le financement de la création. Il faut aussi, de toute évidence, que celles-ci se soumettent aux règles fiscales.

L’actuelle évasion fiscale pratiquée par de grandes entreprises comme Amazon est néfaste, non seulement à la France, mais aussi à un grand nombre de pays européens. Même la Grande-Bretagne est aujourd'hui consciente du problème et travaille à des contre-mesures. Aux États-Unis, des dispositions viennent d’être prises permettant de récupérer les taxes à la consommation locales qui, jusqu’à présent, n’étaient pas payées par les acteurs de la vente en ligne.

Donc, on le voit bien, le mouvement n’est pas simplement franco-français : tous les États réagissent, estimant que cette situation de non-droit fiscal des grandes entreprises de l’internet, dont les conséquences, désastreuses, affectent jusqu’à nos libraires, ne peut plus durer.

Mais, madame Garriaud-Maylam, nous ne sommes évidemment pas là pour stigmatiser Amazon. Dans le même temps, nous sommes conscients des pratiques de cette entreprise, en particulier de ses pratiques sociales, qui ont été dénoncées à plusieurs reprises. Je vous renvoie à l’ouvrage d’un journaliste intitulé En Amazonie : infiltré dans le « meilleur des mondes ». Des mouvements de grève ont éclaté, en Allemagne, notamment, au mois de décembre dernier. Partout, des protestations s’élèvent face aux conditions sociales faites aux salariés du groupe. Ce sont des pratiques inacceptables.

Encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, le travail que nous réalisons ce soir ne sera qu’une pierre apportée à l’édifice. Mme la rapporteur a bien insisté sur l’importance du caractère symbolique de cette démarche. Celle-ci ne portera pas atteinte au pouvoir d’achat de nos concitoyens – les sommes en jeu sont vraiment minimes –, mais le fait que des entreprises ne puissent plus se prévaloir de certains arguments commerciaux aura en revanche un impact significatif.

D’ailleurs, nous ne sommes pas là non plus pour entraver, de quelque manière que ce soit, la vente à distance de livres. Notre préoccupation est de garantir que la concurrence soit la plus juste possible entre les différents acteurs du secteur. Nous souhaitons aussi permettre à nos libraires, que nous aimons, qui défendent le livre et la lecture, qui animent nos centres-villes en y tenant des « lieux de sociabilité », de constituer, eux aussi, des réseaux de vente en ligne, car c’est bien sûr un service que nous pouvons rendre à nos concitoyens que de leur donner la possibilité de commander des livres sur Internet et de se les faire livrer.

Il faut donc que nos libraires puissent se positionner sur ce marché de la vente en ligne sans être étouffés par des méthodes de dumping empêchant l’émergence de tout autre acteur.

À ce titre, l’échec du site 1001libraires.com a bien évidemment été analysé, que ce soit par les libraires eux-mêmes ou dans un rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles, et je crois que les leçons ont été tirées.

Des sites mutualisés sont donc développés à l’heure actuelle qui conservent véritablement le lien avec le libraire. Quand, par exemple, vous commandez sur les sites lalibrairie.com ou leslibraires.fr, vous savez à qui vous allez acheter votre livre. En effet, vous faites un achat par Internet, mais auprès de la librairie de votre choix. Vous bénéficiez donc des mêmes conseils et du même accompagnement qui font la force du métier de libraire, avec, en plus, les avantages de la vente en ligne.

Mme la rapporteur a également insisté sur la question des livres d’occasion. Nous avons pu constater, notamment dans le cadre de la fonction de place de marché que le site d’Amazon exerce aussi – Amazon vend des livres pour son propre compte, mais aussi pour celui d’autres entreprises –, que certains produits, présentés comme des livres d’occasion, étaient en fait des livres neufs, ce qui permettait de contourner la loi sur le prix unique.

Désormais, notre médiateur du livre ainsi que les agents assermentés du ministère de la culture chargés de contrôler l’application de la loi sur le prix unique vérifieront que l’on ne vend pas des livres neufs au prix de l’occasion.

J’en viens à l’intervention de Corinne Bouchoux et à son évocation du rôle et de la diversité des librairies. Ce que nous constatons, c’est une baisse assez importante de la vente de livres physiques – un peu plus de 3 % – et, simultanément, une hausse de la vente en ligne de livres.

Vous m’avez interrogée, madame Goulet, sur le caractère substituable ou non des lectorats : ce mouvement de vases communicants et les études qui sont à notre disposition tendent effectivement à prouver la réalité d’un mouvement de substitution. Des achats qui auraient pu se faire dans le réseau physique se retrouvent désormais sur le réseau de vente en ligne.

Le fait qu’une bonne partie de la vente à distance concerne Paris, alors que nous avons tout de même, dans la capitale, un réseau de libraires extrêmement dense, dont nous sommes d’ailleurs très fiers et très heureux, est un signe de cette évolution. Inversement, d’ailleurs, nos territoires ruraux accueillent aussi des librairies formidables – je pense, par exemple, à la librairie Le Bleuet, dans le département des Alpes-de-Haute-Provence, mais il y en a beaucoup d’autres… – et nous devons les encourager.

Nous travaillons par ailleurs, cela implique toute une réflexion, sur le code des marchés publics, afin de permettre aux collectivités locales de s’approvisionner auprès des libraires.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a énormément de dispositions différentes, de pierres que nous devons rassembler pour rebâtir et consolider notre politique du livre à l’ère du numérique. La proposition de loi que nous examinons ce soir, j’insiste sur ce point, est l’une de ces pierres mais ne pourra pas, à elle seule, constituer la solution de tous les problèmes.

Je souhaite également répondre à M. Legendre, qui propose notamment de faire distribuer le livre par des porteurs. Pourquoi ne pas réfléchir à cette idée ? Presstalis a fait des propositions en ce domaine. C’est évidemment un sujet qui peut être discuté.

J’en viens à l’absence d’harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne. À compter de 2015, la TVA sera due au pays de résidence de l’acheteur, et non plus au pays du vendeur. Toutefois, en matière d’optimisation fiscale, la TVA n’est pas seule en jeu, l’impôt sur les sociétés entrant également en ligne de compte. Si la réforme de la TVA est une bonne chose – je rappelle que sa mise en œuvre s’étalera tout de même sur quatre ans –, elle ne résoudra pas tout.

Quoi qu’il en soit, je remercie Vincent Eblé d’avoir rappelé que le Gouvernement a appliqué la baisse de la TVA sur le prix du livre, désormais fixée à 5, 5 %, dès sa prise de fonction, en juin 2012. Il s’agissait d’un engagement, et d’une exigence extrêmement forte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Le quatrième alinéa de l’article 1er de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« Lorsque le livre est expédié à l’acheteur et n’est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le prix de vente est celui fixé par l’éditeur ou l’importateur. Le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu’il établit, sans pouvoir offrir ce service à titre gratuit. »

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

La parole est à M. Claude Domeizel, sur l'article unique.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je comptais intervenir sur l’évasion fiscale, ayant déjà produit un rapport, voilà quelque temps, sur ce sujet, la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable n’ayant d’ailleurs pas abouti. Mais de nombreuses librairies ayant été citées au cours de la discussion, j’évoquerai à mon tour Le Bleuet, que je vous remercie d’avoir mentionné, madame la ministre.

Le Bleuet a au moins prouvé une chose : la concurrence ne provient pas obligatoirement des grandes surfaces. Le Bleuet, c’est le pari de créer une librairie dans le village de Banon, connu pour le fromage du même nom, et qui compte quelque 1 000 âmes.

Aujourd'hui, Le Bleuet est l’une des plus grandes librairies de France : on y vend en moyenne 500 ouvrages par jour. Le pari a donc été gagné. On vient d’un peu partout pour découvrir ce lieu. C’est bien la preuve que l’on peut vendre des livres dans des librairies appartenant au monde réel, y compris dans de petits villages.

Cette librairie a eu l’idée de copier, si je puis dire, l’un des grands groupes de vente en ligne précédemment cités. Mais elle rencontre des difficultés dans ce domaine. Pourtant, la vente en ligne pourrait constituer un atout en milieu rural. Et même alors que cette activité de vente en ligne ne donne pas toutes les satisfactions souhaitables, la librairie dont je parle représente tout de même déjà dix-sept emplois. C’est très important pour une petite commune de 1 000 habitants !

Ma foi, si vous passez en Provence et que vous vous trouvez près d’Apt ou de Manosque, allez au Bleuet ! Vous serez surpris par le nombre d’ouvrages disponibles !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue, de cette belle intervention, qui incitera sans doute toutes les sénatrices et tous les sénateurs à se rendre en Provence.

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Legendre, Bordier, Carle et Chauveau, Mme Duchêne, MM. Dufaut, A. Dupont et Duvernois, Mme Farreyrol, MM. B. Fournier, J.C. Gaudin, Humbert, Leleux et Martin, Mme Mélot, M. Nachbar, Mme Primas et MM. Savin, Soilihi et Vendegou, est ainsi libellé :

A. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – Le présent article entre en vigueur trois mois après la publication de la présente loi.

B. – En conséquence, faire précéder le premier alinéa de la mention :

I. –

La parole est à M. Jacques Legendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

M. Jacques Legendre. Avant de défendre cet amendement, je veux rappeler qu’il existe aussi en France des villages du livre et des libraires qui se battent pour faire rayonner l’amour du livre. Il y en a un dans le Nord, à Esquelbecq, Mme Blandin doit le connaître comme moi. Partis de la Provence, mes chers collègues, laissez-vous entraîner vers un autre territoire que je connais mieux !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

L’amendement n° 1 rectifié prévoit, dans un souci de conférer au dispositif un caractère plus opérationnel dans la mesure où il nécessitera des adaptations techniques, que la proposition de loi prendra effet trois mois après sa publication.

Cette question a fait l’objet d’un débat avec Mme le rapporteur, qui a proposé un délai de trois mois, alors que j’avais au départ suggéré six mois. Le problème étant uniquement d’ordre opérationnel, nous sommes tombés d’accord et la commission a approuvé un délai de trois mois.

Cette disposition ne change rien au fond : elle a simplement pour objet de rendre le texte facilement applicable par les libraires.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Monsieur Legendre, je comprends tout à fait la portée de cet amendement. Vous êtes préoccupé par la mise en œuvre de la loi, s’agissant notamment des contraintes qu’elle entraînera pour les opérateurs.

Effectivement, des ajustements techniques seront nécessaires, notamment pour ce qui concerne les logiciels des plateformes concernées.

Cet amendement vise donc à retarder l’application du dispositif proposé en prévoyant un délai entre la promulgation du texte et sa mise en œuvre effective.

Nous en avons discuté, mon cher collègue, et je suis tout à fait d’accord avec une telle disposition. Il convient cependant que ce délai n’excède pas trois mois. En effet, ce texte est partie prenante d’un dispositif plus large de soutien aux librairies indépendantes.

L’ensemble du dispositif est cohérent : il comprend une enveloppe de 11 millions d’euros destinée à aider les commerçants en difficulté, ainsi qu’un renforcement du contrôle de l’application de la législation relative au prix du livre. Or ces mesures entreront en vigueur au cours du premier semestre de l’année 2014. Il serait donc fâcheux que la mise en œuvre du volet de cette politique relatif au commerce de livres en ligne s’écarte de cette cohérence et ne s’inscrive pas dans un calendrier similaire.

Enfin, les librairies indépendantes, en faveur desquelles le dispositif a été pensé, ont hâte que s’équilibre la concurrence sur le marché du livre, afin de retrouver les marges financières indispensables à leur modernisation, et partant au maintien du maillage de notre territoire.

Il semble donc tout à fait légitime d’appliquer un délai de trois mois entre la promulgation et la mise en œuvre du texte, à condition, madame la ministre, que la navette parlementaire s’inscrive dans un calendrier raisonnable.

La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Aurélie Filippetti, ministre

Le Gouvernement est favorable à l’accord qui a été trouvé au sein de votre commission de la culture, mesdames, messieurs les sénateurs. Cette disposition permettra, sans introduire un délai excessif, la bonne mise en œuvre de la loi.

Je veillerai, en usant, auprès de vos collègues de l’Assemblée nationale, de tous les moyens de persuasion possibles

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Monsieur le président, il conviendrait tout de même de mettre en concordance le texte de l’amendement et son objet. Les délais prévus diffèrent !

Quoi qu’il en soit, je voterai cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Je vous remercie de votre vigilance, mon cher collègue. Je précise toutefois que l’amendement a été rectifié, ce qui explique cette discordance avec son objet, qui, lui, n’a pas pu l’être.

Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.

L'amendement est adopté.

L'article unique est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L'amendement n° 2, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 10 de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, il est inséré un article 10-... ainsi rédigé :

« Art. 10-... - Un décret détermine les modalités d'application de la présente loi aux ventes de livres imprimés et numériques à des clients établis hors de France, compte tenu des sujétions dues à l'absence de commerce de vente au détail de livres français à l’étranger. »

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Je l’ai dit au cours de la discussion générale, les Français établis hors de France et les étrangers francophones rencontrent d’importantes difficultés pour acquérir des livres en français, en particulier lorsqu’il s’agit d’ouvrages récents. Et quand ils ont la possibilité d’en acheter, les tarifs sont souvent prohibitifs ! Je pense en particulier à Madagascar, pays francophone, où il n’existe pas une seule libraire et où les prix des livres sont très élevés pour les Malgaches souhaitant lire en français.

Hors de France, le problème de la concurrence déloyale exercée par les sites internet à l’égard des librairies traditionnelles ne se pose pas. Au contraire, si aucune dérogation n’est prévue à la présente loi, les plateformes de vente en ligne françaises seront indûment pénalisées par rapport à leurs concurrentes hébergées à l’étranger, pour les transactions concernant des clients établis hors de France.

Il serait donc utile qu’un décret prévoie, comme cela avait été autorisé en 1981 par la loi Lang pour les DOM-TOM, une exception autorisant les plateformes de vente de livres en ligne à pratiquer une décote sur le tarif du service de livraison lorsque celle-ci a lieu à l’étranger.

Un tel décret pourrait également clarifier le problème de l’accessibilité aux plateformes françaises de vente en ligne de livres numériques pour les acheteurs situés hors de France.

Par cet amendement, il s’agit encore une fois de défendre la francophonie et notre langue française.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Ma chère collègue, je comprends qu’en tant que sénatrice des Français établis hors de France vous portiez un intérêt à l’accès aux livres en langue française et, partant, à la promotion de la francophonie. Le français, à travers le livre, reste tout de même la langue de la liberté. Sa diffusion est également vecteur de valeurs, comme nous l’avons vu récemment dans des pays en pleine évolution dont les peuples ont fait d’un mot français le symbole de leur démarche.

Néanmoins, la loi de 1981 sur le prix du livre imprimé et la loi de 2011 sur le prix du livre numérique sont d’application territoriale. Il serait donc particulièrement curieux qu’elles fassent l’objet d’exceptions en fonction de la nationalité des consommateurs. (

Un dispositif dérogatoire, par ailleurs difficile à appliquer, n’aurait en outre que peu d’impact sur l’activité des plateformes françaises de vente de livres en ligne, pour lesquelles la clientèle dont il est question ne représente qu’une très faible part du chiffre d’affaires.

Enfin, s’il est exact que des difficultés existent dans certains pays en matière de disponibilité d’ouvrages en langue française, le présent texte ne constitue en aucun cas une réponse adéquate pour nos compatriotes vivant à l’étranger.

Je suis donc amenée, ma chère collègue, à vous demander de retirer cet amendement. À défaut, je me verrai contrainte d’émettre un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Aurélie Filippetti, ministre

Madame la sénatrice, si la question que vous posez est tout à fait légitime, la réponse que vous y apportez ce soir n’est pas pertinente.

En effet, ce texte concerne la loi de 1981, dont l’application est territorialisée, comme vient de le rappeler Mme la rapporteur, puisqu’elle ne concerne que les acheteurs résidant en France. Il en est d’ailleurs de même pour la loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, dont l’application est aussi uniquement territoriale.

L’accessibilité des livres à l’étranger se heurte à plusieurs obstacles. Tout d’abord, les éditeurs ne bénéficient pas toujours des droits d’exploitation mondiaux leur permettant de diffuser leurs livres ailleurs que sur le territoire national, dans les zones ou pays que vous venez de citer.

Il existe également des difficultés d’ordre technique, les vendeurs devant payer les taxes afférentes à la transaction dans le pays de l’acheteur.

Si ces questions doivent bien évidemment être traitées, ce texte n’en constitue pas moins un support inapproprié.

Je rappelle toutefois qu’il existe des aides à l’export, notamment pour ce qui concerne les livres universitaires destinés aux pays du Sud.

Enfin, une partie du coût du transport est prise en charge, ce qui représente, par le ministère de la culture, une aide de plusieurs millions d'euros chaque année.

Toujours est-il que le présent texte n’est pas le support adapté pour traiter ces questions techniques et juridiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Il s’agissait évidemment d’un amendement d’appel. Ce sujet me paraît extrêmement important. Bien sûr, je connais le principe de la territorialité, ce qui, soit dit en passant, n’a pas de relation avec la nationalité des acheteurs.

Il n’en reste pas moins important de trouver un moyen d’aider à la diffusion du livre français. C’est la seule voie d’avenir, bien plus, je l’ai dit, que les mesures prévues dans cette proposition de loi. C’est pour cette raison que je tenais absolument à attirer une nouvelle fois l’attention du Gouvernement sur ce sujet. J’ai interrogé celui-ci à nombreuses reprises et j’attends précisément une réponse de Benoît Hamon, que j’avais interpellé lors d’une séance de questions orales sans débat voilà six mois.

Nos compatriotes résidant à l’étranger sont confrontés à d’énormes problèmes pour accéder à la culture française : il s’agit non pas seulement du livre, mais également des programmes télévisés français ou des documents internet.

Voilà pourquoi, madame la ministre, il est essentiel de travailler sur cette question.

Bien évidemment, je retire mon amendement, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L'amendement n° 2 est retiré.

L'amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance toute mesure de nature législative propre à modifier les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition en conséquence de l’accord-cadre du 21 mars 2013 entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition sur le contrat d'édition dans le secteur du livre à l'ère du numérique :

1° en étendant et en adaptant les dispositions générales relatives au contrat d’édition à l’édition numérique ;

2° en précisant les règles particulières applicables à l’édition d’un livre sous forme imprimée et sous forme numérique ;

3° en organisant le renvoi, pour les modalités d’application de ces dispositions nouvelles, à des accords entre les organisations professionnelles représentatives du secteur du livre en vue de leur extension à l’ensemble des auteurs et éditeurs du secteur par arrêté du ministre chargé de la culture ;

4° en précisant l’application dans le temps de ces dispositions.

II. – L'ordonnance est prise dans un délai de six mois suivant la promulgation de la présente loi.

III. – Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de la publication de l’ordonnance.

La parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Aurélie Filippetti, ministre

Cet amendement vise à habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnance pour adapter le code de la propriété intellectuelle au contrat d’édition entre auteurs et éditeurs à l’ère du numérique, que j’ai évoqué dans la discussion générale.

Les auteurs et les éditeurs ont en effet signé le 21 mars dernier un accord-cadre, après plus de trois ans de négociations, affirmant ainsi leur volonté commune d’aménager les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition afin de les moderniser, de les rendre plus équilibrées et d’y intégrer la diffusion numérique des livres.

Cet accord a été rendu possible grâce à une mission de conciliation pilotée par le professeur Pierre Sirinelli.

Pour qu’il n’y ait pas de malentendu sur les raisons de fond pour lesquelles le Gouvernement a déposé cet amendement, je tiens à préciser que cet accord doit faire l’objet d’une transcription législative. Or, depuis le 21 mars, en raison de la surcharge du calendrier parlementaire, nous n’avons disposé d’aucun support législatif pour ce faire.

Je veux maintenant détailler devant vous l’économie des mesures législatives envisagées.

Il s’agit, en premier lieu, d’accueillir l’édition numérique dans le cadre légal du contrat d’édition, qui ne porte, aujourd’hui, que sur la fabrication en nombre d’exemplaires de l’œuvre.

L’accord consacre le principe de l’unicité du contrat d’édition – un contrat d’édition entre un auteur et un éditeur pour l’exploitation physique et numérique –, tout en exigeant une partie distincte pour le numérique. C’était une demande forte des auteurs, qui ne voulaient pas que tout soit fondu dans un seul texte ; l’amélioration est très substantielle pour eux.

L’accord énonce clairement les obligations de l’éditeur envers l’auteur en contrepartie de la cession des droits numériques à l’occasion de la signature de ce contrat, en ce qui concerne tant les délais de publication que les efforts attendus pour la diffusion du livre et la rémunération de l’auteur. C’est une clarification des obligations concernant le numérique.

L’accord introduit une possibilité de réviser régulièrement les conditions du contrat afin de prendre en compte les mutations, les évolutions du marché numérique.

En deuxième lieu, l’accord modernise et clarifie certaines dispositions relatives à l’exploitation imprimée du livre. Aujourd’hui, la loi prescrit à l’éditeur d’assurer à l’œuvre une « exploitation permanente et suivie » ainsi qu’une « diffusion commerciale », sans être plus précise et sans formaliser de sanctions en cas de non-respect de ses dispositions. L’accord détaille les obligations concrètes de l’éditeur vis-à-vis de l’auteur – c’est pour ce dernier une sécurisation –, auquel il offre dans le même temps un moyen plus aisé de résilier le contrat si ces obligations ne sont pas remplies.

En troisième lieu, enfin, l’accord propose deux aménagements généraux qui concernent autant l’exploitation imprimée que l’exploitation numérique : d’abord – et c’est une demande forte des auteurs –, il renforce les obligations de l’éditeur en matière de reddition des comptes, dans la mesure où ce point représente aujourd’hui un motif d’insatisfaction important pour la quasi-totalité des auteurs ; ensuite, il introduit pour chacune des parties au contrat la faculté d’y mettre un terme de façon très simple en cas de constat partagé de la fin de l’activité économique liée à l’exploitation du livre.

Comme vous pouvez le constater, mesdames, messieurs les sénateurs, cet accord est extrêmement satisfaisant et protecteur pour les auteurs.

Les modalités d’application de ces principes seront définies par un accord dont les détails sont exposés dans l’accord-cadre du 21 mars. Cela permettra au secteur, si les circonstances économiques ou techniques évoluent, de prendre en compte avec souplesse et de façon consensuelle les modifications nécessaires. Cet accord d’application sera rendu obligatoire à l’ensemble du secteur par un acte réglementaire.

Les auteurs et les éditeurs attendent vraiment la traduction de cet accord dans la loi, d’autant plus que la signature de nombreux contrats est aujourd’hui retardée jusqu’à ce que celle-ci soit effective.

Il y a donc une véritable urgence à procéder par voie d’ordonnance aux modifications souhaitées. L’enjeu est en effet celui de la diversité de la création éditoriale, qui rejoint le sujet de la présente proposition de loi.

Cet amendement vise donc à confier au Gouvernement le soin de procéder par ordonnance aux adaptations législatives appelées par cet accord.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

J’avais prévu de rappeler le contexte et le contenu de cet accord, mais puisque vous l’avez fait, madame la ministre, je m’en dispenserai.

Cet accord a été salué par l’ensemble des professionnels du livre ; j’ai pu le vérifier lorsque je les ai auditionnés. Bien sûr, ces dispositions doivent être encore intégrées dans le code de la propriété intellectuelle afin d’en assurer une application effective par l’ensemble des parties.

De fait, si certains éditeurs appliquent d’ores et déjà les nouvelles règles, d’autres, au détriment des auteurs, demeurent encore fortement réticents.

L’objet du présent amendement est d’en permettre l’application rapide en autorisant le Gouvernement à procéder par ordonnance aux modifications du code de la propriété intellectuelle nécessaires.

Cela étant, madame la ministre, vous avez été parlementaire

Mme la ministre le confirme.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Pour autant, il y a l’idéal, mais allons au réel et soyons pragmatiques : l’intérêt du dispositif et la multiplication des contentieux entre auteurs et éditeurs en matière d’édition numérique conduisent à reconnaître l’urgence de votre demande et l’urgence qu’il y a à rendre effective l’application de l’accord-cadre sur le contrat d’édition.

Or l’érosion du calendrier parlementaire du fait des échéances électorales de 2014 comme l’absence de véhicule législatif adéquat dans des délais raisonnables plaident, une fois n’est pas coutume, pour le recours à l’ordonnance.

En conséquence, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

J’ai bien compris qu’il était nécessaire de transcrire rapidement dans la loi les termes de cet accord conclu entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition et que, par conséquent, il fallait autoriser le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance.

Ce qui est extrêmement intéressant, c’est que nous allons, dans le cadre de la discussion d’une proposition de loi, habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance ! Voilà un exercice méritoire…

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

… et même audacieux, en effet, mon cher collègue.

Madame la rapporteur, vous avez évoqué le calendrier électoral et le calendrier de nos travaux. En dépit de l’amitié que nous nous portons depuis longtemps, je voudrais vous rappeler que nous sommes un certain nombre à ne pas être candidats à un autre poste que celui de sénateur. Or nous sommes privés de toute activité en raison de la suspension des travaux parlementaires. C’est un encouragement au cumul des mandats !

Toujours est-il, madame la ministre, que, faisant confiance à Mme la rapporteur, je voterai cet amendement. Pour autant, je considère que cette procédure doit être unique et réservée au domaine culturel.

Franchement, habiliter le Gouvernement, dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi, à légiférer par ordonnance, comme le disait ma collègue Corinne Bouchoux, c’est extrêmement osé.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Madame la ministre, je ne vous cacherai pas que vous m’embarrassez.

Après que nous avons indiqué notre accord de fond avec le présent texte, qui a trait à la vente des livres à distance, soudain, au détour du débat devant le Sénat – et non pas devant l’Assemblée nationale, qui a déjà examiné ce texte –, vous découvrez qu’il y a urgence à faire ratifier l’accord du 21 mars 2013 – vieux donc de plus d’un an - entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition.

Que les choses soient bien claires : nous nous sommes réjouis de cet accord et nous souhaitons sa traduction législative. Là encore, il n’y a pas de débat de fond ou d’hésitation de notre part. Nous aurions d’ailleurs souhaité que cette transcription législative intervienne plus tôt. Mais demander à des parlementaires d’y procéder dans le cadre de la discussion d’une proposition de loi, sans qu’il y ait un rapport évident entre celle-ci et l’objet de l’accord-cadre, de surcroît via une habilitation à légiférer par ordonnance, clairement, cela s’appelle un cavalier !

Pour des parlementaires, c’est plus qu’audacieux, et même insupportable.

Voilà pourquoi, madame la ministre, sur ce point, nous ne pourrons malheureusement pas vous suivre, même si, je le répète, nous souhaitons que cette proposition de loi conserve son caractère consensuel et même si nous appelons de nos vœux la ratification rapide de l’accord du 21 mars.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Je formulerai brièvement deux remarques.

Premièrement, nous sommes d’accord sur le fond. Nous comprenons les raisons qui motivent le dépôt de cet amendement et mesurons l’importance de cet accord, dont nous avons bien saisi les motivations. En même temps, nous ne sommes pas convaincus par la méthode, c’est le moins que l’on puisse dire. Nous ne comprenons pas pourquoi il n’a pas été possible, depuis la signature de cet accord, d’examiner un projet de loi visant à sa transcription.

Il y aurait beaucoup à dire sur les raisons de l’embouteillage législatif qui est invoqué, et l’on pourrait discuter longuement des priorités qui ont été imposées au Parlement par le Gouvernement. En l’espèce, le sujet est extrêmement important, puisqu’il s’agit d’adapter le code de la propriété intellectuelle.

Au final, nous ne voudrions pas envoyer un signal indiquant que le Parlement accepte de se dessaisir de son travail sur un sujet aussi majeur.

Deuxièmement, pour justifier le recours aux ordonnances, on met en avant l’urgence à transcrire cet accord et le caractère exceptionnel de cette procédure. Malheureusement, cette demande intervient à un moment où le Président de la République vient de déclarer qu’il serait fait un usage plus systématique des ordonnances !

Mouvements divers.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Vous savez notre totale opposition à une dérive qui prive le Parlement de son droit d’amendement dans le débat législatif, pourtant essentiel. Nous l’avons rappelé hier par la voix de la présidente de notre groupe, dans un rappel au règlement.

Nous voterons donc cet article parce que nous sommes d’accord sur le fond, mais il doit être bien clair que, pour le groupe CRC, cela ne signifie en aucun cas que nous donnons le feu vert à la généralisation de cette pratique.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

La parole est à M. Vincent Eblé, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Mes chers collègues, il y a ordonnance et ordonnance… En l’espèce, nous sommes en présence d’un dispositif qui a pour vocation d’acter un accord conclu entre des partenaires socio-économiques. Il ne s’agit donc pas d’un espace de législation au sens classique du terme.

Au surplus, l’article additionnel qui nous est proposé prévoit qu’un projet de loi de ratification nous sera présenté dans un délai de six mois à compter de la publication de l’ordonnance. La disparition du pouvoir parlementaire est donc tout à fait limitée en l’espèce.

C’est la raison pour laquelle ni mon groupe ni moi-même ne voyons d’objection à voter cet amendement portant article additionnel.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article unique.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L'amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition

La parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Aurélie Filippetti, ministre

Il s’agit d’un simple amendement de coordination tendant à modifier l’intitulé de la proposition de loi afin de tenir compte de l’article d’habilitation relatif à la réforme du code de la propriété intellectuelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

La commission émet un avis favorable sur cet amendement de coordination.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je ne vous retiendrai qu’une fraction de seconde, étant donné l’heure tardive.

Nous avons voté un certain nombre de dispositions. Ces mesures fiscales et économiques vont se traduire pour l’ensemble de la filière par des aides financières qui ont été très souvent mentionnées ce soir.

Nous aurions cependant besoin d’une évaluation de toutes ces mesures de soutien et d’aide établies dans le cadre de cette politique globale concernant le livre, les journaux et les médias en général. Je compte vraiment sur le ministère et sur vous, madame la ministre, pour mettre en place cette évaluation. Nous avons d’ailleurs évoqué ce sujet cet après-midi avec M. Laurent Fabius, à propos notamment de l’aide au développement. Des mesures d’aides à certains secteurs sont prises fréquemment sans que nous disposions de procédures d’évaluation.

Je ne suis absolument pas hostile à l’idée de soutenir certaines filières, mais il est impératif que nous disposions de dispositifs d’évaluation. Sans doute faudrait-il aussi que nous ne nous retrouvions pas avec des moitiés de loi de finances… Aujourd'hui, en effet, nous sommes un peu dépourvus quand la bise arrive sur la deuxième partie de la loi de finances ! §

Il serait bon que nous n’ayons pas besoin de demander, par des amendements plus ou moins adaptés, un rapport sur tel ou tel sujet, et que le Gouvernement nous informe spontanément. Ce sont des filières qui appellent un certain nombre de dispositions et d’aides financières. C’est pourquoi il faudrait que nous disposions d’évaluations sur une initiative spontanée de votre ministère, madame la ministre, sans que la Cour des comptes intervienne, dans ce cas comme dans celui de l’aide aux médias. Le contribuable vous en sera reconnaissant, et nous aussi !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Nous l’avons dit d’entrée de jeu : le groupe UMP votera ce texte, qui lui paraît utile.

Du reste, il est apparu clairement dans nos débats que l’attention que nous devons porter aux libraires ne se limite pas au texte que nous examinons aujourd'hui. Si nous voulons que la librairie vive et qu’elle vive dans la durée, il faut l’aider à être imaginative et en particulier aider chacune de nos librairies à rester un lieu rayonnant de culture.

Madame la ministre, nous voterons donc ce texte, car c’est un acte de foi dans l’avenir de la librairie, et nous devrons continuer à aider celle-ci par une politique du livre qui soit innovante et imaginative : c’est là l’essentiel. Voilà pourquoi, même si, sur un amendement, nous n’avons pas été d’accord, nous voterons bien évidemment ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l'ensemble de la proposition de loi tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition.

La proposition de loi est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des suffrages exprimés.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 9 janvier 2014 :

À dix heures :

1. Débat sur les négociations commerciales transatlantiques.

À quinze heures :

2. Questions d’actualité au Gouvernement.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le jeudi 9 janvier 2014, à zéro heure vingt.