… la situation préoccupante des librairies indépendantes, surtout des petites et moyennes librairies de quartier.
Celles-ci doivent faire face aux charges de personnel et de loyer, à l’augmentation des frais de transport ainsi qu’à des difficultés de trésorerie structurelles liées à l’étendue et à la nature de leurs stocks de livres, souvent à rotation lente.
Les offres avantageuses proposées par l’acteur dominant que j’évoquais à l’instant constituent donc un facteur de déstabilisation supplémentaire de nos librairies.
Comme je l’ai souligné dans mon rapport, cette concurrence est d’autant plus âpre que cet acteur poursuit une stratégie d’optimisation fiscale en matière de TVA, grâce à une installation au Luxembourg. Ses frais d’imposition sont dérisoires par rapport aux bénéfices engrangés.
La vente en ligne est désormais le seul segment du marché du livre en progression. Elle réalise à ce jour 12 % des ventes de livres papier, et cet acteur dominant détient près de 70 % des parts de ce marché.
À terme, le risque est grand de voir quelques plateformes de vente en ligne de livres dominer le marché. Non seulement notre économie aurait à en souffrir, mais la diversité culturelle et la richesse de la production éditoriale seraient mises en péril, puisque ces plateformes seraient en mesure d’imposer leurs conditions.
Les libraires ont tenté de réagir face à cette invasion en développant leur présence sur Internet : 500 librairies proposent aujourd’hui un service de vente et de réservation en ligne. Certaines ont offert la gratuité des frais de port pour s’aligner sur leur redoutable concurrent, ce qui pèse lourdement sur leur rentabilité.
Afin de lutter contre cette concurrence déloyale et de revenir à l’esprit de la loi de 1981, la proposition de loi initiale prévoyait que la prestation de la livraison à domicile ne puisse pas être incluse dans le prix unique du livre. À l’Assemblée nationale, le Gouvernement inversa cette proposition, en interdisant l’application de la remise commerciale de 5 % pour tout livre commandé en ligne et livré à domicile, formule à laquelle nos collègues députés se sont ralliés à l’unanimité.
De son côté, la commission de la culture du Sénat a œuvré pour parvenir à un texte qui nous rassemble tous. À cet égard, je tiens à féliciter notre rapporteur qui, ne cédant pas aux attraits d’un vote conforme, a complété le dispositif par un amendement interdisant la gratuité de la livraison. Dorénavant, toute commande de livre réalisée en ligne devra faire l’objet d’une facturation du service de livraison à domicile.
Il s’agit bien de supprimer, aux yeux des consommateurs, la valeur ajoutée que représente une commande sur une plateforme de vente par Internet.
À mon sens, il manque simplement au dispositif final la mention d’une période transitoire pour l’application de la loi, un point sur lequel la commission a également travaillé. Après avoir proposé une période transitoire de six mois, nous sommes tombés d’accord sur trois mois. Madame la ministre, je vous proposerai donc ultérieurement un amendement en ce sens.
La mise en œuvre de ce dispositif ne devrait pas soulever de problèmes pour le géant dont je ne veux décidément pas citer le nom, mais n’oublions pas que les librairies qui pratiquent la gratuité de livraison auront besoin d’un peu de temps pour modifier leur site et revoir leur stratégie de communication. En leur accordant ce délai, nous répondrons donc pleinement à leur attente.
Même si je me réjouis que le présent texte parvienne à son aboutissement, ne nous leurrons pas quant à sa portée. Il sera toujours plus avantageux pour un consommateur de commander un livre sur Internet que de prendre sa voiture pour se rendre dans un commerce. Et certains, n’en doutons pas, n’hésiteront pas à pratiquer un coût de livraison extrêmement bas…
Le présent texte apporte donc un soutien bien relatif aux librairies. Sans doute faudra-t-il aller plus loin et aider par d’autres voies les librairies indépendantes à résister à la concurrence des plateformes de vente sur Internet.
À cet égard, je mentionnerai plusieurs pistes.
Tout d’abord, cette aide doit être de nature fiscale. La directive européenne permettant l’application de la TVA dans le pays de consommation d’ici à 2015 est un premier pas en ce sens.
Ensuite, il faut aider les libraires à suivre l’évolution du marché du livre, en leur permettant d’être, eux aussi, présents sur Internet. J’ai dit précédemment que 500 librairies participent à la vente en ligne ; on est – hélas !– loin du projet de 1001libraires.com, qui n’a pu aboutir à cause de difficultés de gouvernance et du fait de l’absence d’un service de livraison à domicile.
Je rappelle à ce sujet que les librairies souffrent de délais de commande importants et ne peuvent donc rivaliser avec la rapidité des commandes sur Internet.
À ce sujet, ayant examiné les dispositifs d’aides octroyées aux messageries de presse, je me demande si le principe ne serait pas transposable aux livraisons de livres. Le coût d’acheminement des livres pèse en effet sur la chaîne du livre, tout comme le dispositif de vente des journaux. Dès lors, pourquoi ne pas inclure les livres dans la réflexion actuellement menée sur les aides au portage des journaux à domicile ? Je souhaiterais, madame le ministre, avoir votre sentiment sur ce point.
En conclusion, je pense que les librairies traditionnelles ont une « valeur ajoutée » qui attirera encore longtemps les consommateurs. Entrer dans une librairie, déambuler au hasard des rayonnages, discuter avec un libraire passionné, découvrir des auteurs, tout cela fait partie du plaisir d’acheter un livre !