Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, madame la rapporteur, en 1981, nos prédécesseurs, soucieux de répondre à plusieurs problèmes, ont voté à l’unanimité la très célèbre loi Lang.
Il faut se souvenir que, à l’époque, la préoccupation des parlementaires était déjà de sauver les librairies indépendantes et de maintenir un réseau dense et diversifié de commerces de qualité dans nos villes. Le danger identifié alors venait principalement des grandes surfaces : généralistes ou spécialisées, les enseignes menaient une guerre des prix sur un produit d’appel, le livre, en pratiquant des prix au rabais, jusqu’à 70 % inférieurs au prix conseillé par les éditeurs.
En conséquence, la « bibliodiversité » était menacée, et la crainte était légitime de voir disparaître non seulement des libraires, mais également, à terme, des auteurs, et plus globalement un pan complet de notre culture.
Tel est le contexte dans lequel le prix unique du livre a été instauré par la loi Lang, que nous pouvons certainement considérer comme une loi patrimoniale. En août 1981, votre prédécesseur, madame la ministre, s’exprimait ainsi devant l’Assemblée nationale : « Le prix unique doit permettre : l’égalité des citoyens devant le livre, qui sera vendu au même prix sur tout le territoire national ; le maintien d’un réseau décentralisé très dense de distribution, notamment dans les zones défavorisées ; le soutien au pluralisme dans la création et l’édition, en particulier pour les ouvrages difficiles. »
La politique du prix unique répondait à ces objectifs, désormais adoptés par neuf pays de l’Union européenne ; elle est reconnue par tous comme utile et efficace.
En vérité, la concurrence par les prix a fait place à une concurrence qualitative ; celle-ci a encouragé les librairies à réaliser des efforts de promotion, permettant la mise en valeur de la diversité tant éditoriale que de création.
Seulement voilà : aujourd’hui, notre réseau national de 3 000 libraires est à nouveau en souffrance ; nous avons tous, sur nos territoires, été interpellés à ce sujet. Pour ma part, je me souviens de la mise en garde d’un libraire provinois qui, se faisant le porte-parole des libraires seine-et-marnais, m’a dit que, d’ici quelques années, ils auraient tous fermé.
Il m’a expliqué les difficultés que sa profession rencontre et le sentiment d’injustice qu’elle ressent devant la concurrence déloyale dont elle souffre : de fait, les libraires paient leurs impôts en France, contrairement à la plateforme logistique de vente de livres en ligne, dont l’imposition n’est pas à la hauteur de l’activité. Sans compter que ces plateformes logistiques ne paient pas la taxe sur les surfaces commerciales, puisqu’elles n’en sont pas, et ne subissent pas les contraintes financières liées à l’augmentation des loyers dans les centres-villes, quand elles ne bénéficient pas de subventions pour s’installer.
Ce libraire soulignait aussi que le travail de proximité et d’animation culturelle territoriale accompli par les libraires exige un niveau de qualification et de rémunération des personnels bien supérieur à celui qui est en vigueur au sein des plateformes logistiques.
Enfin, mon interlocuteur évoquait la difficulté de systématiser une ristourne de 5 % pour des commerces dont la marge n’est que de 0, 6 %, les problèmes de trésorerie et d’immobilisation qui résultent de la nécessité d’entretenir un stock important, la demande des clients étant très diversifiée, et les nombreuses cessions d’activité liées au contexte actuel – la presse s’en fait quotidiennement l’écho.
Quant à développer une activité de vente en ligne, les libraires rappellent l’échec du site 1001libraires.com et font valoir que, à ce jour, seuls les gros établissements ont les moyens d’investir sur ce secteur de marché où, dans tous les cas, les ventes ne sont pas rentables et guère concurrentielles.
En vérité, il semble difficile aux libraires indépendants de lutter contre les géants de l’internet, qui additionnent la gratuité du port, la ristourne de 5 % et la capacité à livrer en quarante-huit heures ou moins sur la base d’un catalogue extrêmement important, quand eux-mêmes peinent à se procurer les ouvrages en trois jours !
Pour illustrer son désarroi face au projet d’un géant de l’internet d’utiliser la solution moderne de drones pour livrer ses clients, mon libraire provinois, spécialisé dans une thématique médiévale, a eu l’idée d’un petit film satirique présentant une catapulte à livres... §Belle allégorie du combat inégal qui se déroule sous nos yeux !
Nos libraires ne sont pas des champions internationaux de la logistique, ce sont des acteurs culturels ; la bataille qu’elles mènent mérite notre soutien appuyé.
N’oublions pas que la librairie indépendante est aujourd’hui un acteur fondamental de la présence culturelle dans nos villes et dans nos quartiers. Les libraires assurent un travail de proximité pour faire connaître et aimer les livres et la lecture, en organisant des rencontres et des signatures d’auteurs, des présentations personnalisées d’ouvrages et diverses animations autour du livre.
Dans ce contexte, la proposition de loi ne peut représenter, à elle seule, une solution complète : il convient de l’inscrire dans une action globale.
De longue date, le Gouvernement et vous-même, madame la ministre, agissez pour tenter d’apporter des solutions à nos libraires indépendants et de les sauver d’une faillite annoncée. C’est ainsi que vous avez soulevé un contentieux fiscal avec les opérateurs en ligne portant sur 190 millions d’euros – une paille ! – pour la période 2006-2010.
Le Gouvernement cherche à instaurer pour ces entreprises une imposition juste au regard des règles de la fiscalité nationale, même si leur assujettissement à l’impôt sur les sociétés est rendu extrêmement complexe par le jeu des réglementations nationales et internationales. En outre, il a maintenu le taux de TVA réduit à 5, 5 %, au lieu de le porter à 7 %, comme l’idée en avait, hier, effleuré l’esprit de quelques-uns.
Il faut encore mentionner les aides diverses mises en place en faveur de la promotion de la lecture, du soutien à la création littéraire et du maintien sur le territoire national d’un maillage serré de librairies.
Le « plan librairie », annoncé dès mars dernier et présenté en juin, démontre l’intérêt que vous portez, madame la ministre, à ce secteur de notre vie culturelle. Ce plan a pour objectif de faciliter la transmission des librairies, d’aider celles qui rencontrent des difficultés de trésorerie et de mieux soutenir l’ensemble d’entre elles.
Quant au Sénat, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la consommation, il a proposé, sur l’initiative du Gouvernement, la création d’un médiateur du livre et d’agents publics assermentés chargés de constater les infractions à la législation sur le prix unique.
Reste que notre réseau de librairies est menacé, et ce sont par là même plus de 30 000 emplois qui sont en péril.
La proposition de loi est, tout d’abord, un hommage à la pertinence et à l’actualité de la loi Lang. Une adaptation de celle-ci est rendue nécessaire par le développement des plateformes de vente en ligne, qui introduit une évidente distorsion de concurrence.