Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, je suis, bien sûr, très favorable à la protection de notre riche réseau de librairies indépendantes et, plus encore, au développement de ces établissements, dont je connais les difficultés. Pourtant, je ne crois pas que la stigmatisation, voire la diabolisation de la vente de livres par Internet soit une solution à leur déclin, bien au contraire.
« Mon ennemi, c’est la finance », disait le candidat François Hollande... Aujourd’hui, je ne voudrais pas que notre ennemi soit Amazon !
N’oublions pas que les principaux concurrents des libraires traditionnels sont encore les grandes surfaces, et pas vraiment les plateformes internet. En outre, si concurrence déloyale par Amazon il y a, c’est davantage en raison des stratégies d’optimisation fiscale dont bénéficie en toute légalité cette plateforme que du fait de sa capacité à offrir les frais de port à ses clients.
Je doute que l’augmentation marginale du prix des livres vendus par Internet se traduise par un envol des ventes en librairies. De nombreux consommateurs continueront à commander en ligne, et cette loi nuira davantage à leur pouvoir d’achat qu’aux marges d’Amazon.
Surtout, dans nombre de situations, la vente en ligne est, non pas concurrente, mais complémentaire de celle des libraires. Elle permet de faire venir ou revenir aux biens culturels des personnes qui en sont éloignées ; je pense à celles qui vivent dans des quartiers ou villages dépourvus de librairie ou, simplement, aux personnes à mobilité réduite. En effet, mes chers collègues, plus on lit, et plus on a envie de lire ! L’achat d’un livre sur Internet peut donc donner envie d’aller ensuite en librairie.
Sénatrice des Français de l’étranger et défendant depuis toujours la francophonie, je pense aussi à tous ceux qui vivent dans des régions du monde où Internet est le seul moyen de se procurer des livres français. Réciproquement, en France, les plateformes internet sont souvent le meilleur canal pour acheter des ouvrages d’importation.
La vente à distance de livres, qu’il s’agisse d’ouvrages imprimés ou numériques, est une tendance de fond qu’il me semble relativement vain de vouloir contrer, et ce sans compter qu’elle ne profite pas qu’à des entreprises étrangères ou exilées fiscales : elle est tout aussi bénéfique à des groupes français comme la FNAC.
L’enjeu est plutôt de travailler à une meilleure complémentarité entre la vente en librairie, la vente à distance de livres imprimés et celle de livres numériques.
Il faut certainement mieux soutenir et valoriser les avantages comparatifs des libraires traditionnels : compétences des professionnels, atmosphère des lieux, animations proposées...
Dans un même temps, au lieu de brider les plateformes de vente en ligne, il vaudrait mieux les encourager à améliorer leurs services en direction de la clientèle que les libraires traditionnels sont de toute façon dans l’incapacité de toucher.
Les obstacles pour commander des livres en ligne depuis l’étranger ou avec une carte bancaire étrangère sont complètement absurdes. Ils constituent un véritable anachronisme dans notre monde globalisé ! Pour les éditeurs et les diffuseurs, c’est tout un marché qui est négligé, et c’est aussi une terrible occasion manquée pour la francophonie.
J’ai à plusieurs reprises interpellé le Gouvernement à ce sujet, dont la dernière fois, voilà six mois, par une question orale adressée à Benoît Hamon. Celui-ci m’avait promis de travailler sur le sujet et je serai bien évidemment heureuse de connaître l’état d’avancement de ses réflexions.
Peut-être pourrait-on aussi envisager de donner un coup de pouce aux exportations de livres français, par exemple par une dérogation qui maintiendrait dans ce cas précis l’autorisation d’une décote ou de frais de port réduits, ou en soutenant des initiatives de promotion du livre francophone, telle la Culturethèque de l’Institut français.
La loi de 1981 prévoyait qu’un décret aménage les conditions d’application de la loi dans les départements d’outre-mer : un dispositif similaire ne serait-il pas souhaitable concernant la vente de livres français hors de France ? C’est l’objet d’un amendement que je défendrai tout à l’heure.
À mon sens, le problème des librairies vient davantage de la diminution du nombre de lecteurs que de la concurrence des vendeurs à distance. Au lieu de voir Internet comme un obstacle, il faut l’utiliser pour faire venir ou revenir aux livres des personnes qui en sont éloignées.
Dans cette période de mutation intense du secteur de la distribution culturelle, il ne faut pas que nous nous trompions d’ennemi. Nous devons surtout réfléchir, au-delà de mesures, comme celle dont nous débattons aujourd'hui, qui n’auront selon moi qu’une faible incidence sur le développement des librairies, à protéger ce bien si précieux – inestimable – qu’est le livre, en aidant les librairies à mieux se développer, mais aussi à promouvoir la diffusion de nos œuvres, de notre langue et de notre culture hors de nos frontières. C’est un défi immense, et il sera de notre honneur de le relever !