Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de répondre brièvement aux interrogations formulées par les différents orateurs.
J’ai bien insisté, dans mon propos liminaire, sur le fait que cette mesure ne résoudrait pas tous les problèmes de nos libraires. C’est l’une des pierres d’un édifice plus vaste. J’ai rappelé l’importance du plan d’aide à la librairie que nous avons lancé, avec les deux fonds dédiés. J’aurais également pu mentionner les 2 millions d’euros supplémentaires que le Centre national du livre consacrera aux libraires, ou encore la mobilisation d’un fonds complémentaire de 7 millions d’euros par les éditeurs, ces derniers ayant bien conscience de l’importance du maillon des librairies dans la chaîne du livre.
La question des loyers, soulevée par M. Yvon Collin, sera traitée dans le cadre de la discussion du projet de loi que ma collègue Sylvia Pinel viendra prochainement défendre devant le Parlement. Ce texte tend à mettre en œuvre un lissage pour empêcher les hausses excessives des loyers des librairies, notamment de celles qui se trouvent dans les centres-villes des grandes agglomérations.
L’optimisation fiscale qu’un certain nombre d’orateurs ont dénoncée est évidemment une préoccupation majeure. Face aux géants de l’Internet, en particulier aux entreprises Google, Apple, Facebook et Amazon, que l’on surnomme les GAFA, nous nous mobilisons, aussi bien, d’ailleurs, pour le livre que pour d’autres domaines.
J’ai défendu l’exception culturelle à Bruxelles, l’année dernière, et je continuerai à prôner l’intégration de ces nouvelles entreprises diffusant des œuvres culturelles dans le financement de la création. Il faut aussi, de toute évidence, que celles-ci se soumettent aux règles fiscales.
L’actuelle évasion fiscale pratiquée par de grandes entreprises comme Amazon est néfaste, non seulement à la France, mais aussi à un grand nombre de pays européens. Même la Grande-Bretagne est aujourd'hui consciente du problème et travaille à des contre-mesures. Aux États-Unis, des dispositions viennent d’être prises permettant de récupérer les taxes à la consommation locales qui, jusqu’à présent, n’étaient pas payées par les acteurs de la vente en ligne.
Donc, on le voit bien, le mouvement n’est pas simplement franco-français : tous les États réagissent, estimant que cette situation de non-droit fiscal des grandes entreprises de l’internet, dont les conséquences, désastreuses, affectent jusqu’à nos libraires, ne peut plus durer.
Mais, madame Garriaud-Maylam, nous ne sommes évidemment pas là pour stigmatiser Amazon. Dans le même temps, nous sommes conscients des pratiques de cette entreprise, en particulier de ses pratiques sociales, qui ont été dénoncées à plusieurs reprises. Je vous renvoie à l’ouvrage d’un journaliste intitulé En Amazonie : infiltré dans le « meilleur des mondes ». Des mouvements de grève ont éclaté, en Allemagne, notamment, au mois de décembre dernier. Partout, des protestations s’élèvent face aux conditions sociales faites aux salariés du groupe. Ce sont des pratiques inacceptables.
Encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, le travail que nous réalisons ce soir ne sera qu’une pierre apportée à l’édifice. Mme la rapporteur a bien insisté sur l’importance du caractère symbolique de cette démarche. Celle-ci ne portera pas atteinte au pouvoir d’achat de nos concitoyens – les sommes en jeu sont vraiment minimes –, mais le fait que des entreprises ne puissent plus se prévaloir de certains arguments commerciaux aura en revanche un impact significatif.
D’ailleurs, nous ne sommes pas là non plus pour entraver, de quelque manière que ce soit, la vente à distance de livres. Notre préoccupation est de garantir que la concurrence soit la plus juste possible entre les différents acteurs du secteur. Nous souhaitons aussi permettre à nos libraires, que nous aimons, qui défendent le livre et la lecture, qui animent nos centres-villes en y tenant des « lieux de sociabilité », de constituer, eux aussi, des réseaux de vente en ligne, car c’est bien sûr un service que nous pouvons rendre à nos concitoyens que de leur donner la possibilité de commander des livres sur Internet et de se les faire livrer.
Il faut donc que nos libraires puissent se positionner sur ce marché de la vente en ligne sans être étouffés par des méthodes de dumping empêchant l’émergence de tout autre acteur.
À ce titre, l’échec du site 1001libraires.com a bien évidemment été analysé, que ce soit par les libraires eux-mêmes ou dans un rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles, et je crois que les leçons ont été tirées.
Des sites mutualisés sont donc développés à l’heure actuelle qui conservent véritablement le lien avec le libraire. Quand, par exemple, vous commandez sur les sites lalibrairie.com ou leslibraires.fr, vous savez à qui vous allez acheter votre livre. En effet, vous faites un achat par Internet, mais auprès de la librairie de votre choix. Vous bénéficiez donc des mêmes conseils et du même accompagnement qui font la force du métier de libraire, avec, en plus, les avantages de la vente en ligne.
Mme la rapporteur a également insisté sur la question des livres d’occasion. Nous avons pu constater, notamment dans le cadre de la fonction de place de marché que le site d’Amazon exerce aussi – Amazon vend des livres pour son propre compte, mais aussi pour celui d’autres entreprises –, que certains produits, présentés comme des livres d’occasion, étaient en fait des livres neufs, ce qui permettait de contourner la loi sur le prix unique.
Désormais, notre médiateur du livre ainsi que les agents assermentés du ministère de la culture chargés de contrôler l’application de la loi sur le prix unique vérifieront que l’on ne vend pas des livres neufs au prix de l’occasion.
J’en viens à l’intervention de Corinne Bouchoux et à son évocation du rôle et de la diversité des librairies. Ce que nous constatons, c’est une baisse assez importante de la vente de livres physiques – un peu plus de 3 % – et, simultanément, une hausse de la vente en ligne de livres.
Vous m’avez interrogée, madame Goulet, sur le caractère substituable ou non des lectorats : ce mouvement de vases communicants et les études qui sont à notre disposition tendent effectivement à prouver la réalité d’un mouvement de substitution. Des achats qui auraient pu se faire dans le réseau physique se retrouvent désormais sur le réseau de vente en ligne.
Le fait qu’une bonne partie de la vente à distance concerne Paris, alors que nous avons tout de même, dans la capitale, un réseau de libraires extrêmement dense, dont nous sommes d’ailleurs très fiers et très heureux, est un signe de cette évolution. Inversement, d’ailleurs, nos territoires ruraux accueillent aussi des librairies formidables – je pense, par exemple, à la librairie Le Bleuet, dans le département des Alpes-de-Haute-Provence, mais il y en a beaucoup d’autres… – et nous devons les encourager.
Nous travaillons par ailleurs, cela implique toute une réflexion, sur le code des marchés publics, afin de permettre aux collectivités locales de s’approvisionner auprès des libraires.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a énormément de dispositions différentes, de pierres que nous devons rassembler pour rebâtir et consolider notre politique du livre à l’ère du numérique. La proposition de loi que nous examinons ce soir, j’insiste sur ce point, est l’une de ces pierres mais ne pourra pas, à elle seule, constituer la solution de tous les problèmes.
Je souhaite également répondre à M. Legendre, qui propose notamment de faire distribuer le livre par des porteurs. Pourquoi ne pas réfléchir à cette idée ? Presstalis a fait des propositions en ce domaine. C’est évidemment un sujet qui peut être discuté.
J’en viens à l’absence d’harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne. À compter de 2015, la TVA sera due au pays de résidence de l’acheteur, et non plus au pays du vendeur. Toutefois, en matière d’optimisation fiscale, la TVA n’est pas seule en jeu, l’impôt sur les sociétés entrant également en ligne de compte. Si la réforme de la TVA est une bonne chose – je rappelle que sa mise en œuvre s’étalera tout de même sur quatre ans –, elle ne résoudra pas tout.
Quoi qu’il en soit, je remercie Vincent Eblé d’avoir rappelé que le Gouvernement a appliqué la baisse de la TVA sur le prix du livre, désormais fixée à 5, 5 %, dès sa prise de fonction, en juin 2012. Il s’agissait d’un engagement, et d’une exigence extrêmement forte.