Je vous remercie de m'accueillir dans votre commission, avec l'Ingénieur général Gilles Leblanc du Commissariat général au développement durable qui m'a accompagné pendant la rédaction du rapport.
Il s'agissait, lorsqu'a débuté ma mission en avril 2013, de reprendre un dossier qui avait suscité de nombreuses réactions, parfois hostiles, avec pour seul objectif de proposer un dispositif qui soit avant tout réalisable.
Je me suis appuyé sur la déclaration d'utilité publique (DUP) et le tracé d'ores et déjà validé, dont l'opérateur Voies Navigables de France (VNF) a été l'artisan. Le foncier correspondant a été réservé, que ce soit en termes d'acquisition, de sondage ou d'enquête préalable. Remettre en cause la DUP telle que je l'ai trouvée aurait très certainement mis un terme à ce projet. Il nous fallait également nous attacher à la question du financement, ainsi qu'à l'examen des motifs pour lesquels un grand nombre d'acteurs ne se mobilisait pas en sa faveur.
C'est pourquoi, il m'a semblé nécessaire de privilégier une approche de cohérence sur le projet afin de susciter un consensus sur sa nécessité économique et d'assurer la mobilisation des financements requis pour sa mise en oeuvre.
Dans mon rapport, vous trouverez ainsi les conclusions d'une enquête spécifique destinée à vérifier l'intérêt économique du projet. Elle montre que celui-ci devrait bénéficier à l'ensemble des acteurs économiques du pays. J'ai, dans ce cadre, organisé des concertations avec les acteurs des communautés portuaires du Havre et de Rouen où le projet suscitait de fortes réticences, l'ouverture d'une autoroute fluviale vers le Nord étant perçue comme une menace pour leur stratégie de développement.
A ce sujet, j'attire votre attention sur un article, paru dans le quotidien les Échos le 24 décembre dernier, consacré au déclin de la suprématie européenne du port de Rotterdam, qui pourrait notamment bénéficier au renforcement de la compétitivité du port du Havre. Encore faut-il que ce dernier puisse s'appuyer sur un hinterland compétitif et en phase avec les objectifs de développement légitimes qui lui sont assignés.
L'ensemble des rapports publiés par le passé sur le développement de ces ports reconnaît comme enjeux majeurs le transport du fret et des containers destinés au transport ferroviaire, tout comme l'utilisation de la Seine et le rapprochement avec le port de Paris. Je salue au passage le travail accompli par HAROPA, structure qui réunit les ports du Havre, de Rouen et de Paris, dont j'ai repris certaines problématiques dans mon rapport.
L'appréhension du projet du canal Seine-Nord-Europe dans sa globalité, au-delà du tracé du canal qui s'étire sur 106 kilomètres, et en accord avec le Ministre qui souhaitait que mon rapport incorporât des problématiques allant du Havre à Rotterdam, a conduit l'Europe à soutenir, à hauteur de 40 %, le financement du projet. Cette décision, officialisée à Tallinn et confirmée depuis lors par la Commission européenne, confère au projet une ampleur nouvelle, en assurant de nouvelles connexions entre les axes fluviaux et maritimes ainsi que des aménagements complémentaires en amont et en aval de la Seine. Cette décision est un élément majeur pour l'évolution du dossier. Elle a même conduit HAROPA à revenir sur son orientation initiale en matière de positionnement dans la concurrence européenne. Mais ce financement européen est fléché et en cas de non-utilisation, il sera redéployé vers d'autres projets dans d'autres pays. Aussi devons-nous honorer le rendez-vous qui nous est fixé par l'Europe et obtenir le financement accordé, dans le cadre du plan de relance négocié par le Président de la République lui-même. L'affichage de la volonté européenne doit ainsi nous conduire à nous organiser pour réaliser, dans les délais impartis, ce projet.
La progressivité est aussi une caractéristique de ce que je propose. L'exemple du Canal Albert, qui relie l'Escaut à Anvers, est emblématique de cette progressivité : bien qu'inauguré en 1939, son aménagement s'avère ininterrompu depuis lors, puisqu'on continue à lever des ponts et à aménager des écluses pour l'adapter à l'évolution du marché. Je propose que ce canal soit aménagé en norme 5B, soit au minimum requis par la concurrence : il devrait permettre l'accès des péniches de 185 mètres de long et de 4 400 tonnes susceptibles d'accueillir de deux à quatre containers. Mais les chargeurs m'ont tout de même indiqué qu'un tel aménagement ne devait pas être entrepris dans l'urgence ni en vertu d'une décision administrative sans fondement réel, mais en phase avec l'évolution du marché et de manière progressive. L'aménagement du canal devra également accorder une place importante au développement durable, par exemple par le recours à l'énergie photovoltaïque.
Le transport fluvial est un gage de sécurité pour l'acheminement des marchandises et leur distribution via des plateformes dédiées. Ainsi, la société Nike à Hasselt, dans les Pays-Bas, vient de doubler les capacités de sa plateforme de distribution, ce qui devrait conduire à créer un millier d'emplois. De telles infrastructures ont l'avantage de fonctionner nuit et jour, sept jours sur sept. Comme quoi, la progressivité de l'aménagement propre au secteur fluvial contribue à l'adaptation constante aux exigences du marché !
S'agissant des plateformes, il importe, là aussi, de demeurer pragmatique : je propose qu'elles relèvent des compétences des conseils régionaux. En effet, le développement économique leur incombe et certaines plateformes sont d'ores et déjà gérées par des conseils régionaux. La désignation de la région comme chef de file ne doit évidemment pas exclure d'autres acteurs publics, comme l'État ou les départements, susceptibles de participer aux décisions d'aménagement des plateformes. Il s'agit là encore de répondre aux exigences du marché : pour preuve, si l'aménagement de trois plateformes en Nord-Pas-de Calais, et notamment à Marquion, s'impose de lui-même, celui-ci implique d'associer étroitement la Picardie à la décision, du fait de sa connaissance du secteur économique qui en serait l'un des principaux utilisateurs. Une conception centralisatrice du développement des plateformes me paraît sinon désuète du moins ignorante de la réalité économique, que seule une vision locale est à même d'appréhender.
Lorsque j'ai demandé aux collectivités locales, qui n'étaient pas associées au financement des plateformes, de participer à celui du projet lui-même, celles-ci ont fait preuve d'une implication remarquable ; elles devraient participer, au total, à hauteur d'un milliard d'euros. La moitié de cette somme serait acquittée par les trois conseils régionaux concernés, l'autre moitié en particulier par les conseils généraux, dont je salue l'implication des présidents qui ont décidé de soutenir cette initiative. Bien que VNF soit compétent en la matière, il ne dispose pas de la capacité juridique requise pour supporter l'endettement nécessaire au portage du projet. Je propose ainsi la création d'une société de projet, structure juridique usitée en Europe notamment pour l'aménagement du Col du Brenner, destinée à associer les collectivités à VNF et à l'ensemble des acteurs concernés.
Je laisserai Gilles Leblanc répondre à vos questions sur les aspects techniques du projet et l'optimisation de ses coûts de réalisation, que ce soit pour l'aménagement des écluses ou encore le renforcement de l'étanchéité qui n'a pas été pour l'heure chiffré, faute des sondages idoines.
S'agissant enfin de la somme d'un milliard sept cent millions d'euros qui doit être trouvée pour boucler le financement du projet, je propose qu'un milliard d'euros soit à la charge de l'État et que le reliquat soit assuré par l'endettement. La Banque européenne d'investissement s'est déclarée prête à accompagner le projet ; l'endettement contracté auprès de cet établissement bancaire n'alimentera pas la dette « maastrichtienne » de la France.
Enfin, l'impact écologique de ce projet est évident. Je rappellerai qu'une péniche de 4 400 tonnes équivaut à une centaine de camions transitant sur l'autoroute A1 et l'ensemble des acteurs économiques, y compris la SANEF qui voit dans ce projet le moyen de désengorger cet axe autoroutier saturé de poids lourds, y est favorable. D'ailleurs, cette dernière est prête à participer au projet ; reste à préciser les modalités de cette participation.
Nous disposons de tous les éléments requis pour faire de ce canal un exemple de développement et d'aménagement durables. Ainsi, s'agissant de la gestion de l'eau, j'ai supprimé la connexion entre l'Oise et la Communauté urbaine de Lille, afin d'assurer la préservation de la nappe phréatique de l'Avesnois. Comme vous pouvez le constater, les aspects techniques qui répondent, au plus près, à la réalité des territoires et à l'exigence de qualité environnementale ont été privilégiés.
Il importe aussi de soutenir les personnels du secteur de la batellerie que j'ai rencontrés à plusieurs reprises et dont j'ai pu constater le dynamisme. Pendant trop longtemps, on a privilégié le ferroviaire et la route au détriment du secteur fluvial qui a été oublié. Le projet d'aménagement du canal Seine-Nord-Europe répond à un objectif économique et fournit l'occasion de relancer le fluvial en France.
Cette relance est d'ailleurs attendue par plusieurs secteurs économiques : les céréaliers, la grande distribution, le bâtiment ainsi que les industries de récupération. Mais il importe que le projet soit lisible pour permettre aux industriels de s'organiser en conséquence, à l'instar de la grande distribution dont les acteurs pourraient mettre jusqu'à trois ans pour réorganiser leur logistique.
Le calendrier du projet s'avère en définitive contraint, en raison du soutien européen qui le situe entre 2014 et 2020. L'année 2014 devra être marquée par les décisions nécessaires au lancement du projet. Le Ministre a d'ailleurs déjà désigné une mission administrative pour envisager la réalisation concrète des propositions contenues dans le rapport, pour une mise en service à l'horizon 2022-2023.