… mais les modifications que la commission des lois a dû y apporter lors de la ratification montrent que cette exception n’a sans doute pas été heureuse, et la réforme du droit des sûretés, ratifiée à la va-vite dans un texte sur la Banque de France, procédé que Jean-Jacques Hyest avait vigoureusement dénoncé à l’époque.
L’argument selon lequel une telle réforme serait trop technique pour le Parlement, que nous avons pu entendre lors des auditions que nous avons menées, n’est tout simplement pas recevable. Il est contredit par le travail que nous avons conduit sur le droit des successions en 2005 ou sur celui des prescriptions en 2008. De plus, il obère le fait que le présent projet de loi pose de véritables questions politiques. Je ne citerai que deux exemples pour illustrer mon propos.
Premièrement, il y a un équilibre à trouver entre l’impératif de justice dans le contrat, qui peut justifier une plus grande intervention du juge ou une modification de ses termes, et celui qui s’attache à l’autonomie contractuelle et à la sécurité juridique du contrat, qui peut justifier qu’une partie reste tenue par ses engagements, même si ceux-ci lui deviennent défavorables.
Deuxièmement, la question se pose de la préférence donnée à la survie du contrat, pour en forcer l’exécution, ou à la sortie facilitée du contrat, par la sanction pécuniaire de l’inexécution. Faut-il autoriser la résiliation unilatérale du contrat ? Quels moyens donner à l’exécution des obligations ?
Les arguments que je vous livre sont des arguments de principe. Mais il me semble aussi que des considérations pratiques militent pour rejeter la demande d’habilitation et privilégier la voie d’un projet de loi.
Tout d’abord, la perspective d’une ratification n’est pas une garantie suffisante. Outre qu’elle n’intervient pas toujours, en dépit des engagements pris – je n’ai pas de raisons de douter de votre parole, madame la garde des sceaux, mais je parle de façon générale –, il n’est pratiquement pas possible au législateur, lors de la ratification, de remettre en cause les grands équilibres du texte, puisque l’ordonnance est déjà en vigueur depuis sa publication, ce qui cantonne son examen à un ajustement limité.
Ensuite, la voie de l’ordonnance n’est pas forcément plus rapide que celle du projet de loi ou de la proposition de loi. La réforme du droit des successions, comparable, par sa dimension, à celle du droit des obligations, en fournit un exemple parlant. Il s’est seulement écoulé un an entre le dépôt du texte par le Gouvernement, le 29 juin 2005, et son adoption définitive, le 13 juin 2006. Seuls deux jours de séance dans chaque chambre ont été nécessaires à son adoption en première lecture, puis une nuit à l’Assemblée nationale pour l’adoption définitive. À l’inverse, sept mois se sont écoulés entre l’habilitation du Gouvernement à procéder à la réforme de la filiation et la publication de l’ordonnance, le 5 juillet 2005, et plus d’un an pour l’examen du projet de loi de ratification, adopté le 6 janvier 2009. Le délai important entre le dépôt du projet de loi de ratification, le 22 septembre 2005, et la ratification elle-même fait que cette réforme aura attendu plus de quatre ans pour être définitivement fixée.
Enfin, j’ajoute que le choix du Gouvernement de passer par ordonnances conduit à une incohérence : il exclut du champ de la réforme le droit de la responsabilité civile, qu’il entend soumettre plus tard au Parlement. Ce faisant, le Gouvernement se contraint à faire la réforme du droit des contrats sans faire celle de la responsabilité contractuelle. Cela est d’autant plus dommage que l’avant-projet que le Gouvernement a eu l’amabilité de me communiquer est solide et pourrait faire l’objet d’une discussion parlementaire dans un avenir proche. Je ne doute pas que la commission des lois du Sénat se mobiliserait pour un tel projet.
Convaincue de la nécessité de soumettre ce projet à une discussion publique éclairée, que seul permet l’examen parlementaire, la commission a donc supprimé l’habilitation demandée par le Gouvernement. Loin de signifier le refus de cette réforme, ce vote est un appel insistant au Gouvernement pour qu’il inscrive rapidement ce texte à l’ordre du jour du Sénat, afin que celui-ci reçoive l’écho que sa qualité mérite.
Je souhaite, mes chers collègues, appeler votre attention sur une deuxième question. Elle a trait à l’article 11 relatif aux professions autorisées à donner des consultations juridiques et concerne plus particulièrement la pratique du démarchage en matière juridique, que j’ai souhaité soumettre solennellement à l’examen parlementaire. En effet, la question du démarchage juridique a fait l’objet d’un examen précipité dans le cadre du projet de loi relatif à la consommation, où il avait été réglé par un amendement tardif déposé par le Gouvernement en première lecture. Cela n’avait pas permis à la commission des lois, qui n’était pas saisie au fond du texte, d’en connaître. Les débats, rapides sur ce point au Sénat comme à l’Assemblée nationale, attestent de cette précipitation. Je souligne ce point de procédure, parce qu’il me semble qu’il aurait été opportun et légitime qu’une telle question fasse l’objet d’un débat plus ouvert.
Tout vient d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne en date du 5 avril 2011, qui a déclaré contraires à la directive Services les interdictions absolues de démarchage en matière juridique. Le Gouvernement a souhaité régler cette question rapidement, par le biais du projet de loi relatif à la consommation. Toutefois, la rédaction retenue fait débat, puisqu’elle réserve aux seuls avocats la possibilité de réaliser des sollicitations personnalisées, interdisant ainsi aux autres professionnels du droit, exerçant à titre principal ou accessoire, de procéder aux mêmes démarchages. Ainsi, demain, un avocat pourra démarcher un client pour lui proposer de rédiger un contrat de bail, mais un administrateur de biens, un agent immobilier ou un géomètre-expert ne pourra faire de même, alors que ces professionnels sont par ailleurs autorisés à rédiger de tels actes à titre accessoire.
Le dispositif adopté dans le projet de loi relatif à la consommation pourrait donc être perçu comme constitutif d’une rupture caractérisée d’égalité entre les professions autorisées à pratiquer le droit. Le risque d’inconstitutionnalité aurait dû être examiné, comme celui de contrariété avec le droit communautaire. À cet égard, on ne peut que regretter que les autres professionnels du droit n’aient pas été associés à la rédaction d’un dispositif qui, pourtant, les concernait par le monopole qu’il instituait.
Ce n’est pas la seule insuffisance du dispositif précédemment adopté, qui soustrait aussi les avocats à toute répression pénale, même en cas de démarchage abusif, en ne les soumettant plus qu’à leur discipline ordinale. En outre, il renvoie à un décret le soin de préciser l’encadrement nécessaire.
Or, pour contenir les excès possibles, il apparaît souhaitable de n’autoriser que le démarchage par voie écrite, afin de permettre aux personnes sollicitées de se constituer aisément une preuve de la démarche effectuée par le professionnel. De la même manière, il serait pertinent de renvoyer aux principes essentiels d’exercice de ce métier, pour garantir que le démarchage se déroulera dans le respect de la déontologie de cette profession.
Convaincue de la nécessité d’ouvrir le débat, la commission des lois a adopté un premier amendement, intégré au texte qui vous est soumis, posant directement la question du monopole. Il s’agit de remédier aux défauts que je vous ai présentés et d’ouvrir un débat public sur ces questions, que l’examen précipité du mois de septembre a trop vite refermé.
Dès le début, j’ai tenu à associer à mes travaux la profession d’avocat, dont j’ai reçu les représentants à trois reprises. Deux amendements très inspirés de leurs positions ont été déposés par plusieurs de nos collègues ; ils reconnaissent d’ailleurs la justesse de certains points, comme le fait d’inscrire dans la loi la limitation du démarchage aux seules sollicitations effectuées par voie écrite ou la référence aux principes essentiels d’exercice de la profession. La commission a adopté un sous-amendement à ces amendements, et elle vous proposera de les voter ainsi sous-amendés.
Au bénéfice de ces observations liminaires et sous réserve de l’adoption de ses amendements, la commission vous propose d’adopter le présent texte, pertinent et utile, dans les limites que nous lui avons fixées.