Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 23 janvier 2014 à 9h00
Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a introduit dans notre législation le mécanisme du « plaider-coupable » inspiré du droit américain, afin de diminuer la durée du délai de traitement des affaires correctionnelles. La gauche avait alors contesté cette procédure et s’y était opposée fermement.

De notre côté, nous avons déposé une proposition de loi tendant à la suppression de cette procédure, proposition dont l’exposé des motifs faisait valoir les nombreux griefs que nous avons à l’encontre du CRPC, lesquels figurent d’ailleurs dans l’exposé des motifs du texte dont nous discutons aujourd’hui ; le rapport en fait également état.

D’une part, il est reproché à cette procédure de laisser de trop larges pouvoirs au procureur, un magistrat dont l’indépendance est aujourd’hui plus que jamais contestée, et par ailleurs d’aller à l’encontre des grands principes de la procédure pénale, en particulier celui de la séparation de l’autorité de poursuite et de l’autorité de jugement.

D’autre part, la place donnée à l’aveu sollicité grâce à la menace d’une sanction pénale plus lourde est dénoncée. La détermination de la peine constitue une sorte de « marchandage » entre le parquet et la personne qui reconnaît sa culpabilité en présence d’un avocat, lequel n’a finalement que très peu de marge de manœuvre. En effet, ce dernier sait parfaitement que, si la peine proposée par le parquet est refusée par son client, la peine prononcée à l’issue d’un procès classique pourra être plus lourde.

Si l’article 495-8, alinéa 4, du code de procédure pénale semble constituer un rempart, dans la mesure où il prévoit que la personne ne peut renoncer à son droit d’être assistée par un avocat, on se rend cependant compte, dans la pratique, que celui-ci a souvent un rôle de faire-valoir et qu’il fait littéralement figure d’alibi, comme le dénoncent de nombreux membres de la profession.

Les avocats dénoncent également le rôle très inconfortable dans lequel ils se retrouvent, puisqu’ils ont très peu de temps pour décider d’un accord avec leurs clients.

Il est essentiel pour un avocat, lorsque son client est poursuivi pour un comportement qui ne correspond pas, en réalité, à une qualification juridique, de disposer d’un temps suffisant pour préparer un dossier solide et obtenir éventuellement une relaxe. On comprend alors l’intérêt d’un vrai procès.

Un autre intérêt du procès est qu’il a pour effet, contrairement à la procédure de CRPC, de porter à la connaissance du public les faits précis qui ont conduit au prononcé d’une peine à leur mesure. Or, vous le savez, la procédure de CRPC ne permet pas la publicité autour de la qualification juridique desdits faits. C’est d’ailleurs parfois un avantage pour certains justiciables qui ne souhaitent pas que leurs actes donnent lieu à une telle publicité.

Enfin, la CRPC crée une inégalité entre les justiciables, dans la mesure où elle a pour objet la gestion des flux des dossiers. Le recours à ladite procédure varie donc en fonction de l’engorgement des juridictions.

La commission a fait un travail sérieux et intéressant en adoptant, pour répondre à certaines de ces critiques, plusieurs amendements qui tendent à mieux encadrer le recours à cette procédure.

En particulier, afin d’atténuer la pression pesant sur la personne mise en cause, elle a adopté deux amendements.

Le premier rend caduque la convocation concomitante en audience correctionnelle lorsque la personne mise en cause s’est dûment présentée devant le procureur.

Le second supprime la possibilité de mettre en œuvre la CRPC à la suite d’un déferrement par les services enquêteurs, ce qui est intéressant, car la possibilité de proposer une CRPC même en cas de déferrement conduit à des dérives, comme celle de faire accepter par un prévenu l’exécution immédiate de sa peine alors qu’il aurait pu bénéficier d’un aménagement de peine.

En effet, en cas de déferrement, la personne poursuivie est retenue à l’issue de sa garde à vue pour être présentée au procureur de la République. Elle est donc particulièrement fragilisée par les vingt-quatre ou quarante-huit heures de garde à vue qu’elle vient de connaître, et par l’incertitude de son sort à l’issue de cette dernière.

Certes, la procédure de garde à vue a été réformée et les personnes peuvent aujourd’hui bénéficier de l’assistance d’un avocat tout au long de son déroulement. Mais nous savons tous que ces améliorations ne sont pas suffisantes pour effacer la privation de liberté pendant un ou deux jours et les conditions de cette privation, et il est à craindre que le prévenu ne reconnaisse, par lassitude, des faits qu’il n’a pas commis, ou qu’il ne soit pas en état de mesurer l’incidence de son acceptation d’une telle peine. L’interdiction d’utiliser la CRPC en cas de déferrement nous paraît donc indispensable.

Ensuite, afin de limiter les atteintes au principe de la séparation entre les fonctions de poursuite et de jugement, la commission a précisé le pouvoir du président du tribunal d’accorder ou de refuser l’homologation en inscrivant dans la loi les réserves d’interprétation faites par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004. Néanmoins, cette amélioration notable n’enlèverait rien au fait que, dans cette procédure, nous assistons à un déplacement de la décision relative à la peine : celle-ci n’est plus laissée à l’appréciation du magistrat du siège, indépendant et impartial, mais est déterminée en pratique par la partie poursuivante, le ministère public.

Par ailleurs, la critique majeure qui demeure est que cette procédure, même améliorée, reste conçue comme une variable d’ajustement – je l’ai déjà dit et cela a été rappelé – de la gestion des flux, permettant au parquet d’opter pour telle ou telle procédure en fonction de l’encombrement de la juridiction. Ainsi, certains syndicats de magistrats que nous avons auditionnés déplorent le fait que l’utilisation de cette procédure ne se fait plus sur le seul critère de son adaptation à la gravité d’un fait et/ou de la personnalité de son auteur.

Dans la présentation du projet de loi de finances pour 2014, le ministère de la justice envisage même un recours accru à cette procédure et estime qu’il subsiste des leviers d’action susceptibles d’entraîner des améliorations en termes de traitement.

Mes chers collègues, nous voterons ce texte compte tenu du travail réalisé par M. le rapporteur ; je tiens néanmoins à préciser que, s’agissant de la gestion des flux au sein des juridictions, d’autres solutions doivent être envisagées, plutôt que le recours accru à cette procédure. Outre bien sûr la nécessité d’accorder plus de moyens à la justice, la mise en œuvre d’une politique de décroissance pénale par la dépénalisation de certains contentieux – une partie du contentieux routier par exemple, comme le rappelait Mme la garde des sceaux – pourrait être envisagée. La réforme pénale sera l’occasion d’étudier de manière globale ces solutions. Dans l’attente de celles-ci, nous voterons ce texte. §

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