J'exprime ma gratitude à Mme Emery-Dumas pour son rapport intelligent, mesuré et descriptif.
A l'interrogation de Mme Procaccia sur la légitimité de la commission à s'exprimer sur ce texte, je réponds qu'il s'agit d'un vrai débat politique. Si on considère que l'emploi procède des entreprises, alors l'examen du texte relève de la commission des affaires économiques. Si on considère que l'emploi se décrète en dehors de l'entreprise, alors nous sommes compétents. Il y a là un vrai et beau débat sur l'organisation de l'économie.
Ce qui me frappe dans la décision de la majorité de reprendre cette proposition du candidat Hollande par voie de proposition de loi, c'est que cette idée, du point de vue même du Président de la République, est obsolète : il a renoncé à cette orientation. Il ne veut pas assumer par un projet de loi gouvernemental autre chose que ce qui a été décidé dans l'article 1233-90-1 de la loi issue de l'ANI de 2013 et il renvoie à sa majorité parlementaire la responsabilité de défendre un texte auquel il ne croit pas. Il a raison de ne pas y croire. Au moment où il découvre - véritable chemin de Damas - que l'emploi vient de l'entreprise, il confie à sa majorité parlementaire le soin de porter un texte archaïque qui ne correspond ni à la réalité, ni à ses convictions.
Vous avez dit, madame la rapporteure, que les cas étaient exceptionnels et vous avez raison de le dire. Dans cette salle, nous sommes quatre sénateurs lorrains, mon collègue Todeschini, Mme Printz, notre ami Husson et moi-même, deux à gauche, deux à droite. Nous avons vécu directement l'affaire de Florange. Nous nous rappelons les promesses du Président de la République, nous les regardions avec sympathie et s'il avait été capable de régler Florange, nous aurions reconnu cette réussite. Or le Gouvernement a choisi de ne pas donner suite à une reprise possible, considérant qu'une décision ponctuelle serait désastreuse en termes d'image pour l'ensemble de l'économie française. Obliger Arcelor-Mittal à se plier à une demande locale, d'ailleurs assez bien construite, aurait entraîné un effet négatif sur tous les projets des investisseurs étrangers et aurait entretenu chez les salariés des entreprises en difficulté l'illusion que tout était possible. Le Gouvernement, Jean-Marc Ayrault en tête, a décidé d'abandonner le projet que M. Montebourg avait préparé, parce que traiter en force quelque chose d'exceptionnel aurait été désastreux.
Pourquoi diable le Premier ministre change-t-il d'avis et demande-t-il d'adopter un texte dont les effets d'affichage seront négatifs sur les investisseurs étrangers et risque d'entretenir des illusions ? Nous avons tous des contacts permanents avec des salariés d'entreprises en difficulté. Le premier devoir d'un responsable envers un salarié est de ne pas lui mentir, de ne pas lui laisser croire que tout est possible. Ce texte de loi a un effet d'affichage auquel le Président de la République a renoncé et auquel le Premier ministre avait déjà renoncé, lorsqu'en janvier 2013 il avait décidé d'abandonner le projet de M. Montebourg.
La loi est à peu près inapplicable. En effet, l'Etat lui-même est acteur de la fermeture. Dans de nombreux secteurs d'activité, l'Etat organise le repli d'activités en apparence rentables, mais en réalité déséquilibrées, car ne vivant que de subventions. J'ai, comme ministre de l'industrie, fermé des mines de charbon qui appartenaient à l'Etat. J'ai participé à la restructuration de l'industrie de la fonderie avec des entreprises qui pouvaient survivre, mais dont la rentabilité était impossible au regard des normes environnementales à venir. Des décisions politiques absurdes en matière d'économie d'énergie aboutissent à ralentir des filières qui pourraient se développer et à en encourager d'autres que l'on fermera dans quelques années. L'Etat est acteur d'un volontarisme économique qu'il ne peut ensuite plus assumer. Il sera en difficulté lorsqu'il devra appliquer votre texte.
Qu'est-ce que la rentabilité ? C'est un sujet qui prête en permanence à polémique. Je vis dans mon département le cas d'un fabricant de câble d'acier, dans l'industrie du pneumatique, qui n'est pas intégré. Il serait rentable s'il l'était. C'est le problème de tous les équipementiers. Devant l'ambiguïté, les juges seront paralysés, prendront des décisions incertaines, et décourageront les investisseurs tandis qu'on aura entretenu pendant quelques mois l'illusion pour les salariés qu'un avenir est possible.
L'économie réelle ? Une machine sans client est un tas de ferraille. Un client sans machine n'est pas plus intéressant, je suis d'accord. Mais, comme nous avons ouvert les frontières, s'il y a des clients, il y aura toujours des machines pour les servir, l'inverse n'est pas vrai. Il n'y a pas de machines sans financement, pas de projets sans investissement en amont. Produire exige des capitaux considérables. Lorsque j'ai commencé ma carrière, au siècle dernier, un emploi industriel consommait 20 à 30 000 euros de capital, dans le meuble ou la confection. Aujourd'hui, en dessous de 300 à 500 000 euros par salarié, dans la mécanique, vous ne pouvez plus créer d'emploi. Il faut des financements et des capitaux. L'économie financière fait partie du monde de l'économie à part entière. Ce n'est pas un monde fictif. Certes, il y a des spéculateurs et des joueurs, mais c'est un phénomène marginal. En revanche, il n'y a pas d'emploi sans investissement, pas d'investissement sans capitaux, pas de capitaux sans bénéfices. L'économie réelle intègre les machines, les clients et les capitaux.
Voilà la raison pour laquelle j'ai eu beaucoup de plaisir à ce que la commission des affaires sociales soit saisie. Nous sommes au coeur d'un débat de société et notre métier à nous autres, hommes et femmes politiques, est de définir notre conception de la société.