Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’associer au propos qui va suivre mes collègues du groupe UDI-UC, et en particulier Catherine Morin-Desailly, passionnée par ces thèmes culturels.
Les vingt dernières années ont été marquées par des mouvements de flux et de reflux au sein de l’exploitation cinématographique française, aussi bien en termes d’ouvertures et de fermetures de salles qu’en termes de fréquentation.
Nous le savons tous, l’apparition des grands complexes multisalles au début des années 1990 est le principal élément venant éclairer ce phénomène. De 22 multiplexes dénombrés par le CNC en 1996, on est passé à 176 en 2011, soit une dizaine de plus chaque année en moyenne. Par ailleurs, 36 projets d’implantation de multiplexes ont été déposés devant les commissions départementales d’aménagement cinématographique en 2013, un record inégalé depuis 2001.
Si les implantations massives ont permis au parc en salles de se redéployer et ont favorisé une hausse de la fréquentation, ce processus s’est fait aux dépens d’une grande partie de l’exploitation cinématographique déjà en place, en particulier dans les moyennes et petites villes.
Dans ce contexte, le parc indépendant dit d’art et d’essai a réussi jusqu’alors à se maintenir grâce à son engagement dans un processus d’opposition à l’uniformisation, qui passe par une programmation particulière et une activité d’animation intense – notamment en direction du jeune public – soutenues par les instances française et européenne, ainsi que par la présence d’un public souvent très fidèle. Le goût de types de cinématographies donnés, le respect de certains principes – voir les films en version originale, par exemple – ou le sentiment de bien-être engendré par un lieu font que la plupart de ces spectateurs restent attachés à « leur » établissement.
Pendant quelque temps, l’avenir de l’exploitation cinématographique a donc semblé pouvoir se dessiner sur la base de ce duopole, avec, d’un côté, les grands complexes cinématographiques commerciaux et, de l’autre, les salles indépendantes développant des politiques d’éducation à l’image.
Mais aujourd’hui comment appréhende-t-on l’équilibre entre les deux types d’établissements ? Je défendrai ici trois objectifs.
Le premier objectif est l’éducation culturelle. Il est plutôt de l’apanage des salles indépendantes d’apporter un accompagnement plus précis à l’éducation par l’image, notamment grâce aux dispositifs « École au cinéma », « Collège au cinéma », et « Lycéens et apprentis au cinéma ».
Ensuite, le deuxième objectif, – il importe que le Sénat y soit sensible – c’est l’aménagement équilibré du territoire. La plupart du temps, les salles d’art et d’essai sont implantées au cœur des petites ou moyennes villes. Elles sont un élément structurant de l’animation culturelle et sociale, impliquées et en parfaite adéquation avec les désirs des associations, des structures ou des politiques culturelles de leur cité.
Enfin, – c’est le troisième objectif – pour un développement harmonieux à côté des multiplexes, qui répondent à un besoin et témoignent du dynamisme du cinéma, il faut préserver les artisans du cinéma, les indépendants, dont le parti pris et la passion du métier assurent une diversité culturelle à notre territoire.
Tous ces points remplissent, d’ailleurs, les critères d’un développement durable !
Ainsi, dans la continuité des politiques publiques menées depuis cinquante ans en matière de préservation de la diversité, une nouvelle politique culturelle apte à garantir la diversité des lieux de diffusion des œuvres doit être engagée.
Cette politique devrait notamment redéfinir les modalités de la régulation de l’implantation de nouvelles salles. Les commissions départementales d’aménagement cinématographique intéressées prendraient alors en considération, dans la procédure d’autorisation des établissements nouveaux, leur effet sur les cinémas existants, et particulièrement sur les cinémas qui jouent, grâce à la politique d’art et d’essai, un rôle d’intérêt général.
Cette politique devrait également renforcer la politique de promotion de la diversité que représente le classement art et essai, notamment par une clarification des modalités de calcul et des aides apportées aux salles. Ces financements devraient permettre une certaine péréquation horizontale et prendre réellement en compte la programmation et l’animation comme principaux critères d’évaluation.
Par ailleurs, s’il faut, d’une part, favoriser l’accès aux films pour les cinémas d’art et d’essai, il est nécessaire, d’autre part, de respecter les accords conventionnels qui encadrent la diffusion. En effet, les cinémas d’art et d’essai indépendants doivent avoir accès aux copies des films plus facilement. Certaines salles sont pénalisées par le circuit de distribution actuel. En outre, les accords entre les indépendants et les géants nationaux doivent être confortés. Il faut affirmer cet équilibre.
Ainsi, la multidiffusion d’un même film au sein des multiplexes doit être encadrée. Par exemple, la pratique dite du « cealsing » – pratique qui consiste à diffuser un même film à partir d’une seule copie sur plusieurs écrans en simultané – ne doit être qu’exceptionnelle.
Une politique ambitieuse en la matière devrait se saisir d’un autre sujet fondamental : le renouvellement du matériel numérique. Si des dispositifs et des financements ont pu être élaborés pour l’équipement des salles, rien n’a été prévu concernant le renouvellement du matériel, alors que l’obsolescence de ces technologies est très rapide.
Il m’apparaît donc comme urgent de réfléchir collectivement, puissance publique et organisations professionnelles, aux modalités d’une aide pérenne pour la mutation numérique de ces salles. Sans cela, nous risquons de voir le parc de salles se scinder en deux avec, d’un côté, les salles qui seront toujours équipées des nouvelles technologies, les technologies dernier cri, et, de l’autre, les salles ne pouvant pas, dans certains cas, diffuser certains films en raison d’un équipement vétuste.
Enfin, madame la ministre, de façon plus large, et même si je sais que c’est difficile d’un point de vue financier, l’État devrait pouvoir réfléchir, dans le cadre de ses compétences, à la mise en place d’aides spécifiques à la diffusion culturelle cinématographique, en concertation avec les collectivités territoriales volontaires.
Et, comme vous le savez, le président du Centre national du cinéma et de l’image animée, ou CNC, a chargé notre ancien collègue Serge Lagauche d’une mission d’évaluation de la nouvelle procédure d’autorisation et de ses impacts au regard de la diversité de l’offre et de l’aménagement du territoire. Le rapport, qui doit être rendu dans les prochains jours, fait état des auditions menées. Toutes concluent au caractère indispensable du maintien de la procédure d’autorisation préalable d’aménagement cinématographique.
Mes chers collègues, le cinéma est un art, et pas seulement une industrie ! La reconnaissance par les pouvoirs publics d’une telle affirmation implique que des politiques culturelles claires et efficaces protègent cette industrie artistique toute particulière.
Car, ne l’oublions pas, au-delà même du rôle de diffusion culturelle, de diffusion des arts, des cultures et des savoirs, les salles de cinéma indépendantes sont des lieux de débats et d’échanges dans nos villes, des lieux de partage entre nos concitoyens, que nous avons le devoir de défendre et de promouvoir.
La situation de concurrence frontale et profondément inégale que subissent les cinémas indépendants trouvera-t-elle une issue par l’organisation d’une énième table ronde sous l’égide du ministère ou par le retour d’une politique culturelle à la ligne claire et précise ?
Je souhaite que l’ambition politique soit au rendez-vous, au service du cinéma français, de l’exception culturelle et de la préservation de l’importance que nous avons de tout temps prêtée à la culture.