Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 6 février 2014 à 10h00
Débat sur l'évolution des péréquations communale intercommunale et départementale

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre collègue Jacques Mézard ayant largement traité du cas des départements, je me limiterai à la question des communes et des intercommunalités.

Pour nous consoler d’une nouvelle réduction, inscrite dans la loi de finances de cette année, des dotations de l’État au bloc communal – moins 588 millions d’euros pour les communes et moins 252 millions d’euros pour les intercommunalités, soit une baisse de 840 millions d’euros en tout –, on nous demande de nous réjouir des progrès réalisés en matière de péréquation, c’est-à-dire, sous-entendu, en matière de justice.

Certes, en la matière, comme notre collègue Yannick Botrel l’a rappelé, le progrès est bien réel, qu’il s’agisse de la péréquation verticale – la DSR est accrue de 39 millions d’euros, la DSU de 60 millions d’euros, la DNP de 10 millions d’euros, soit une hausse de 109 millions d’euros – ou de la péréquation horizontale – le FPIC est porté à 570 millions d’euros, soit une augmentation de 360 millions d’euros, et le fonds de solidarité des communes de la région d’Ile-de-France, ou FSRIF, s’accroît de20 millions d’euros.

Tout cela est très bien, mais en quoi plus de péréquation compense-t-elle moins de ressources ? Les pauvres n’en continuent pas moins à s’appauvrir, et si c’est moins vite que les autres, le résultat est pire pour eux.

Du reste, qu’en est-il de cette fameuse péréquation ? Premier constat : le montant des sommes en jeu est faible. La montée en puissance du FPIC est prévue jusqu’en 2016, année au cours de laquelle il doit atteindre 1 milliard d’euros, représentant 2 % des ressources fiscales des collectivités, ce qui reste pour le moins modeste. En 2014, avec 570 millions d’euros, cela devrait représenter à peu près 1 % des ressources fiscales.

Je ferai deux constats.

Tout d’abord, au titre de la péréquation verticale, le montant total des trois dotations s’élève à 3, 3 milliards d’euros, c’est-à-dire 14, 4 % de la DGF du bloc communal et 13, 6 % des transferts de l’État si l’on y ajoute les crédits aux communes de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Ces sommes ne sont pas négligeables, mais elles restent modestes.

Par ailleurs – c’est le second constat –, le mode de construction de la DGF défavorise structurellement les petites collectivités.

Au sein de la dotation forfaitaire, deux dotations, directement pour la dotation de base – 6, 776 milliards d’euros en 2013, du même niveau qu’en 2014 – et indirectement pour la dotation de garantie – 4, 796 milliards d’euros –, sont fonction de la population, soit au total 11, 572 milliards d’euros, à comparer à la dotation superficiaire, partie elle aussi de la dotation forfaitaire, censée favoriser les communes rurales – 225 millions d’euros. Cette dotation superficiaire est intéressante, décorative, mais elle ne change pas grand-chose.

Or – et c’est là le principal problème –, tous les habitants ne se valent pas dans le calcul de la dotation de base: ceux des communes de moins de 100 habitants pèsent 64, 46 euros et ceux des communes de 200 000 habitants et plus, 128, 93 euros, soit le double.

J’ai pris le risque de tenter d’évaluer, avec les chiffres de 2013, le montant de la perte pour les communes de 1 à 1 000 habitants par rapport à un système qui attribuerait une valeur uniforme aux habitants quelle que soit la taille des communes.

La population de ces communes représente près de 15 % de la population française, comme les communes de plus de 100 000 habitants. Si la même dotation leur avait été attribuée, elles auraient perçu autour de 1 milliard d’euros de dotation de base. Avec un coefficient moyen de 68, 2 euros, cela représente environ 650 millions d’euros, soit un manque à gagner de 350 millions d’euros.

Je suis persuadé qu’au final l’aide accordée aux communes de moins de 5 000 habitants au titre de la DSR – 969 millions d’euros en 2014 – est largement neutralisée par l’usage de ces coefficients logarithmiques.

La raison en est, nous dit-on, que les grandes collectivités ont des charges de centralité, comme si les petites communes n’avaient pas, elles, des charges de ruralité liées, d’une part, à l’entretien de l’espace – déneigement, entretien des routes et des forêts –, à l’extension des réseaux, à la nécessité de suppléer le désengagement du service public – télévision numérique terrestre, téléphone, agences postales –, et, d’autre part, à l’éloignement – coût des transports – et à la créativité ministérielle, comme l’aménagement du temps de l’enfant, l’accueil des élèves en cas de grève, etc.

La population de ces communes, largement d’origine urbaine, souvent peu argentée, demande pourtant les mêmes services que là d’où elles viennent sans pouvoir en payer le prix. Comment justifier que ces communes soient pénalisées ? En effet, au moment où la DGF a été créée, ces communes étaient soumises à des charges correspondant à des communautés agricoles qu’elles ne sont plus aujourd’hui. Cet élément me semble d’autant plus pertinent qu’un certain nombre de « charges de centralité » citadines ressemblent fort à des charges de vanité.

S’agissant de la dotation d’intercommunalité, on constate la même discrimination, car le poids des habitants varie en fonction de la catégorie d’EPCI auquel ils appartiennent, cette typologie étant fortement corrélée à la taille de la personne morale : 24, 48 euros par habitant pour les communautés de communes à contribution économique transférée, 34, 06 euros pour les communautés d’agglomérations, 60 euros pour les communautés urbaines et les métropoles, ces collectivités d’où ruisselle la richesse vers les territoires à charge. En l’occurrence, on a l’impression que c’est plutôt l’inverse.

Troisième constat, et cerise sur le gâteau : des dispositifs de péréquation sont soigneusement bridés pour éviter qu’ils ne soient trop efficaces.

Il en est ainsi du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC. Là encore, la magie du coefficient logarithmique est venue modérer l’ardeur péréquatrice du législateur.

Plutôt que de comparer les ressources par habitant des ensembles intercommunaux à une moyenne nationale pour la désignation des contributeurs et des bénéficiaires, on a pondéré la population en fonction de la taille des collectivités, selon un coefficient de 1 – 0 à 7 500 habitants – à 2 – plus de 500 000 habitants.

Ainsi, une collectivité de 95 000 habitants, par la magie d’un coefficient de 1, 6, se trouve dotée d’une population de 152 000 habitants, ce qui permet de minorer son PFIA, ou potentiel financier intercommunal agrégé, de 38%.

Le dispositif a été perfectionné par l’introduction plus tardive du critère de l’effort fiscal, généralement plus élevé dans les grandes collectivités que dans les petites, d’ailleurs en contradiction avec les appels à la modération fiscale du Gouvernement ! Mais la contradiction, on le sait, c’est la vie !

Les résultats qui en découlent sont étranges.

Je citerai un exemple. En 2013, le solde des prélèvements et reversions des intercommunalités du département des Alpes-de-Haute-Provence, l’un des départements les plus pauvres de France, a été négatif de 850 000 euros. Dans le même temps, la contribution de la métropole niçoise à la solidarité aura été de 689 512 euros !

Madame la ministre, personne ne nie la difficulté de partager les ressources – et c’est particulièrement vrai en période de disette –, mais que l’on s’abstienne au moins de fausser le débat par de telles manipulations ; surtout, que l’on évite d’aggraver les inégalités de traitement, inégalités flagrantes entre collectivités, notamment entre les petites et les grandes.

Puisque la richesse est dans les grandes collectivités, pourquoi leur réserver un tel traitement de faveur ? C’est peut-être parce que la réalité est sensiblement différente de ce qu’on entend nous laisser croire. En particulier – mais nous aurons le temps d’en rediscuter lorsque le texte viendra en discussion –, cette idée selon laquelle la France doit se rebâtir autour des métropoles posera plus de problèmes qu’elle n’en résoudra. §

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