C’est la raison pour laquelle vous avez déposé la présente proposition de loi dont, à mon sens, le principal mérite est de contribuer au débat sur les moyens d’améliorer la prise en charge des mineurs isolés étrangers.
En revanche, je trouve fort dommage de ne pas attendre les résultats de l’évaluation du dispositif par le comité de suivi mis en place par le protocole, ainsi que les conclusions du rapport demandé à l’Inspection générale des services judiciaires, à l’Inspection générale des affaires sociales et à l’Inspection générale de l’administration, qui devrait être remis au Gouvernement avant le 15 avril prochain, ce que Mme la garde des sceaux vient de confirmer.
Enfin, je déplore sincèrement que cette proposition de loi, pas plus que la circulaire d’ailleurs, ne traite de la question ultramarine, et principalement de celle de deux départements, l’un que vous connaissez bien, madame la garde des sceaux, puisqu’il s’agit de la Guyane, et l’autre, cher à mon cœur, Mayotte.
La Guyane et Mayotte sont confrontées à une immigration clandestine intense et difficilement maîtrisable, compte tenu de la longueur des frontières communes avec le Suriname et le Brésil dans un cas, et de l’ouverture de l’ensemble de ses frontières sur la mer dans l’autre cas.
Dans ces deux départements, la problématique des mineurs étrangers isolés dépasse largement la politique d’aide sociale à l’enfance relevant des conseils généraux ; elle s’inscrit totalement dans la politique d’immigration de l’État, à qui il revient, dans ce cas précis, d’assumer la prise en charge de ces enfants, au moins temporairement.
Cette proposition est justifiée par ce contexte géographique, qui rend irréalisable une quelconque péréquation. Elle a par ailleurs été reprise, en ce qui concerne mon département, par les membres de la mission sénatoriale conduite par Jean-Pierre Sueur, qui s’est rendue sur place en mars 2012, et par le Défenseur des droits.
De plus, comme à Mayotte, il n’existe pas en Guyane de réelle prise en charge de ces enfants. L’extrême fragilité financière des collectivités ne permet pas d’assumer correctement cette compétence.
Mayotte compte, à elle seule, environ 3 000 mineurs isolés, si l’on se réfère à la fourchette basse, dont 500 en grande fragilité car absolument livrés à eux-mêmes. Selon les estimations, 87 % d’entre eux viennent des Comores, et ont été abandonnés sur le territoire après que leurs parents ont été reconduits à la frontière.
Malgré les incroyables retards qu’elle subit, notre île, aux yeux des clandestins, demeure attractive.
Il faut dire que le produit intérieur brut par habitant y est huit fois supérieur à celui des Comores ! Malgré cela, la vie qui attend ces jeunes est le plus souvent faite d’errance, de misère, de délinquance ou de prostitution.
La problématique des mineurs isolés étrangers se déploie dans de nombreux champs relevant de la compétence de l’État, dans lesquels nous accusons des retards considérables et des manquements indignes de notre République.
C’est le cas de la scolarisation. Certains maires refusent d’inscrire ces enfants. Nous ne disposons déjà pas des moyens d’accueillir et de scolariser nos propres enfants dans des conditions décentes. Les solutions que nous inventons pour remédier à cette difficulté, comme le système de rotation ou les redoublements injustifiés, sont tout bonnement intolérables.
C’est également le cas de la santé. L’aide médicale de l’État, qui permet aux étrangers irréguliers de se faire soigner, n’existe pas à Mayotte. Cette charge sanitaire engendrée par l’immigration clandestine est lourde financièrement pour les infrastructures médicales déjà fragiles et dont la capacité d’accueil est insuffisante au regard des besoins de la population.
C’est le cas de la prévention de la délinquance. Mayotte connaît depuis quelque temps une forte hausse des cambriolages avec agressions qui sont attribués à ces jeunes.
C’est enfin le cas de la justice. Il n’existe pas à Mayotte d’établissements de placement éducatif d’urgence de type foyer de l’enfance ou maison d’enfants à caractère social permettant une mise à l’abri des mineurs pour les situations les plus extrêmes, ni de possibilité de placement au long court pour les mineurs abandonnés depuis plusieurs mois en dehors des familles d’accueil déjà surchargées du conseil général.
Je vous laisse donc imaginer le ressenti des Mahorais devant les initiatives, souvent louables, qui sont prises en faveur des étrangers. Leur colère est légitime et donne parfois lieu à des dérives, que nous ne pouvons pour autant laisser perdurer.
Si je salue la décision du conseil général de créer enfin un observatoire départemental de la petite enfance, force est de constater que la politique d’aide sociale à l’enfance, ou ASE, mise en œuvre par le département est réduite à sa portion congrue. L’ASE ne dispose que de trois assistantes sociales. Les soixante-dix-huit familles d’accueil hébergent parfois jusqu’à six enfants. Et le seul foyer de l’île, qui ne compte que sept places, est dédié non pas à la protection de l’enfance, mais à l’enfance délinquante.
L’accession de l’île au statut de région ultrapériphérique devrait permettre de présenter des projets concrets dans le domaine de la protection de l’enfance.
L’association Tama présentera, dans le cadre des crédits européens notamment, un projet global de protection de l’enfance et des mineurs isolés sur le territoire mahorais allant de la prise en charge d’urgence et au long court pour tous les mineurs en situation de danger de l’île au regroupement familial dans le pays d’origine pour les mineurs étrangers isolés lorsque cela est possible.
Pour conclure, notre gouvernement ne saurait se contenter de compter sur l’esprit civique des citoyens pour recueillir ces jeunes ou de s’en remettre exclusivement aux structures associatives, dont les moyens, vous en conviendrez, sont limités.
Un observatoire des mineurs isolés de Mayotte a été mis en place en 2010. On ne compte plus les rapports d’excellente qualité, toutes sensibilités politiques confondues, rendus sur ce sujet. Ils qualifient tous la situation de ces jeunes de « catastrophe sociale, économique et humanitaire considérable » et alertent sur la « véritable bombe à retardement » qu’ils représentent.
À Mayotte, la mèche a été allumée. L’heure est non plus à l’observation, mais à l’action.
C’est la raison pour laquelle je vous demande instamment de trouver une solution pérenne à ce problème majeur, madame la garde des sceaux. §