Monsieur le président, je vous remercie de votre accueil amical de voisin en quelque sorte. Je suis également très heureux de retrouver le Sénat dans les circonstances actuelles. Cela fait en effet dix ans que je n'exerçais plus de fonctions ministérielles.
Le texte que j'ai l'honneur de vous présenter, mesdames, messieurs les sénateurs, porte diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice.
Bien que formulée pour la première fois en 1977, la notion d'espace judiciaire européen reste encore à construire. En effet, si l'Europe est aujourd'hui bien avancée dans le domaine de la libre circulation des hommes, des biens et des services, il n'en va pas de même en matière policière et judiciaire.
Confrontée au développement de nouvelles formes de criminalité organisée transnationale, l'Union européenne tente d'y apporter des réponses au moyen, notamment, de directives et de décisions-cadres, qui requièrent une transposition en droit interne.
L'objectif majeur du projet de loi que j'ai l'honneur de défendre ici, après son adoption par l'Assemblée nationale, est de transposer dans notre droit quatre directives et décisions-cadres du Conseil de l'Union européenne.
L'article 1er a pour finalité de transposer la directive du 27 janvier 2003 visant à améliorer l'accès à la justice dans les affaires transfrontalières.
Ces dispositions ont pour objet de permettre à une personne, quelle que soit sa nationalité, dès lors qu'elle réside habituellement et régulièrement dans un Etat membre de l'Union, d'obtenir l'aide juridictionnelle dans un autre Etat membre dans lequel elle souhaite agir.
La demande d'aide juridictionnelle pourra concerner la résolution d'un litige civil ou commercial au stade précontentieux ou juridictionnel ou l'exécution d'une décision de justice.
Cette demande sera examinée selon les critères d'admission - ressources, bien-fondé - de l'Etat dans lequel siège la juridiction compétente sur le fond du litige.
Ainsi, un Français qui veut agir au Portugal, et souhaite obtenir l'aide juridictionnelle, adressera sa demande au ministère de la justice, qui la transmettra au Portugal, où elle sera examinée selon les critères portugais.
Réciproquement, la demande d'un Portugais sollicitant l'aide juridictionnelle pour introduire une action en France sera reçue par le ministère de la justice, puis instruite par le bureau d'aide juridictionnelle de la juridiction compétente, au regard des règles françaises.
L'article 2 du projet de loi a pour objet de transposer la décision-cadre du 6 décembre 2001 visant à prendre en compte les condamnations prononcées par un autre Etat membre en matière de faux monnayage au titre de la récidive.
Cet article constitue une véritable innovation juridique.
En effet, en l'état actuel de notre droit et selon la jurisprudence de la Cour de cassation, « seule une condamnation prononcée par une juridiction française peut constituer l'un des termes de la récidive ».
Le fait de reconnaître comme premier terme de la récidive une décision étrangère représente donc une avancée juridique importante.
En effet, si nous voulons une Europe judiciaire, les décisions prises par d'autres Etats membres de l'Union européenne doivent être prises en compte par les juridictions françaises.
La reconnaissance d'une telle récidive constitue le prolongement de l'initiative que nous avons engagée en 2003 avec l'Allemagne, l'Espagne et la Belgique, visant à faciliter et à accélérer la transmission des condamnations par l'interconnexion des casiers judiciaires nationaux des Etats membres, qui sera opérationnelle à la fin de l'année.
L'introduction de la récidive considérée dans le code pénal permettra ainsi de prendre en considération l'ensemble du passé pénal d'un délinquant, fût-il condamné à l'étranger, et constituera un nouveau pas vers la mise en place d'un casier judiciaire européen.
Les articles 3 et 4 du projet de loi visent à transposer la décision-cadre du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé.
Cette décision-cadre a pour objet de réprimer tous les faits de corruption, active ou passive, commis « dans le cadre d'activités professionnelles », de « personnes qui exercent une fonction de direction ou un travail, à quelque titre que ce soit, pour une entité du secteur privé, à but lucratif ou non lucratif ».
En l'état actuel, l'article L. 152-6 du code du travail ne réprime que la corruption des dirigeants ou des salariés qui se trouvent en situation de subordination hiérarchique vis-à-vis des employeurs, lorsqu'il s'agit d'un acte commis à l'insu et sans l'autorisation de ces derniers.
Le projet de loi élargit la définition de la corruption en rendant cette qualification applicable au-delà de la relation entre employeur et salarié et en supprimant son caractère secret.
Le texte tend également à harmoniser les sanctions, conformément aux conclusions du Conseil européen de Tampere, en obligeant les Etats membres à prévoir, d'une part, des peines maximales d'au moins un à trois ans d'emprisonnement et, d'autre part, la possibilité de prononcer à l'encontre des personnes physiques une mesure d'interdiction temporaire d'exercer certaines activités ou de diriger une entreprise.
Enfin, l'article 5 de cette décision-cadre fait obligation aux Etats membres de prévoir un régime de responsabilité des personnes morales.
Cet élargissement des incriminations de corruption, active et passive, au secteur privé permettra d'engager des poursuites pénales à l'encontre, par exemple, d'un dirigeant non salarié ou d'un consultant d'entreprise.
Dans un souci de coordination, l'article 4 du projet de loi vise à l'abrogation du chapitre du code du travail relatif à la corruption.
L'article 5 du projet de loi a pour objet de transposer la décision-cadre du 22 juillet 2003 relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve.
L'objet principal de cette décision-cadre est de fixer les règles selon lesquelles un Etat membre de l'Union européenne reconnaît et exécute sur son territoire une décision de gel émise par une autorité judiciaire d'un autre Etat membre de l'Union dans le cadre d'une procédure pénale.
Cette décision-cadre constitue une innovation majeure en matière d'entraide judiciaire dans la mesure où elle est fondée sur le principe d'une transmission directe de la décision de gel de juridiction à juridiction.
L'article 5 précité tend, à cet effet, à insérer une section 5 dans le chapitre Il du titre X du livre IV du code de procédure pénale.
Les dispositions générales regroupent les règles relatives aux conditions de fond et de forme d'une décision de gel de biens ou d'éléments de preuve, émises par les autorités judiciaires françaises ou par celles des autres Etats membres de l'Union européenne.
Les dispositions relatives à l'émission d'une décision de gel par les autorités judiciaires françaises sont insérées dans les articles 696-9-7 à 696-9-9 du code de procédure pénale.
Le droit actuel prévoit que les autorités judiciaires compétentes pour ordonner une saisie de biens ou d'éléments de preuve se situant sur le territoire français sont, selon les cas, le procureur de la République, le juge d'instruction, le juge des libertés et de la détention et les juridictions de jugement.
Le projet de loi confie donc à ces mêmes autorités le soin de décider du gel de biens ou d'éléments de preuve qui se trouvent sur le territoire d'un autre Etat membre de l'Union européenne, dès lors qu'elles auraient été compétentes pour le faire si le bien ou l'élément de preuve dont il s'agit avait été situé sur le territoire français.
Les dispositions relatives à l'exécution d'une décision de gel par les juridictions françaises figurent, pour leur part, aux articles 696-9-10 à 696-9-30 du code de procédure pénale.
Le projet de loi organise cette exécution dans les conditions les plus proches possible de celles qui seraient mises en oeuvre si la saisie était effectuée dans le cadre d'une procédure pénale française.
Le mécanisme prévu dans ce texte encadre la procédure d'exécution d'une décision de gel dans des délais très brefs afin de se conformer à ceux qui sont impartis aux autorités judiciaires des Etats membres de l'Union européenne par la décision-cadre.
Ces nouvelles dispositions législatives devraient ainsi réduire l'impunité dont bénéficient certains délinquants qui dissimulent, à l'étranger ou en France, les preuves ou le produit de leurs crimes ou délits.
Enfin, l'article 7 du projet de loi en rend les dispositions applicables dans les collectivités d'outre-mer.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes du projet de loi que le Gouvernement a l'honneur de soumettre à votre examen.
L'ensemble du dispositif, enrichi par les amendements introduits en première lecture à l'Assemblée nationale, est, selon moi, de nature à assurer une transposition fidèle des textes de droit européen considérés et permet à notre législation d'effectuer certaines avancées substantielles.