Intervention de François Zocchetto

Réunion du 23 juin 2005 à 9h30
Adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice — Adoption définitive d'un projet de loi

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice, adopté par l'Assemblée nationale le 9 mai dernier, s'inscrit dans la construction progressive d'un espace pénal européen, dont les fondements ont été posés par le traité de Maastricht en 1992, aux termes duquel la coopération judiciaire pénale devait être rangée parmi les sujets d'intérêt commun.

Le traité d'Amsterdam, conclu en 1997, a poursuivi cette démarche à travers l'intégration dans le cadre de l'Union des accords de Schengen.

Enfin, le Conseil européen extraordinaire de Tampere, réuni en octobre 1999, a établi les quatre grands axes de la construction d'un espace pénal européen : le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, le rapprochement du droit pénal des Etats membres, l'institution d'acteurs intégrés de coopération et le renforcement de la coopération internationale.

Le bilan peut être qualifié d'encourageant. Toutefois des difficultés apparaissent chaque fois que nous voulons transposer des directives ou des décisions-cadres.

Ainsi l'effectivité du droit dérivé de l'Union européenne en matière pénale demeure partielle. Les décisions-cadres sont souvent transposées tardivement. A cet égard, la France accuse un retard persistant, en dépit de la forte mobilisation du Gouvernement en faveur de la mise en conformité du droit français avec le droit communautaire et malgré des efforts significatifs pour inscrire des textes de transposition à l'ordre du jour du Parlement.

Monsieur le garde des sceaux, votre prédécesseur indiquait le 1er mars 2005 que, « depuis l'année 2000, la France a été condamnée une centaine de fois au titre de la procédure en manquement » prononcée par la Cour de justice des Communautés européennes pour sanctionner la non-application d'une norme communautaire. Etre condamné cent fois en quatre ans est une situation qui ne peut nous satisfaire.

Nous pouvons d'ailleurs observer que, dans le projet de loi qui nous est soumis, deux textes auraient dû être retranscrits plus tôt.

Il s'agit de la directive 2003/8/CE du 27 janvier 2003 visant à améliorer l'accès à la justice judiciaire dans les affaires transfrontalières. La fin du délai de transposition en était fixée au 30 novembre 2004.

Quant à la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 6 décembre 2001 visant à renforcer par des sanctions pénales et autres la protection contre le faux monnayage en vue de la mise en circulation de l'euro, la fin du délai de transposition en était bien antérieure, puisqu'elle était fixée au 31 décembre 2002. Nous avons donc en l'occurrence deux ans et demi de retard.

Le projet de loi comporte quatre séries de dispositions.

L'Assemblée nationale a voté le texte sans grand changement.

Dès maintenant, j'indique qu'elle a supprimé, à juste titre, me semble-t-il, l'article 6, qui tendait à offrir aux juridictions pénales la possibilité de prononcer des mesures conservatoires afin de garantir le paiement de l'amende ou l'exécution de la confiscation prononcée.

Les députés ont estimé que cet article anticipait sur une réforme d'ensemble des mesures d'exécution provisoire en matière pénale, qui est en cours de réflexion. Je vous propose donc de ne pas revenir sur ce point.

L'Assemblée nationale a adopté vingt-deux amendements de portée rédactionnelle, qui ont utilement précisé et clarifié certaines dispositions du texte et sur lesquels nous ne reviendrons pas.

L'article 1er du projet de loi a pour objet de mettre le droit français en conformité avec la directive 2003/8/CE du Conseil de l'Union européenne du 27 janvier 2003, visant à améliorer l'accès à la justice dans les affaires transfrontalières.

Je rappellerai qu'une affaire transfrontalière consiste en un litige dans lequel la partie qui sollicite l'aide a sa résidence habituelle ou son domicile dans un Etat membre autre que celui où siège la juridiction.

Le droit français ne restait pas muet sur cette question : la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique répond en grande partie aux objectifs de la directive. Le retard de la transposition était donc moins grave dans ce cas.

La loi du 10 juillet 1991 permet aux justiciables qui résident dans l'Union européenne d'accéder effectivement à l'aide judiciaire dans le cas d'une procédure engagée sur le territoire national.

En 2004, cent vingt-trois demandes d'aide juridictionnelle transfrontalières ont été enregistrées, ce qui nous a paru fort peu quand on rapporte ce chiffre aux huit cent mille demandes d'aide juridictionnelle.

Les nouvelles mesures sur lesquelles nous devons nous prononcer se traduiraient par une charge pour le budget de l'Etat de 70 000 euros pour 2005, cette charge étant d'ailleurs déjà inscrite dans la loi de finances.

Quelques aménagements du droit français sont nécessaires pour satisfaire aux obligations communautaires.

Le champ des frais couverts par l'aide juridictionnelle française serait étendu à deux égards.

D'une part, les ressortissants résidant régulièrement dans un autre Etat membre de l'Union européenne pourraient obtenir en France, au titre de l'aide juridictionnelle, la prise en charge des frais d'interprétation, des frais de déplacement et des frais de traduction supportés à l'occasion d'une procédure engagée sur le territoire français.

Les ressortissants résidant sur le territoire national pourraient obtenir la couverture des frais de traduction supportés à l'occasion d'une demande d'assistance judiciaire adressée à un autre Etat membre.

D'autre part, les ressortissants résidant régulièrement dans un autre Etat membre pourraient bénéficier d'un assouplissement des conditions de ressources imposées par la loi française, à condition de prouver leur impossibilité de supporter les dépenses liées au procès compte tenu des différences de coût de la vie entre la France et l'Etat dans lequel ils résident.

Enfin, ce régime aurait un caractère subsidiaire, ce qui est une très bonne chose. Il ne s'appliquerait qu'à la condition que les frais exposés ne soient pas déjà pris en charge par un autre système de protection, un contrat d'assurance par exemple.

L'article 2 du projet de loi a pour objet la transposition de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 6 décembre 2001 visant à renforcer par des sanctions pénales la protection contre le faux monnayage.

Cette disposition très intéressante pourrait inaugurer une réforme que nous souhaitons et attendons, et sur laquelle nous nous sommes déjà prononcés, monsieur le garde des sceaux, lors de l'examen de la proposition de loi sur la récidive, dont vous étiez l'auteur en tant que président de la commission des lois de l'Assemblée nationale.

Nous étions convenus que traiter de la récidive dans le cadre français n'avait plus grand sens, dès lors que les frontières de l'Union européenne étaient absolument perméables et que nous rencontrions de plus en plus de grands criminels ayant commis des actes en Belgique, en Allemagne, en Italie ou en Espagne, puis en France.

L'article 2 du projet de loi est en ce sens intéressant : il ouvre une première brèche dans la règle édictée par la Cour de cassation dans une jurisprudence constante fondée sur le principe de territorialité de la loi pénale et selon laquelle seule une condamnation prononcée par une juridiction française pouvait être prise en compte au titre de la récidive.

La reconnaissance des faits commis dans un autre Etat membre pour une condamnation en France ou dans un autre Etat nous paraît très importante.

Les articles 3 et 4 du projet de loi visent à la transposition de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé.

Actuellement, le droit français incrimine la corruption active et la corruption passive, qui ne visent que des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public. La corruption active désigne l'activité de la personne corruptrice et la corruption passive l'activité de la personne corrompue.

Les nouvelles dispositions proposées tendent à insérer dans le code pénal un chapitre concernant la corruption des personnes n'exerçant pas une fonction publique. Ces dispositions modifieraient le droit en vigueur à trois titres.

En premier lieu, l'ensemble des faits de corruption concernant le secteur privé seraient incriminés, y compris ceux qui seraient commis par des personnes exerçant des fonctions de direction, comme l'a dit M. le garde des sceaux : chefs d'entreprises, personnes exerçant une profession libérale ou une profession de conseil.

La responsabilité des personnes morales pourrait ensuite être mise en cause pour des faits de corruption active ou passive.

Enfin, les peines encourues ont été relevées à un niveau comparable à celui des peines prévues pour certaines infractions comme l'abus de biens sociaux ou l'escroquerie.

Ces dispositions complèteront utilement notre dispositif de lutte contre la corruption.

L'article 5 vise à transposer la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 22 juillet 2003 relative à l'exécution des décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve. Ainsi pas moins de trente articles seraient insérés dans le code de procédure pénale.

Rappelons-le, les demandes de saisie venant de l'étranger ou adressées à l'étranger passe par la voie d'une commission rogatoire internationale. Cette procédure est souvent lente et lourde du fait de la transmission par voie diplomatique et ne donne donc satisfaction ni aux magistrats, ni aux enquêteurs ni aux avocats, qui nous ont fait part de leur souhait de voir modifier cette procédure.

Il paraît essentiel d'agir de manière rapide. La décision-cadre apporte des progrès significatifs en la matière.

A l'avenir, la décision de gel serait en effet transmise directement de l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission à l'autorité judiciaire de l'Etat d'exécution.

L'exécution devrait intervenir « immédiatement », selon la terminologie retenue.

Enfin, les décisions de gel devraient désormais s'accompagner d'un certificat comportant l'ensemble des mentions pertinentes pour permettre au magistrat d'exécuter la mesure.

Aujourd'hui, les demandes sont formulées de façon très variée, parfois très floue, ce qui met les magistrats dans l'embarras pour l'exécution des mesures de saisie.

La transposition de la décision-cadre s'inscrit dans l'économie du dispositif français des saisies.

Mes chers collègues, compte tenu de ces observations, la commission des lois vous demande d'adopter le projet de loi sans modification.

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