Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, s'il est un domaine à l'égard duquel les attentes des citoyens européens sont particulièrement fortes, c'est bien celui de l'Europe judiciaire. En effet, selon un sondage Eurobaromètre réalisé en avril 2002, plus de sept Européens sur dix sont favorables à une prise de décision au niveau européen en matière de lutte contre la criminalité organisée.
En France même, une enquête IPSOS de mai 2003 nous apprend que la création d'une justice commune arrive en tête, avec 40 % de citations, des avancées de l'Union les plus attendues.
Certaines affaires qui ont défrayé la chronique, comme celles de l'extradition de Sid Ahmed Rezala ou de Rachid Ramda vers la France, de Cesare Battisti vers l'Italie ou encore l'absence de communication entre les casiers judiciaires français et belges au sujet du tueur en série présumé Michel Fourniret - le rapporteur en a parlé à l'instant -, ont frappé l'opinion publique et illustré les insuffisances de la coopération européenne.
Force est donc de constater que la construction de l'espace pénal européen, évoquée dès 1977, est particulièrement lente. Certes, une étape décisive a été franchie avec l'adoption de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen. Mais il a fallu les attentats du 11 septembre 2001 pour que ce projet aboutisse, et les événements tragiques du 11 mars 2004 pour que sa transposition dans le droit des Etats membres s'accélère.
Comme l'a souligné notre rapporteur, le premier bilan du mandat d'arrêt européen au cours des douze derniers mois confirme le caractère opérationnel et efficace attendu de cette procédure, 268 personnes ayant été remises par la France et 144 autres lui ayant été livrées par les autorités étrangères, résultat dont nous ne pouvons que nous réjouir.
La Constitution européenne, quant à elle, comportait des avancées déterminantes. La constitutionnalisation du principe de reconnaissance mutuelle, « pierre angulaire » de l'espace judiciaire européen, et la création d'un parquet européen, par exemple, constituaient des progrès majeurs. Le rejet du projet de loi référendaire va sans doute nous conduire à devoir nous limiter aux traités existants. Cela doit non pas nous décourager, mais, au contraire, nous inviter à nous battre encore davantage pour cette Europe à laquelle nous aspirons, à la construction de cet espace européen dans lequel la justice n'aura plus de frontières.
Il importe donc aujourd'hui d'appliquer et de tirer parti, autant que possible, des traités existants. Le traité de Maastricht a posé les fondements d'un espace pénal européen et le traité d'Amsterdam a consacré le développement d'un espace judiciaire européen « de liberté, de sécurité et de justice ». Plus que jamais, il convient de transposer les directives et décisions-cadres européennes, afin de renforcer la construction de cet espace judiciaire européen qu'il serait bien sûr inconcevable de remettre en cause.
Toutes ces directives ou décisions-cadres sont autant de pierres apportées à la construction de l'édifice communautaire, d'autant plus indispensable que l'espace pénal européen, qui procède du « troisième pilier » de l'Union européenne créé par le traité de Maastricht, se caractérise, au départ, par une logique intergouvernementale et non communautaire.
Je ne rappellerai pas - cela a été fait par les orateurs qui m'ont précédé - les grandes orientations qui ont été définies par le Conseil européen de Tampere et qui doivent présider à la construction de cet espace judiciaire européen.
Monsieur le garde des sceaux, autant dire qu'à l'aune de ces objectifs il nous reste encore du chemin à parcourir... C'est aussi la raison pour laquelle je me réjouis du projet de loi dont nous débattons aujourd'hui et qui va notamment nous permettre de rattraper notre retard s'agissant de la transposition de deux décisions-cadres.
En particulier, je tiens à mettre en exergue la disposition qu'introduirait dans notre droit pénal la transposition de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 6 décembre 2001.
Grâce à celle-ci, pour les infractions de faux monnayage, les condamnations prononcées par une autre juridiction européenne pourraient être prises en compte par les juridictions françaises au titre de la récidive.
En l'état actuel de notre droit positif, selon une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation et citée par les orateurs, « seule une condamnation prononcée par une juridiction française peut constituer l'un des termes de la récidive ».
Il s'agirait donc d'une évolution particulièrement importante de notre droit pénal, qui nous permettrait de renforcer considérablement notre efficacité en matière de répression de la grande criminalité, laquelle se joue parfaitement des frontières, nous le savons très bien.
A l'heure où le Gouvernement s'attache résolument à combattre efficacement la récidive dans notre pays, la reconnaissance des condamnations antérieurement prononcées par les juridictions d'autres Etats membres au titre de la récidive est indissociable de la notion d'espace judiciaire européen. Ce point est particulièrement développé dans le Livre vert déposé par la Commission le 30 avril 2004.
La mise en place d'un casier judiciaire européen constitue, à cet égard, une nécessité urgente. En effet, comment peut-on justifier qu'une personne soupçonnée d'une dizaine de meurtres sur des victimes belges et françaises - ce cas est cité abondamment et c'est bien normal - ait pu s'établir en Belgique et y occuper un emploi de surveillant de cantine scolaire, sans que les autorités belges aient eu connaissance de ses condamnations antérieures ?
Par conséquent, la prise en compte par le juge des condamnations prononcées dans un autre Etat membre, pour certaines infractions harmonisées bien sûr, est souhaitable, sous réserve, évidemment, de respecter pleinement le pouvoir d'appréciation du juge et le principe d'individualisation des peines.
Au nom de l'UMP, je tiens également à souligner l'importance de la transposition de la décision-cadre du 22 juillet 2003. Cette transposition est d'autant plus importante que nos concitoyens sont très attachés - et bien leur en prend - à l'exemplarité et à la probité de leurs dirigeants, non seulement dans le secteur public - je pense en premier lieu à nous-mêmes, hommes et femmes politiques - mais aussi dans le secteur privé, sur leur lieu de travail.
En l'état actuel de notre droit, seule la corruption des dirigeants ou des salariés qui commettraient un acte à l'insu de leurs employeurs est réprimée en droit français, les autres formes de corruption étant sanctionnées au titre de l'abus de biens sociaux ou de confiance, du recel, du faux et usage de faux.
Ce texte élargit la définition de la corruption dans le secteur du travail en allant au-delà de la relation employeur - salarié et en supprimant le caractère secret de cette corruption.
Avec l'autre décision-cadre du 22 juillet 2003, qui porte sur le gel de biens ou d'éléments de preuve, ce texte présente l'avantage, outre de mieux définir le rôle de l'ensemble des magistrats en matière de gel de biens, de faire également progresser la coopération judiciaire, même si l'expression de gel s'inspire plutôt du droit anglo-saxon.
Quant à la directive du Conseil de l'Union européenne du 27 janvier 2003, elle apportera à notre législation, tardivement il est vrai, des éléments nouveaux complétant le dispositif de la loi de 1991 : les citoyens européens concernés par des juridictions qui ne sont pas celles de leur pays d'origine seront ainsi mieux défendus et pourront mieux faire valoir leur point de vue.
Cette directive permet une prise en charge de toute la procédure, de la phase précontentieuse jusqu'à l'exécution de la décision de justice, y compris sur un plan financier en tenant compte par exemple - c'est très important - des frais de déplacement. Elle doit être transposée dans notre droit positif sans modification substantielle.
Mes chers collègues, parce que toutes ces directives et décisions-cadres sont une nouvelle illustration de l'apport à la législation française que représente la construction d'un espace judiciaire européen que nous appelons tous de nos voeux, le groupe UMP votera avec conviction en faveur de ce projet de loi, tel qu'il est ressorti des travaux de l'Assemblée nationale et, conformément aux conclusions de notre commission des lois et de son excellent rapporteur, François Zocchetto, nous proposons donc de l'adopter sans modification.