Vous avez bien voulu, quand vous étiez président de la commission des lois à l'Assemblée nationale, approuver cette démarche qui mettait fin à une espèce de patchwork dans lequel tantôt la personne morale était punissable, tantôt elle ne l'était pas. Cela finissait pas être incompréhensible. On l'a généralisée, nous la renforçons ici, je voudrais, à titre personnel, saluer cette initiative.
Toutefois, monsieur le garde sceaux, je voudrais attirer plus particulièrement votre attention sur une question qui n'est pas abordée alors qu'elle mérite d'être examinée, au moins entre juristes, tout en m'excusant de son aspect quelque peu technique.
Je suis très inquiet parce que j'ai l'impression que la législation européenne en matière pénale n'a pas de base juridique. J'ajoute immédiatement que ce n'est pas grave. Nous avons parfaitement le droit d'introduire dans notre droit des dispositions qui nous paraissent bonnes. Le Gouvernement pourrait nous proposer des dispositions en matière de faux monnayage ou d'aide juridictionnelle.
Dans ce domaine, il me semble que l'on assiste à une inflation de la part des services de Bruxelles. En réalité, le troisième pilier comporte plus d'énoncés de principe et de bonnes intentions que de normes véritablement applicables. La question est de savoir si les traités autorisent les autorités de Bruxelles à imposer de telles normes. Sans doute, de manière générale, la construction d'un espace pénal européen passe indéniablement par le développement de l'harmonisation des législations nationales du point de vue tant du droit pénal matériel que de la procédure pénale.
De longue date, quelques-uns d'entre nous aussi bien à la délégation du Sénat qu'à la délégation de l'Assemblée nationale ont opté clairement pour une véritable unification du droit en matière de criminalité transfrontalière - bien entendu il ne s'agit pas de toute la criminalité - et pour une véritable unification des poursuites, du moins au sommet, par la création d'un parquet européen opérationnel - je me permets de vous signaler que même le traité établissant une Constitution pour l'Europe ne le prévoyait pas formellement ; de toute façon, le traité n'a pas été accepté par la France - et par le développement, dans ce domaine pénal, du contrôle de la Cour de justice de l'Union.
Ainsi, dans un récent Livre vert sur les dispositions pénales, il apparaît que la Commission s'arroge la responsabilité de vérifier l'efficacité des mesures qui sont prises, d'en établir des statistiques et de les livrer à une appréciation critique, ce qui signifie que l'exécutif se chargerait de contrôler le judiciaire en quelque sorte. Sans vouloir évoquer les propos récemment tenus par M. le ministre de l'intérieur, je crois tout de même qu'il n'appartient pas à l'exécutif, fût-il bruxellois, de contrôler le judiciaire et je vous prie de m'excuser de cet aparté qui n'est peut-être pas injustifié. (M. le président de la commission des lois sourit).
Nous sommes très loin de tout cela. Le fondement juridique actuel - rappelons-le, puisque nous n'avons pas voulu en sortir - est le traité de Nice et il ne faut pas se bercer d'illusions.
L'article 31 E du traité de Nice pose le principe d'une harmonisation minimale en droit pénal matériel, uniquement pour la définition des incriminations et des sanctions dans des domaines particuliers comme la criminalité organisée, le terrorisme et le trafic de stupéfiants. En dehors de cela, il n'y a pas de base juridique pour édicter des décisions-cadres applicables d'office dans tous les Etats. Encore une fois, nous sommes libres de faire ce que nous voulons. Mais la décision-cadre me paraît tout à fait excessive et dépourvue de base juridique.
Cette limitation du champ de la compétence n'a pas empêché le législateur européen d'utiliser cet article comme base d'une harmonisation très généralisée des législations dans d'autres domaines aussi variés que les infractions en matière d'environnement, les fraudes, le faux monnayage, la cybercriminalité, la corruption, et j'en passe.
Parmi les explications qui nous sont fournies, il y a la suivante : à Tampere, les chefs d'Etat et de gouvernement ont pris des décisions et sont tombés d'accord pour reconnaître qu'il fallait opérer des avancées dans ce domaine. Mais les conclusions des chefs d'Etat et de gouvernement à Tampere ou ailleurs ne sont que des conclusions et des orientations. Ce ne sont pas des normes juridiques. Il y a une grande différence entre des conclusions politiques et des normes juridiques. Les normes juridiques sont inscrites dans les traités que l'on peut lire. La question de la base juridique est grave.