Bien entendu, j'approuve la légitimité des préoccupations et des objectifs que sous-tend cette législation, mais je suis le premier à dénoncer les limites du principe de la reconnaissance mutuelle et je ne peux que m'insurger contre une pratique qui outrepasse le mandat confié à Bruxelles par les traités. Comme tout Etat de droit, l'Union européenne doit respecter un certain nombre de règles fondamentales.
Je reviens d'ailleurs sur le fait que l'article 6 est passé à la trappe, sans autre forme de procès. Ou ces transpositions sont obligatoires ou elles ne le sont pas ! Si elles le sont, il fallait digérer cet article 6 ou le modifier. Nous, nous l'avons écarté.
Je rappelle à cette occasion que le traité établissant une Constitution pour l'Europe représentait, lui, une avancée considérable et permettait de combler cette lacune juridique. Son rejet fragilise encore davantage l'avenir juridique de l'Europe.
Au cours du débat auquel nous avons assisté pendant quelques mois - et je ne peux que le déplorer - personne n'a abordé cette question !
Il me semble important, monsieur le garde des sceaux, de souligner la gravité de cette situation. Sans doute est-il parfaitement loisible au législateur français d'introduire spontanément les mesures proposées dans notre droit positif. Il n'en est pas moins très douteux que les autorités européennes aient le droit de nous y obliger.
Il me semble, monsieur le garde des sceaux, que votre rôle est d'insister sur ce problème auprès de vos homologues. En effet, n'oublions pas que de nombreuses raisons expliquent le rejet de la Constitution. Parmi elles, il y a le fait que Bruxelles apparaît, à tort ou à raison, mais quelquefois à raison, comme dépassant ses compétences et imposant des normes et des directives qui ne sont pas justifiées.
Cela touche davantage les profanes quand il s'agit du lait écrémé ou des fromages, mais pour nous, juristes, et pour tous ceux qui suivent ces affaires, le sujet est sérieux et grave. En effet, dans le domaine pénal, nous pourrions avoir des annulations devant la Cour de justice des Communautés européennes. Si quelqu'un s'avisait de dire : vous avez pris une décision-cadre qui n'a pas de base juridique, comment statuerait la cour de Luxembourg ? Elle serait bien obligée de constater que, effectivement, il n'y a pas de base juridique. Dans le domaine pénal, nous sommes quelques-uns à savoir que l'on marche sur un terrain miné, qu'il suffit d'une moindre irrégularité pour flanquer par terre des procédures entières. Il y a là un rappel à faire à Bruxelles à l'occasion d'un Conseil « JAI » et cela, me semble-t-il, entre dans vos responsabilités, monsieur le garde des sceaux. C'est pourquoi je me permets d'attirer votre attention sur cette question qui me paraît de plus en plus grave.
En effet, on a renoncé à élaborer des codes, alors on essaie de les faire par petits bouts. Dans dix ans, on aura probablement construit une sorte de droit pénal européen comme on fabrique un patchwork. Encore faudrait-il qu'on le fasse sur une base qui soit solide ; je crois que ce n'est pas le cas pour le moment.