Je crois qu'il existe, en effet, un rapport entre les exigences qui ont résonné au-delà des urnes du référendum et la méthode qui nous est proposé pour bâtir une Europe de la justice.
Que reprochent nos concitoyens à l'actuelle construction européenne ? Outre son contenu libéral, ce sont également la méthode, l'opacité, l'éloignement des processus de décision qui sont dénoncés avec force. Or il s'agit bien ici d'inclure dans le droit français des dispositions - au demeurant très diverses : une directive et trois décisions-cadres -, arrêtées à l'échelon européen, sans concertation avec les Parlements nationaux ni avec les professionnels et les acteurs du droit.
L'article 1er a pour objet de transposer la directive du 27 janvier 2003 en modifiant la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il s'agit d'« améliorer l'accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l'établissement de règles minimales communes relatives à l'aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires ». Seules les affaires de nature commerciale ou civile sont concernées.
Cette proposition pourrait être saluée comme une avancée pour les justiciables. Hélas, nous devons regretter et dénoncer l'introduction, au détour de cette adaptation d'une mesure européenne, d'une notion totalement étrangère à notre modèle.
Il nous est en effet proposé d'accepter un principe jusque-là repoussé : celui du recours préférentiel aux assurances juridiques pour réaliser l'égalité de nos concitoyens devant la justice.
Le texte que vous soumettez à notre approbation, monsieur le ministre, contient explicitement cette grave entorse à notre philosophie du service public pour l'accès à la justice : « L'aide juridictionnelle n'est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge, soit au titre d'un contrat d'assurance, soit par d'autres systèmes de protection. » Le principe de subsidiarité au profit du marché assurantiel est donc inséré dans le droit français, sans véritable débat sur ce sujet, sans évaluation du dispositif actuel d'aide sociale juridique.
Qui peut croire que cette première entorse ne servira pas demain à élargir cette brèche devant laquelle les compagnies d'assurance piaffent déjà en attendant de pouvoir s'y engouffrer plus largement ? Le libéralisme dont vous vous réclamez, monsieur le ministre, et qui vient d'être rejeté souverainement par notre peuple, est donc insatiable, transformant tout domaine d'activité humaine en marché, sclérosant les relations humaines les plus élaborées, telle la société de droit.
Pour notre part, nous souhaitons qu'une loi vienne moderniser, étendre et renforcer l'aide juridique pour faire réellement progresser l'égalité de nos concitoyens devant l'accès à la loi et aux juridictions chargées de la dire.
Le projet de loi accumule des articles sans logique, l'urgence de la transposition étant sans doute le fil conducteur.
Ainsi, l'article 2 tend à transposer une décision-cadre du 6 décembre 2001 du Conseil de l'Union européenne qui a pour objet de renforcer la répression du faux monnayage. Il introduit la prise en compte au titre de la récidive des condamnations définitives prononcées en la matière dans un autre Etat membre. Il est donc contraire à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, comme l'ont rappelé les orateurs qui m'ont précédée.
Comment ce projet de loi procède-t-il ? Vous croyez de bonne foi voter pour un renforcement des sanctions contre le faux monnayage, et vous introduisez en réalité un cheval de Troie dirigé contre une jurisprudence nationale.
L'Europe de la justice ne peut pas se construire sur ce mode, à coups de transpositions, de « mesurettes » qui, subrepticement, viennent transformer le paysage judiciaire. Que deviennent les libertés individuelles, le droit de la défense, avec de telles pratiques ? Il est temps d'ouvrir ce débat aux citoyens et aux citoyennes et de remettre entre leurs mains la construction de l'Europe.
Les articles 3 et 4 visent à renforcer la lutte contre la corruption dans le secteur privé, par adaptation de la décision-cadre du 22 juillet 2003.
Dans une compétition économique caractérisée par des relations violentes de domination financière et de guerres commerciales et aiguisée par une globalisation sans limites, les risques de corruption sont d'autant plus élevés. Le projet de loi ne répond aucunement à la volonté de changer le cours inhumain de cette mondialisation ; cependant, ses auteurs proposent d'élargir le champ d'application de la corruption privée au-delà de la relation entre employeur et salarié, ce qui est une bonne chose : la corruption active s'accompagne souvent d'une corruption passive.
Nous aurions néanmoins préféré, monsieur le ministre, que les infractions créées par l'article 4 fussent insérées dans le code du travail. C'est l'objet de l'action du corps de l'inspection du travail que de veiller au respect des règles auxquelles sont astreintes les entreprises ; or vous le privez de la compétence du constat de corruption et, ce faisant, vous privez les pouvoirs publics d'un moyen efficace de contrôle. Mais il est vrai que vous n'êtes pas un ami du code du travail et de ceux qui ont mission de le faire respecter !
L'article 5, qui vise à transposer la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 22 juillet 2003 relative à l'exécution des décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve, suscite peu de commentaires critiques de notre part. La lutte contre le crime nécessite que l'on se dote de véritables outils pour l'investigation et la réparation.
Nous souhaiterions cependant voir pris en compte un amendement issu d'un travail spécifique des parlementaires communistes portant sur la lutte contre le proxénétisme. Les propositions de loi émanant des groupes de l'opposition, singulièrement de l'opposition communiste républicaine et citoyenne, n'étant pas considérées dignes d'un débat public par la majorité sénatoriale, ...