Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la signature de la convention de Naples sur la coopération et l'assistance mutuelle entre les administrations douanières pour lutter contre la fraude marque les premiers pas de ce que l'on appelle l'« espace judiciaire européen » : c'était en 1967 et, à l'époque, l'Europe ne comptait que ses six membres fondateurs.
Depuis cette date, la mise en place d'un espace judiciaire européen n'a cessé de pendre une place croissante dans le processus de la construction européenne ; elle a même connu une très forte accélération avec l'ouverture des frontières dans l'espace Schengen.
Toutefois, cet espace judiciaire européen demeure inachevé tant sa constitution se heurte aux souverainetés nationales sur bien des questions délicates. En effet, nombreuses sont les difficultés à surmonter pour l'élaboration de règles européennes sur des questions qui touchent aux fonctions les plus régaliennes des Etats, telles que la sécurité, la justice, la liberté, trois notions qui se trouvent au coeur même du concept de souveraineté nationale.
De plus, la création d'un véritable espace judiciaire commun impose que l'on réponde aux défis que représentent la reconnaissance mutuelle des décisions de justice d'un autre Etat, l'harmonisation des législations et des sanctions, ou la production de normes juridiques communes sur des sujets où les intérêts nationaux sont identiques, comme c'est le cas en matière d'immigration, d'asile, de trafic de drogues, de blanchiment d'argent ou encore de terrorisme.
D'ailleurs, il faut souligner que c'est la lutte contre le terrorisme qui a relancé les efforts en matière d'espace judiciaire européen. Un an après les attentats du 11 septembre 2001, les débats se sont accélérés sur des questions aussi importantes que la transposition en droit interne de la décision-cadre du 13 juin 2002 sur le mandat d'arrêt européen ou que la poursuite de la mise en oeuvre des mesures décidées à Tampere en octobre 1999.
En effet, les 15 et 16 octobre 1999, le Conseil européen de Tampere décida la création d'un véritable « espace de liberté, de sécurité et de justice », qui devait se traduire par l'instauration d'un espace judiciaire européen en matière civile et pénale et par la lutte contre la criminalité et le blanchiment d'argent.
La représentation nationale est aujourd'hui appelée à faire progresser sensiblement l'espace judiciaire européen et à rendre ainsi effective une partie des engagements pris à Tampere par les chefs d'Etat et de gouvernement.
Il nous faut poursuivre ce grand chantier, qui traduira de façon très concrète et très visible une idée européenne qui devient de plus en plus floue aux yeux de nombreux citoyens ! Car, comme le rappelait Jacques Delors, les avancées réalisées « sont peu lisibles par l'opinion, qui ne comprend pas que, dans un espace unifié, l'on continue à ne pas pouvoir résoudre simplement les problèmes de couples mixtes ».
Le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice participe de cette concrétisation de l'espace judiciaire européen. La transposition dans notre droit positif des directives et des décisions-cadres contenues dans ce texte va permettre d'établir des règles communes à l'ensemble des Etats européens en matière d'accès à la justice dans les affaires transfrontalières, et d'instaurer une infraction relative à la récidive internationale en matière de faux monnayage. C'est donc du concret !
Elle permettra aussi de poser des règles relatives à la lutte contre la corruption dans le secteur privé et celles à partir desquelles un Etat de l'Union européenne reconnaît et exécute sur son territoire une décision de gel de biens ou d'éléments de preuve émise par une autorité judiciaire d'un autre Etat de l'Union dans le cadre d'une procédure pénale. Là aussi, c'est du concret, toujours du concret !
Dans ces conditions, en quoi ces mesures ne constitueraient-elles pas un progrès ? Ne sont-elles pas une réalisation concrète de ce que l'Europe peut faire de mieux ? N'y a-t-il pas là une manifestation d'un bon sens européen au service du pragmatisme et de l'efficacité ?
Pour permettre ces avancées, il nous faut aujourd'hui, mes chers collègues, adopter ce projet de loi et ainsi modifier notre code pénal, notre code de procédure pénale et la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Permettez-moi de revenir maintenant sur quelques-unes des avancées contenues dans ce texte.
L'article 1er du projet de loi concerne les règles communes relatives à l'accès à la justice dans les affaires transfrontalières. La conséquence concrète de la transposition de la directive du 27 janvier 2003 sera de faciliter les règlements des litiges transfrontaliers, de plus en plus nombreux en matière civile mais aussi commerciale. Cela signifie que nos concitoyens, devant des juridictions étrangères, bénéficieront des moyens de faire valoir leur point de vue et d'être correctement défendus. Cette transposition permettra aussi, par exemple, la prise en charge des frais pesant sur le justiciable durant toute la procédure, comme les frais de déplacement ou de traduction, en tenant compte bien sûr des différences de niveau de vie entre les Etats membres. La portée de cette directive est donc loin d'être négligeable !
L'article 2 du projet de loi a pour objet la transposition de la décision-cadre du Conseil de l'Union du 6 décembre 2001 visant à renforcer par des sanctions pénales et autres la protection contre le faux monnayage en vue de la mise en circulation de l'euro. Cette transposition permettra notamment la reconnaissance du principe de récidive par chaque Etat membre, après une condamnation définitive en matière de faux monnayage prononcée par une juridiction d'un autre Etat membre. De plus, l'interconnexion des casiers judiciaires qui en résultera aura pour effet quasi automatique de rendre plus efficace la lutte contre la criminalité organisée à l'échelle du territoire européen.
Enfin, je souhaite évoquer l'harmonisation des sanctions que rendra possible l'adoption de ce texte, conformément aux conclusions du Conseil européen de Tampere. En effet, les Etats membres devront désormais prévoir des peines minimales et harmoniser les sanctions. La transposition de la décision-cadre de juillet 2003 relative à l'exécution des décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve engendrera de substantiels progrès en matière de coopération judiciaire et de traitement pénal à l'échelle européenne. C'est ici un grand pas vers une meilleure homogénéisation de l'espace judiciaire européen.
Il n'y a pas le moindre doute, mes chers collègues : comme l'a souligné notre excellent rapporteur, François Zocchetto, les dispositions contenues dans le présent projet de loi constituent un réel progrès et rendent plus concrètes la réalisation et, surtout, la perception de l'espace judiciaire européen. En adoptant ce texte, mes chers collègues, nous ferons de l'espace judiciaire européen une réalité de tous les jours et nous renforcerons par là même l'Europe des citoyens. Ainsi, nous nous rapprocherons davantage de l'« espace de liberté, de justice et de sécurité » dont le principe a été posé par le traité d'Amsterdam.
Malgré le rejet du traité constitutionnel européen, qui aurait permis l'inscription du principe de « reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires », il faut poursuivre le grand chantier de la construction d'un espace judiciaire européen toujours plus homogène, efficient et efficace.
C'est pourquoi je voterai le projet de loi qui nous est soumis.