Intervention de François Zocchetto

Réunion du 23 juin 2005 à 9h30
Audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité — Discussion des conclusions du rapport d'une commission

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto, rapporteur :

Même si la CRPC s'inspire des procédures anglo-saxonnes de « plaider-coupable », elle s'en distingue sur un point essentiel : tandis que le « plea bargaining » autorise le juge à abandonner certaines charges en échange d'une reconnaissance de culpabilité sur d'autres faits et de l'acceptation de la peine prononcée, le principe même d'une négociation est écarté dans le cadre de la CRPC.

Il faut observer que la CRPC se rapproche plus de la composition pénale telle qu'elle avait été instituée par la loi du 23 juin 1999. Il s'agit en quelque sorte de la concrétisation de ce dispositif, qui avait alors permis d'« entrouvrir une porte » dans ce domaine.

La CRPC présente un caractère original et novateur. Elle est définie par les articles 495-7 à 495-16 nouveaux du code de procédure pénale.

Son champ d'application doit répondre à trois conditions.

Tout d'abord, le délit doit être puni de cinq ans d'emprisonnement maximum, à l'exclusion des délits de presse, des délits d'homicide involontaire, des délits politiques ou de ceux qui sont prévus par une loi spéciale.

Ensuite, la personne concernée doit reconnaître les faits.

Enfin, le délinquant doit être majeur.

Précision importante, la CRPC est écartée pour tous les faits qui font l'objet d'une information : dès qu'il y a intervention d'un juge d'instruction, il ne peut pas y avoir de CRPC en l'état actuel des textes. Nous verrons ce qu'il en sera à l'avenir...

Le procureur peut recourir d'office à la CRPC à la demande soit de l'intéressé, c'est-à-dire l'auteur des faits, soit de son avocat.

En ce qui concerne les peines susceptibles d'être proposées, une double limite est prévue : le quantum prononcé ne peut excéder un an d'emprisonnement ni dépasser la moitié de la peine d'emprisonnement encourue. Il s'agit donc d'un régime de peines très préférentiel.

Je rappellerai en quelques mots la procédure suivie devant le procureur.

L'avocat doit être présent à chacune des étapes de cette procédure - Le Sénat y tenait beaucoup - et, a contrario, lorsqu'il n'y a pas d'avocat, il ne peut y avoir de CRPC.

Tout d'abord, les déclarations par lesquelles la personne reconnaît les faits sont recueillies par le procureur.

Ensuite, le procureur fait une proposition de peine.

Puis, dans un troisième temps, la personne peut librement s'entretenir avec son avocat, hors la présence du procureur.

Enfin, si la personne accepte la peine, elle en fait part au procureur, toujours en présence de son avocat, et est « aussitôt présentée », pour reprendre les termes de la loi, devant le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui, qui aura été saisi par le procureur de la République d'une requête en homologation.

S'agissant de l'audience d'homologation, sujet qui nous préoccupe ce matin, la loi a prévu un déroulement en quatre temps.

Premièrement, le juge entend la personne et son avocat.

Deuxièmement, le juge vérifie la réalité des faits et leur qualification juridique. A ce moment-là, il peut donc poser des questions au prévenu ou à son avocat.

Troisièmement, le juge statue par une ordonnance motivée soit en homologuant la peine, soit en la rejetant. Par conséquent, le juge n'a pas le pouvoir de renégocier ou de proposer autre chose. Il ne peut qu'accepter ou refuser la peine proposée par le procureur.

Enfin, quatrièmement, l'ordonnance d'homologation est lue en audience publique. Elle est immédiatement exécutoire.

Je précise que la procédure prévoit un double délai de réflexion : avant l'acceptation de la peine, il est possible de bénéficier d'un délai de réflexion de dix jours ; après le prononcé de la peine, la personne condamnée peut faire appel, avec une possibilité d'appel incident du parquet.

Evidemment, si la peine est refusée ou si elle n'est pas homologuée, l'affaire est renvoyée à l'audience du tribunal correctionnel, qui statue de façon classique.

Je crois également utile, mes chers collègues, de vous rappeler que les droits de la victime sont garantis par trois dispositions particulières.

Si la victime est identifiée, elle est informée de cette procédure sans délai et par tout moyen, et elle est invitée à comparaître à l'audience de l'homologation, accompagnée, le cas échéant, de son avocat. Elle peut alors se constituer partie civile et demander réparation.

Si la victime n'a pu exercer ce droit, le procureur de la République doit l'informer de son droit de lui demander de citer l'auteur des faits à une audience du tribunal correctionnel statuant sur les intérêts civils en cause.

En tout état de cause, la victime peut faire appel de l'ordonnance d'homologation.

Cela dit, il est probablement trop tôt pour dresser un bilan de ce que je vous ai présenté comme une modification fondamentale de la procédure pénale française.

Néanmoins, en nous rendant sur le terrain, en rencontrant des magistrats, des avocats et des greffiers, nous avons constaté, presque contre toute attente, une utilisation croissante et importante, pour ne pas dire déjà massive, de la procédure de CRPC.

A ce jour, 147 tribunaux de grande instance sur 181 utilisent cette procédure sur le territoire de la République. Et, depuis sa mise en place, c'est-à-dire depuis le mois d'octobre 2004, plus de 10 000 affaires ont été traitées par cette voie, avec un taux d'homologation de l'ordre de 85 %.

Nous constatons aussi une homogénéisation des pratiques, malgré certaines disparités. En effet, de fortes convergences se dégagent.

Tout d'abord, s'agissant du choix du contentieux, la CRPC est principalement utilisée pour les conduites en état alcoolique, généralement avec un taux supérieur à 0, 80 milligramme d'alcool par litre d'air expiré, ainsi que pour les conduites sans permis et sans assurance, généralement dans les cas de réitération ou de récidive.

Nous avons constaté que les procureurs privilégiaient cette procédure pour les infractions sans victime. Mais elle peut être retenue aussi pour les auteurs de vol ou de dégradation, de préférence toutefois lorsque ces infractions ont concerné des victimes « institutionnelles », à savoir des administrations publiques, des grandes surfaces ou des grosses sociétés.

Dans plusieurs tribunaux, la CRPC est également appliquée à certaines infractions au droit pénal du travail telles que le travail dissimulé ou les infractions aux règles d'hygiène et de sécurité, voire certaines infractions au droit pénal de la consommation.

Dans tous les cas, la procédure devant le procureur se déroule de manière similaire et le délai de réflexion n'a été utilisé que très rarement.

Les peines proposées par la grande majorité des parquets paraissent légèrement plus avantageuses que celles qui auraient été prononcées dans le cadre d'une audience correctionnelle classique. Toutefois, un double clivage persiste. D'une part, certains parquets appliquent la CRPC aux personnes déférées, c'est-à-dire aux personnes qui viennent d'être interpellées ou qui ont fait l'objet d'une garde à vue, tandis que d'autres s'y refusent et préfèrent utiliser cette procédure sur convocation. D'autre part, il s'agit de savoir si des peines d'emprisonnement ferme peuvent être prononcées à l'issue d'une telle procédure. Certains parquets, comme ceux de Paris, de Bobigny ou de Toulon, proposent des peines d'emprisonnement ferme, mais la majorité d'entre eux, semble-t-il, écartent cette possibilité.

La procédure de CRPC me semble bien acceptée aujourd'hui. Elle ne se serait d'ailleurs pas inscrite aussi rapidement dans notre paysage judiciaire si elle n'avait recueilli, en pratique, l'assentiment des acteurs de l'institution.

Il est vrai que, dans toutes les juridictions, la mise en oeuvre de la procédure a été précédée d'une concertation étroite entre le parquet, le siège et le barreau, en particulier quant au champ des infractions susceptibles de faire l'objet d'une CRPC et quant à l'éventail des sanctions proposées.

Au lendemain de l'adoption de la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cette adhésion n'allait pas de soi. En effet, la plupart des intervenants du monde judiciaire avaient indiqué leur extrême réserve à l'égard de cette nouvelle procédure, voire leur refus de participer à sa mise en place.

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