Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la loi du 9 mars 2004 a instauré la nouvelle procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité afin d'éviter de recourir à la procédure de jugement de droit commun.
L'objectif du Gouvernement était d'alléger les audiences correctionnelles, qui, il est vrai, sont engorgées. Mais le Gouvernement a fait le choix d'une procédure très particulière, qui est inadaptée à notre procédure pénale. L'ancien garde des sceaux, Dominique Perben, avouait lui-même qu'il avait souhaité s'inspirer de la procédure anglo-saxonne du « plaider-coupable ».
Ainsi, à partir du moment où le prévenu reconnaît les faits, la procédure est considérablement accélérée, puisque c'est le procureur qui propose une peine au prévenu. Une fois homologuée par le président du tribunal ou le juge délégué par lui, cette peine est exécutoire comme un jugement.
Dénoncée dès le départ par les magistrats et les avocats ainsi que par nous-mêmes lors de l'examen du projet de loi, cette procédure n'en a pas moins été adoptée. Pourtant, elle a fait l'objet de sérieux revers.
En effet, le dispositif issu du texte adopté par le Parlement prévoyait à l'origine que l'homologation aurait lieu en chambre du conseil. Or cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision du 2 mars 2004, a considéré que « le caractère non public de l'audience au cours de laquelle le président du tribunal de grande instance se prononce sur la proposition du parquet, même lorsque aucune circonstance particulière ne nécessite le huis clos, méconnaît les exigences constitutionnelles » qui résultent de la combinaison des articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration de 1789, selon lesquels « le jugement d'une affaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté doit [...] faire l'objet d'une audience publique ».
L'application du « plaider-coupable » connaissait donc des débuts difficiles et il a fallu adapter cette procédure après la censure du Conseil constitutionnel.
Dès lors, n'aurait-il pas déjà fallu considérer que la présence du procureur était obligatoire du seul fait que l'audience publique d'homologation s'apparentait aux autres audiences publiques correctionnelles ?
En effet, le Conseil constitutionnel a émis une réserve dans sa décision. II a admis la conformité à la Constitution de la nouvelle procédure, sous réserve que le président du tribunal de grande instance ne procède à l'homologation de la proposition du parquet acceptée par l'intéressé qu'après avoir vérifié la qualification juridique des faits et s'être interrogé sur la justification de la peine au regard des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur.
Ces deux conditions pourraient-elles être remplies si le président du tribunal de grande instance ne pouvait interroger le parquet sur des éléments nécessaires à son appréciation des faits ?
Le président, ou le juge délégué, doit pouvoir obtenir du prévenu, mais aussi du parquet, toutes les explications lui permettant de mesurer la pertinence des observations qu'il formule ou des irrégularités qu'il relève.
Pourtant, Dominique Perben a diffusé, le 2 septembre 2004, une première circulaire d'application de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité sans rendre obligatoire la présence du parquet lors de l'audience d'homologation.
La censure du Conseil constitutionnel n'est pas le seul revers que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité allait connaître.
La Cour de cassation, saisie pour avis par le tribunal de grande instance de Nanterre sur la présence obligatoire ou facultative du procureur à l'audience publique, s'est également prononcée sur cette question. Sa réponse est d'ailleurs à l'origine de la proposition de loi examinée aujourd'hui.
L'avis de la Cour de cassation du 18 avril 2005 est clair : « Lorsqu'il saisit le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui d'une requête en homologation de la ou des peines qu'il a proposées dans le cadre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le procureur de la République est, conformément aux termes de l'article 32 du code de procédure pénale, tenu d'assister aux débats de cette audience de jugement, la décision devant être prononcée en sa présence. »
C'est ici que nous pouvons constater l'obstination du précédent garde des sceaux, qui avait décidé de passer outre l'avis de la Cour de cassation, pourtant la mieux à même, puisqu'elle est composée de professionnels du droit, de juger de cette réforme.
En effet, dès le 19 avril 2005, le lendemain de l'avis rendu par la Cour de cassation, Dominique Perben a rédigé une deuxième circulaire précisant que, malgré l'avis négatif de la Cour de cassation, les parquets devaient continuer d'appliquer la loi selon l'interprétation de la Chancellerie.
Le Conseil d'Etat a donc été saisi afin d'ordonner la suspension de l'application des deux circulaires du 2 septembre 2004 et du 19 avril 2005.
Dans ses deux ordonnances, rendues le 11 mai 2005, le Conseil d'Etat a ordonné la suspension d'urgence de ces deux circulaires, au motif qu'elles méconnaissaient la portée réelle de l'article 32 du code de procédure pénale, qui prévoit que le ministère public assiste aux débats.
Et nous voici donc en train d'examiner une proposition de loi déposée lors de la séance du 12 mai 2005, autrement dit dès le lendemain du jour où le Conseil d'Etat a rendu ses ordonnances, et qui vise tout simplement à passer outre les décisions des juridictions suprêmes que sont la Cour de cassation et le Conseil d'Etat !
Comment ne pas imaginer que cette proposition de loi est directement commandée par la Chancellerie ? Le garde des sceaux n'arrive pas à faire appliquer sa loi, qui est manifestement entachée d'irrégularité ? Peu lui importe, un parlementaire pourra bien se charger de cette tâche !
Mais ce qui est étonnant, c'est que la proposition de loi soit signée par notre collègue Laurent Béteille, alors qu'il préside une mission d'information sur les procédures accélérées de jugement en matière pénale, qui n'a d'ailleurs toujours pas rendu ses conclusions. Il me semble pourtant que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité entre dans le champ des procédures accélérées de jugement ! Nous aurions donc pu attendre que cette mission d'information mette fin à la confusion dans laquelle nous nous trouvons.