Si le texte qui nous est soumis est modeste par sa portée, il n'en est pas moins intéressant. Mais lorsque, tout à l'heure, notre excellent rapporteur a évoqué la loi du 9 mars 2004 et la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la CRPC - procédure qui n'a rien à voir, contrairement à ce que d'aucuns s'obstinent à dire, avec le plaider-coupable -, j'ai eu parfois le sentiment que nous ne parlions pas du même texte.
Sur le texte lui-même, je me garderai de reprendre la longue description des articles qui ont fait l'objet, au Sénat, de débats soutenus et prolongés.
Toutefois, monsieur le rapporteur, si je suis d'accord avec vous pour considérer qu'il s'agit d'une novation importante de notre procédure pénale - et l'on mesure ce qu'elle apporte de singulièrement différent par rapport à ce qu'ont été jusqu'à présent les principes fondamentaux du procès pénal -, je ne la saluerai pour ma part jamais avec satisfaction. Et les motifs invoqués, qu'il s'agisse de l'accélération des procédures, de l'afflux des infractions et de la nécessité de les juger rapidement, dont je ne méconnais pas l'importance, ne suffisent pas, selon moi, à justifier ce texte.
La CRPC, quoi que l'on dise, reste marquée par l'extraordinaire prépondérance accordée à la partie poursuivante dans notre procédure pénale. C'est là une modification structurelle, tant pour la défense que pour le magistrat du siège.
Nous sommes entrés, avec cette procédure, dans une ère judiciaire où le parquet, dont je connais à la fois les prérogatives, les mérites... et plusieurs de ses excellents représentants, se voit sans cesse surchargé d'obligations. Or la nécessité de soulager le parquet ne se poserait sans doute pas de la même façon si, au fil des lois, on n'accumulait pas sur ce dernier, qui n'en peut mais, des obligations ne relevant pas fondamentalement de sa mission première, c'est-à-dire la mise en oeuvre de la loi, et particulièrement de la loi pénale.
S'agissant de la procédure pénale, le parquet a, tout d'abord, le devoir de contrôler l'enquête conduite par la police judiciaire. A l'issue de celle-ci, il détient ensuite le pouvoir essentiel de classement sans suite. Au-delà, il est celui qui, dans notre système judiciaire, a le privilège de choisir, sauf en cas d'intervention par citation directe ou de plainte avec constitution de partie civile, la voie procédurale. Et voici qu'à cet éventail - qui comporte déjà, cela va de soi puisque c'est l'essence même de sa mission, le droit de déclencher l'action publique et le pouvoir de requérir à l'audience -, il convient à présent d'ajouter la détermination de la peine proposée et, éventuellement, encourue.
Là est la véritable novation ! Jusqu'à présent, nous avons vécu dans un système où la responsabilité de la peine était, dans tous les cas, le privilège et le difficile devoir du magistrat du siège, non seulement en matière d'affirmation de la culpabilité, mais également - ce qui constitue l'essentiel de sa mission et de sa responsabilité, car l'une ne va pas sans l'autre -, de détermination de la peine prononcée.
Dans le système qui a été institué, il perd cette prérogative. Vous avez en effet rompu, si je puis dire, l'unité du procès pénal en deux temps, d'un procès pénal dont l'issue demeure fort heureusement, dans notre droit, la transaction pénale en matière d'action publique.
Premier acte, donc, le procureur reçoit l'intéressé, s'assure qu'il a reconnu les faits, puis propose une peine qui est acceptée après « négociation », même s'il est difficile de parler de négociation au regard de la différence de niveau entre les deux parties en présence. Le parquet est en effet tout-puissant et détient l'arme qui conduit inévitablement à l'acceptation : quel est celui qui acceptera, après avoir reconnu les faits, de recourir à une audience judiciaire alors qu'il sait - ce que l'avocat lui confirme - que le risque est considérable, puisqu'il a reconnu les faits, que soit prononcée à son encontre une peine forte que celle qui lui est alors proposée ? Ne parlons donc pas de négociation ! Disons plutôt : voilà la peine proposée selon des cadres qui ont été établis par le parquet - ce que je conçois, politique pénale oblige ! -, voire au cours d'entretiens avec les magistrats du siège durant lesquels sont fixés des cadres de normes répressives.
Une fois cette étape terminée, nous nous trouvons devant l'élément essentiel et décisif, à mon sens, de cette rénovation, ou plutôt de cette révolution juridictionnelle : celui qui portera la responsabilité ultime de la décision perd sa liberté et n'a plus que la possibilité de choisir entre un oui et un non.
C'est toute la différence, permettez-moi de le dire, entre le veto et la détermination. On peut dire oui, on peut dire non, mais on ne peut plus dire : voyons, au regard de ce qui s'est passé, ce qui me paraît être la juste peine ! Là, s'opère un véritable changement dans la fonction juridictionnelle et, au regard de cette exigence, j'affirme que nous sommes entrés dans un système que nous pouvions parfaitement éviter.
Pour ma part, je ne suis pas opposé aux procédures accélérées en cas de reconnaissance des faits. Après tout, vous vous en souvenez, nous avons beaucoup travaillé, en 1983, pour améliorer la procédure du flagrant délit et pour mettre sur pied, au Sénat, avec M. Rudloff, la procédure de comparution immédiate.
La composition pénale, je le conçois parfaitement, aurait dû être améliorée pour devenir une véritable procédure de comparution immédiate en deux temps. A partir du moment où la culpabilité est reconnue par le justiciable - ici prévenu en audience publique, avec toutes les garanties que ce type d'audience offre -, il est logique que l'on passe à une procédure allégée, facile à mettre en oeuvre. Elle a d'ailleurs été expérimentée du temps de M. Drai.
Donc, premièrement en transformant simplement la composition pénale, et deuxièmement en innovant en matière de comparution immédiate, la question aurait été réglée sans que l'on aboutisse pour autant à cette réduction du pouvoir du juge du siège et à cette séparation en deux du procès pénal.
Cela étant, puisque l'on a maintenant une loi, il faut la prendre telle qu'elle est.
Cela étant, vous nous avez fait part tout à l'heure avec tant de chaleur, monsieur Zocchetto, du succès rencontré par cette mesure que je n'ai pu m'empêcher de sourire. Il est curieux, en effet, que nous ayons assisté au même colloque et que nous n'y ayons pas entendu les mêmes propos : vous avez trouvé que l'accueil fait à la loi était satisfaisant ; pour ce qui me concerne, j'ai surtout entendu des critiques, notamment dans les couloirs, et je n'ai relevé que peu de motifs de satisfaction !
J'esquisse également un certain sourire lorsque l'on évoque la montée en puissance de cette procédure. En effet, qui est le maître du choix de la procédure ? L'avocat ? Le juge du siège ? Pas du tout, c'est le parquet ! Et, lorsque l'on sait que cette procédure donne tant de pouvoir au parquet, on comprend qu'il y recoure aussi volontiers : elle a été faite sur mesure pour lui ! Il est normal que le parquet entame la procédure de comparution, qui va nécessairement jusqu'à son terme.