Intervention de Robert Badinter

Réunion du 23 juin 2005 à 9h30
Audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité — Discussion des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Le président du TGI, dans les limites étroites qui lui sont assignées, rend donc bien une décision juridictionnelle, qui s'inscrit dans le cadre d'une procédure pénale.

Le Conseil constitutionnel souligne également que, dans la mesure où cette homologation est susceptible de conduire à une peine d'emprisonnement d'un an, l'audience doit respecter la procédure requise pour une audience. Par conséquent, elle doit être publique.

En tout état de cause, puisqu'il s'agit d'une audience correctionnelle et puisque la décision rendue par le magistrat qui statue et qui prononce la peine - laquelle, je le rappelle, est proposée par le parquet -, est juridictionnelle, il est évident - sauf pour les services de la Chancellerie, dont je ne méconnais pourtant pas l'excellence juridique - que la présence du ministère public est obligatoire en vertu l'article 32 du code de procédure pénale.

A la lecture de la circulaire d'application qui rend facultatif pour les audiences correctionnelles ce qui, au regard dudit article 32, est obligatoire, on prend pleinement conscience de ce qui allait advenir et qui est advenu : un recours a été déposé devant le Conseil d'Etat et le tribunal de Nanterre a demandé à la Cour de cassation son avis, un avis dont nous avons tous ici reconnu le mérite puisqu'il permet d'éviter des erreurs juridiques susceptibles d'aboutir à l'annulation d'un certain nombre de procédures.

Cet avis - contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure - a été aussi clair que possible : « Lorsqu'il saisit le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui d'une requête en homologation de la ou des peines qu'il a proposées dans le cadre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le procureur de la République est, conformément aux termes de l'article 32 du code de procédure pénale, tenu d'assister aux débats de cette audience de jugement, la décision devant être prononcée en sa présence. » La présence du procureur de la République n'est pas requise uniquement à la fin à la fin des débats : il est tenu d'assister à l'intégralité de l'audience.

Les signataires de cet avis sont des magistrats qui font autorité dans ce domaine ! Et l'on ne va tout de même pas changer la logique - et elle peut être impitoyable - de la procédure correctionnelle pour des problèmes d'effectifs au sein du parquet, problèmes que l'on imagine résoudre en mettant à mal des principes fondamentaux !

Quand le ministère public demande aux magistrats du siège - et c'est ici le cas - de prononcer une peine pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement, il ne peut pas ne pas être présent. Pourquoi, me demanderez-vous ? Mais en raison de tous les aléas et de toutes les incertitudes propres à la vie judiciaire !

Le Conseil constitutionnel est clair à cet égard : le magistrat « pourra refuser l'homologation s'il estime que la nature des faits, la personnalité de l'intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire ». Avant de prendre sa décision d'homologation, il faut bien que le magistrat s'informe ! Et, s'agissant des intérêts de la société, le ministère public doit dire ce qu'il en est. Par ailleurs, si la victime est entendue, comme on le souhaite, au moment de l'audience d'homologation, ses déclarations peuvent constituer un élément sur lequel la partie poursuivante est susceptible de se prononcer.

On ne peut donc faire fi de la présence du ministère public ! On ne peut considérer que son rôle cesse à l'issue de la rencontre avec l' « intéressé » - c'est le terme utilisé -, après confirmation des aveux et acceptation, dans les conditions que je viens d'évoquer, de la proposition de peine ! Son rôle ne peut s'arrêter là : il est le ministère public, et le ministère public soutient l'accusation au cours d'une audience juridictionnelle.

En conséquence, vous nous proposez de tourner le dos à une exigence d'ordre général nécessaire à l'équilibre procédural de l'audience correctionnelle, alors que la peine prononcée peut aller jusqu'à un an de prison.

C'est la raison pour laquelle il est n'est pas possible de s'en tenir à une présence facultative du ministère public.

Une fois que la Cour de cassation a rendu son avis et le droit étant ce qu'il est, les services de la Chancellerie auraient dû - le conditionnel passé est le temps le plus cruel en politique - publier une nouvelle circulaire d'application précisant qu'il appartenait, au vu de cet avis, au parquet et au siège de prévoir les modalités de la présence du ministère public à l'audience d'homologation. Ils auraient dès lors trouvé un modus vivendi, et au moins le principe aurait-il été respecté.

Quoi qu'il en soit, on ne pouvait pas maintenir la situation en l'état, sauf à ignorer la position adoptée par la Cour de cassation, ce qui aurait abouti à la nullité de bon nombre de procédures.

Mais c'est le choix contraire qui a été fait, ce qui ne manque pas de me stupéfier. Pourquoi cette obstination ? Perseverare diabolicum !... Pourquoi, alors que la Cour de cassation a énoncé que, au regard des principes de notre procédure pénale, le ministère public doit toujours être présent à l'audience juridictionnelle entraînant le prononcé d'une telle décision, a-t-il fallu que soit publiée une nouvelle circulaire aux termes de laquelle il est dit qu'il ne sera pas tenu compte de cet avis en raison de son caractère consultatif ?

Franchement, il ne sert à rien de demander l'avis de la Cour de cassation pour n'en tenir aucun compte ensuite, en dépit de la qualité du magistrat qui l'a rendu ! C'est pourtant ce qui s'est passé.

C'est ce qui explique la seconde circulaire et la décision - parfaitement justifiée - du Conseil d'Etat statuant en référé. Tout cela est d'une logique implacable !

Plutôt que s'incliner, on a eu recours à une sorte de tempérament et notre collègue Laurent Béteille, sans doute saisi par l'inspiration nocturne qui peut s'emparer du juriste insomniaque, ...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion