Quoi qu’il en soit, les préconisations des chefs de cour n’ont pas été respectées. Elles étaient d’ailleurs souvent assez proches des recommandations du rapport de nos collègues : par exemple, la suppression d’un tribunal de grande instance à un endroit pouvait être compensée par la création d’une chambre économique et sociale ailleurs.
Le rapport dont nous discutons aujourd’hui aborde un certain nombre de solutions, et je voudrais en évoquer quelques-unes.
Ainsi, je rejoins Jean-Jacques Hyest sur la nécessité de supprimer carrément le tribunal d’instance et d’unifier les contentieux. Il ne doit plus être question de déterminer la compétence en fonction du montant du litige, qui de toute façon fluctue au gré du temps, comme l’inflation ou jadis le franc.
Il faut donc décréter la création d’un seul tribunal et éviter ce que connaît le tribunal de grande instance, à savoir que la compétence de droit commun dont il est en principe doté devienne dans les faits, compte tenu de la kyrielle de juridictions spécialisées, une compétence d’exception. Évidemment, personne ne veut toucher à cette situation, pour ne pas se mettre à dos des corporations très influentes. La réforme Badinter, par exemple, n’a jamais été appliquée aux tribunaux de commerce. Elle visait à faire intervenir des magistrats professionnels en première instance et des commerçants en appel. On y a renoncé, on a reculé, on a eu peur !
Pourquoi attendre pour réorganiser les conseils de prud’hommes, qui doivent faire appel au juge départiteur pour se prononcer dans les affaires importantes et difficiles ? Parce que les syndicats sont derrière ! Et l’on sait à quel point, dans certains cas, ils peuvent être conservateurs !
Je pourrais poursuivre l’énumération avec les tribunaux paritaires des baux ruraux, les tribunaux départementaux des pensions, les tribunaux des affaires de sécurité sociale, j’en passe et des meilleures. Il faut vraiment faire un tri, unifier toutes ces strates et créer un tribunal de première instance.
Cette réforme placera le juge au centre du dispositif et lui permettra d’exercer sa fonction, qui, je le rappelle, est de juger. Il en va en matière de justice comme en matière de santé : il est inutile de solliciter constamment le juge, comme il est inutile que tout le monde aille aux urgences, qui sont saturées. Certains problèmes peuvent être réglés sans son intervention. Le juge est là pour trancher des problèmes importants, difficiles. C’est pourquoi il faut satisfaire la demande des syndicats de greffiers et donner aux greffiers en chef des compétences juridictionnelles. Ils ont les connaissances et la formation requises pour les exercer. Il faut donc que les juges acceptent de se défaire de leur imperium.
Il convient également de développer la collégialité. La pratique démontre souvent, hélas ! la justesse du dicton qui assimile juge unique et juge inique. Ceux qui l’ont pratiquée le savent, la collégialité permet de confronter des points de vue souvent diamétralement opposés pour aboutir, après une discussion – qu’on appelle « délibéré », mais peu importe –, à un consensus médian. D’ailleurs, le justiciable a plus confiance dans ce genre de décision, et il a raison, que dans la décision rendue par un juge unique dont on suspecte toujours les motivations.